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Boycott de DAZN : le prix à payer pour regarder la Ligue 1 en 2024 est-il historiquement élevé ?

Ligue 1dossier
Alors que le nouveau détenteur des droits TV du championnat de football français est visé par de vives critiques, «CheckNews» s’est penché sur l’évolution des tarifs depuis 1984 et le début de l’ère Canal +, diffuseur historique.
Un commentateur de DAZN pendant un match entre l'AC Milan et le Torino FC à Milan, le 17 août. (IPA Sport/ABACA)
publié le 21 août 2024 à 16h32

La reprise de la Ligue 1, vendredi 16 août, s’est accompagnée d’une grogne sans précédent. En cause, les tarifs pratiqués par DAZN (prononcez «Da Zone»), le nouveau diffuseur du championnat de football français. Au point que de nombreux amoureux du ballon rond ont annoncé leur intention de boycotter la plateforme britannique, préférant se tourner vers le piratage.

L’abonnement à DAZN coûte 30 euros par mois avec engagement (pour 12 mois), ou 40 euros par mois sans engagement (ce qui revient à peu près au même, la saison de ligue 1 durant 9 mois). Cette somme donne accès à huit des neuf matchs disputés lors de chaque journée du championnat. Pour suivre la neuvième rencontre, et donc pouvoir visionner l’intégralité des matchs, les fans doivent débourser entre 45 et 55 euros, en ajoutant 15 euros mensuels d’abonnement à beIN Sports. La chaîne qatarie diffuse en effet l’une des affiches se tenant le samedi à 17 heures.

Alors que des détracteurs de DAZN ont dénoncé des «montants exorbitants», en comparaison à ce qu’ils versaient aux diffuseurs principaux ces dernières années, CheckNews retrace l’évolution des tarifs depuis le premier match de Ligue 1 diffusé en 1984 sur Canal +. Par souci de rigueur, il importe de tenir compte de l’inflation. Nous donnons, pour chaque période, à la fois la somme exigée en euros de l’époque (ou en francs avant 2002), mais aussi ce que cela représente en euros actuels. Nous nous sommes basés pour cela sur l’outil de conversion proposé par l’Insee. Exemple : en raison de l’érosion monétaire due à l’inflation, le pouvoir d’achat de 10 euros en 2004 est le même que celui de 13,61 euros en 2023.

Jusqu’en 1999, le monopole Canal +

Entre 1984 et 1999, le téléspectateur n’avait qu’à s’abonner à Canal + pour regarder la Division 1, l’ancêtre de la Ligue 1. La souscription, passée d’un tarif de lancement de 120 francs en 1984 (39 euros de 2023), à un prix de 184 francs en 1999 (42 euros de 2023), donnait seulement accès à un match par journée, en plus du reste de l’offre de Canal +. A compter de la saison 1996-1997, la nouvelle chaîne Canal + Bleu (devenue Canal + Vert) permet la diffusion d’un second match. En parallèle, le groupe lance le service «Kiosque» par lequel ses abonnés peuvent, à la carte, acheter une affiche de Division 1 au prix de 50 francs (11,50 euros de 2023) ou l’intégralité de la soirée pour 75 francs (17 euros de 2023).

De 1999 à 2005, Canal + et TPS

En vertu des nouveaux accords, Canal + continue de diffuser deux matchs et de proposer le paiement à la séance. Mais un nouvel acteur, Télévision Par Satellite (TPS) commence, à partir de la saison 1999-2000, à diffuser un troisième match, parmi ceux du samedi à 20 heures. TPS a aussi obtenu le droit de proposer un service d’achat de matchs à la carte : avec «Superstades», TPS offre contre 50 francs (11,50 euros de 2023) un accès à l’ensemble des matchs normalement accessibles en paiement à la séance – ce qui exclut les deux réservés à Canal +.

