Après les tableaux «Liberté» et «Egalité», la cérémonie des Jeux olympiques a mis à l’honneur dix femmes pionnières dans leur domaine, dans le tableau «Sororité». Parmi les dix statues des pionnières qui ont émergé de la Seine, celle de Louise Michel a fait sensation, décrite par les organisateurs comme une «institutrice, écrivaine, militante anarchiste et féministe». Une mise à l’honneur qui n’a pas plus à Stéphane Le Rudulier, sénateur Les Républicains des Bouches-du-Rhône, qui l’a fait savoir dans une publication sur X : «Incompréhension. Louise Michel était une terroriste. De la pire espèce. Elle a combattu la France par les armes. Egérie sinistre d’un mouvement terroriste qui assassinat (sic) forces de l’ordre, prêtres et innocents.» Il relaie également la publication du compte X du média de gauche les Jours qui ironise : «Louise Michel, en 2024, elle serait fichée S.»
En évoquant un «mouvement terroriste», le sénateur fait probablement référence à la Commune de Paris, un mouvement insurrectionnel né en mars 1871 dans le contexte du siège de Paris par les Prussiens, d’une grave famine et d’un différend politique sur la poursuite de la guerre. Les insurgés, principalement des travailleurs parisiens républicains, s’opposent au jeune gouvernement de la IIIe République, dominés par les monarchistes, qui se réfugie à Versailles. La Commune de Paris est proclamée le 28 mars 1871, gouverne selon les principes de la République sociale et enchaîne les mesures progressistes pendant trois mois, avant d’être violemment réprimée par l’armée