Les abonnés à TPS peuvent donc suivre sept des neufs matchs de chaque journée. En 1999, avec une souscription à l’offre de base de TPS qui s’élève à 164 francs (37,50 euros de 2023), plus les 50 francs (11,50 euros) de Superstades, il faut pour cela débourser 214 francs (soit 49 euros de 2023). En 2004, pour accéder au même service, il faut payer 33 euros (soit 45 euros de 2023), dont 20 euros (27 euros de 2023) pour l’abonnement basique et 13 euros (18 euros de 2023) pour l’option.

En face, le prix de l’abonnement à Canal + évolue peu, passant entre 1999 et 2005 de 184 francs (42 euros de 2023) à 30 euros (40 euros de 2023). Et la chaîne accouche en 2002 d’une option équivalente à Superstades : intitulée «Foot +», elle est affichée à 14 euros par mois (20 euros 2023). A partir de là, il faut donc compter 44 euros (60 euros 2023) pour visionner huit matchs – tous sauf celui diffusé par TPS. Et pour suivre l’intégralité du championnat, les spectateurs doivent cumuler deux abonnements, plus Superstades ou Foot +. La facture mensuelle se chiffre donc entre 65 et 66 euros (soit autour de 89 euros de 2023).

De 2005 à 2008, Canal + de nouveau seul

Canal + ayant de nouveau raflé l’exclusivité des droits de diffusion de la Ligue 1, l’équation se simplifie. Pour pouvoir regarder les trois affiches du samedi à 17 h 15, du dimanche à 18 heures et 21 heures, il suffit de s’abonner au bouquet Canal +, qui inclut la chaîne Canal + Sport, et qui coûte 32 euros par mois (42 euros de 2023). Pour suivre le championnat dans son intégralité, il faut aussi souscrire à l’option Foot +, affichée à 7 euros (9 euros 2023). Dans ce cas, la facture totale s’élève à 39 euros (51 euros 2023).

De 2008 à 2012, Canal + et Orange

En 2008, Canal + conserve l’essentiel de ses droits de diffusion, avec le match du dimanche à 21 heures ainsi que le service de paiement à la séance. Pour suivre neuf des dix rencontres, les fans doivent additionner le prix d’un abonnement à Canal + (35 euros à l’époque, 44 euros de 2023) et du service Foot + (8 euros, 10 euros de 2023). Soit 43 euros mensuels (54 euros de 2023).

La Ligue de football professionnel a cédé une partie des droits de la Ligue 1 à Orange, incluant la diffusion d’un match par journée, le samedi à 20 heures. L’opérateur crée Orange Sport, uniquement afin de retransmettre ce match. Pour visionner le match du samedi soir, il faut s’abonner à la Livebox d’Orange pour 40 euros (50,50 euros 2023), et à la chaîne Orange Sport pour 6 euros (7,50 euros 2023).

Pour regarder la totalité des matches, il fallait sortir de sa poche pas moins de 89 euros (soit 112 euros de 2023).

De 2012 à 2020, Canal + et beIN Sports

En 2012, c’est Al Jazeera Sports, avec sa filiale beIN Sports, qui vient concurrencer Canal +. Les droits se répartissent entre les deux plus prestigieuses affiches qui restent diffusées par Canal +, le samedi à 17 heures et le dimanche à 21 heures, et les huit autres matchs retransmis sur beIN Sports. Après l’accord de distribution signé avec Canal +, les chaînes de beIN Sports deviennent accessibles aux abonnés de Canalsat. Dans tous les cas, que ce soit en option sur Canalsat ou indépendamment, beIN Sports propose une offre unique, facturée 11 euros par mois lors de son lancement (13 euros de 2023). Avant de passer à 12 euros en 2014 (14 euros de 2023), puis 13 euros en 2015 (15 euros de 2023).

Sur les saisons de Ligue 1 comprises entre 2012 et 2016, les prix des abonnements Canal + n’ont pas évolué : 40 euros pour le bouquet de base, auxquels pouvaient s’ajouter les 25 euros de Canalsat, soit un total de 65 euros (47 et 29,50 euros de 2023, donc 76,50 euros en tout). Pour ceux qui restaient abonnés à la chaîne cryptée tout en prenant l’option beIN Sports, il fallait compter, en additionnant les 12 euros que coûtait la chaîne qatarie en 2014, jusqu’à 77 euros (90,50 euros de 2023). En 2015, le groupe lance une offre baptisée «La totale sport», combinant Canal +, Canalsat et beIN Sports, pour 63 euros par mois (74 euros de 2023).

Pour les saisons 2016 à 2020, les droits sont une nouvelle fois répartis entre Canal + et beIN Sports. Avec néanmoins plusieurs changements. Déjà, en plus du samedi à 17 heures et du dimanche à 21 heures, Canal + obtient l’affiche du vendredi à 20h45. Les sept autres restent diffusées sur beIN Sports. Canal + change de stratégie commerciale et articule ses offres autour de son bouquet de base, auquel peuvent s’additionner des «packs» thématiques incluant d’autres chaînes.

Entre autres, le groupe propose un «pack Sport» qui comprend notamment Canal + Sport et beIN Sports, au tarif de 50 euros par mois (58,50 euros de 2023). Canal + se développe aussi à l’aide de promotions qui engagent ses nouveaux abonnés pour un ou deux ans. Au plus bas, ils peuvent s’en sortir pour 20 euros (23,50 euros 2023), soit l’offre de base Canal + avec un engagement de 24 mois, qui leur donne accès à trois matchs. Pour suivre les sept autres rencontres, ils peuvent toujours souscrire, indépendamment de Canal +, un abonnement à beIN Sports, dont le montant atteint désormais 15 euros (17,50 euros 2023).

Sur la saison 2020-2021, Canal + et Téléfoot

A l’issue de négociations entamées en 2018, le groupe sino-espagnol Mediapro obtient la majeure partie des droits pour les saisons de 2020 à 2024, diffusés via sa nouvelle chaîne Téléfoot. Tandis que Canal + négocie pour diffuser les matchs du samedi à 21 heures et du dimanche à 17 heures. Téléfoot propose des offres à 26 euros par mois avec un engagement de 12 mois, ou 30 euros sans engagement, pour suivre ses huit affiches sur téléviseur (29 ou 33,50 euros de 2023). Côté Canal +, il faut débourser 20 euros pour l’offre de base avec un engagement de 24 mois, 25 euros avec un engagement de 12 mois, ou 35 sans engagement (22,50 ou 28 ou 39 euros de 2023). Théoriquement, la saison complète de Ligue 1 revenait donc à 46 euros mensuels au minimum, et 65 euros au maximum (soit 51,50 et 73 euros de 2023).

Dès ses débuts, Téléfoot tourne au fiasco commercial, et Mediapro annonce l’arrêt de la chaîne en décembre 2020. Finalement, c’est donc Canal + qui récupère l’ensemble des droits. Chaque mois, les fans doivent débourser 45 euros (49,50 euros 2023) pour s’offrir le «pack Sport» qui inclut Foot +, où sont de nouveaux diffusées une partie des rencontres.

De 2021 à 2024, Canal + et Amazon Prime

Nouveau cycle de droits, et nouvel acteur. Le géant américain Amazon diffuse huit rencontres par journée sur sa plateforme Prime Video, tandis que les deux restants reviennent à Canal +. Les matchs du samedi à 21 heures et du dimanche à 17 heures sont retransmis via ses chaînes Canal + Sport et Canal + Foot. De son côté, Amazon crée le «pass Ligue 1», une chaîne entièrement dédiée à la diffusion du championnat. Les tarifs des deux diffuseurs varient d’une année sur l’autre.

Chez Amazon, l’abonnement Prime Video, qui coûtait 6 euros par mois ou 49 euros par an durant la saison 2021-2022 (6,5 ou 54 euros de 2023), est ensuite passé à 7 euros par mois ou 69 euros par an les saisons suivantes. L’abonnement «pass Ligue 1» est initialement fixé à 13 euros par mois (14,50 euros de 2023). A compter de 2022, Amazon met en place un «pass saison». L’abonnement revient donc à 89 euros pour la saison, ou 13 euros par mois toujours (93,5 ou 13,50 euros de 2023). Ces tarifs augmentent avant la saison suivante, et le pass revient désormais à 99 euros pour la saison, ou 15 euros mensuels (on est alors en euros de 2023). A l’arrivée, pour huit matchs avec l’abonnement cumulant Prime Video et «pass Ligue 1», le prix se situe entre 17 et 19 euros en 2021 (soit 19 à 21 euros de 2023), entre 13 et 20 euros en 2022 (soit 13,50 à 22 euros de 2023), puis entre 14 et 22 euros en 2023.

En ce qui concerne Canal +, l’abonnement mensuel revient à 46 euros. Mais la chaîne cryptée, pour conquérir de nouveaux abonnés, propose toujours des promos. En 2021 et 2022, les fans peuvent ainsi s’en sortir pour 21 euros avec un engagement de 24 mois, ou 25 euros sans engagement (23 ou 27 euros de 2023). En 2023, les tarifs grimpent à 23 euros avec un engagement de 24 mois, ou 28 euros sans engagement. Pour suivre l’intégralité des matchs, il faut être abonné à Canal +, et d’autre part à l’ensemble Prime Video et «pass Ligue 1». Tout compris, il faut donc dépenser entre 38 et 63 euros en 2021 (42 à 69,50 euros de 2023). Puis entre 34 et 59 euros en 2022 (35,50 à 62 euros de 2023). Et enfin entre 37 et 60 euros en 2023.

Depuis 2024, DAZN et beIN Sports

Pour rappel, sur la saison qui vient de s’ouvrir, les abonnements cumulés à DAZN et beIN Sports reviennent entre 45 et 55 euros. A noter que le «pack Sport» de Canal + continue d’inclure beIN Sports, permettant à ses abonnés de suivre la rencontre du samedi à 17 heures, dont les droits sont détenus par cette dernière. L’abonnement coûte toujours 46 euros par mois, auxquels il faut ajouter 30 euros pour bénéficier de l’option DAZN. En passant par Canal +, suivre intégralement la Ligue 1 reviendra en tout à 76 euros.

Que déduire de cet exposé ? Pour suivre la totalité des matches de Ligue 1, il a toujours (ou presque) fallu souscrire plusieurs abonnements, pour des prix élevés. La situation actuelle ne se distingue pas forcément des précédentes.

Mais la vraie différence porte sur les prix fixés par le principal diffuseur (DAZN aujourd’hui). Si on raisonne en euros de 2023, entre 2012 et 2020, pour sept ou huit matchs, beIN facturait l’abonnement mensuel 13 à 17,50 euros. De 2021 à 2024, pour huit rencontres, les sommes mensuelles versées à Amazon étaient comprises entre 13,5 et 22 euros. En ce qui concerne DAZN, on parle donc désormais de 30 ou 40 euros pour huit affiches. Ce qui correspond aux prix pratiqués par Canal +, pour la même offre de matchs (mais avec tout le catalogue de Canal +), avant 2012.

BeIN ou Amazon pouvaient se permettre de fixer des tarifs assez bas, car leurs intérêts sont ailleurs, explique Vincent Chaudel, cofondateur de l’Observatoire du sport business : «La vocation première de beIN est d’être un outil de soft power du Qatar. Pour Amazon, Prime est surtout un produit d’appel.» Il en va autrement s’agissant de DAZN, dont «le métier est de gagner des revenus sur les abonnements».

«Ce que les gens critiquent, c’est aussi le fait de payer autant pour seulement du foot français», ajoute l’économiste du sport Pierre Rondeau. «Même si vous deviez payer pareil autrefois, en étant abonné à Canal + et Amazon Prime, vous aviez accès à un catalogue beaucoup plus étendu.» Composé de films, séries, documentaires, ou encore de championnats européens. Alors certes, l’offre de DAZN inclut aussi le championnat de basket français, la Ligue des champions féminine, du MMA et de la boxe, «mais ce ne sont pas des produits d’appel».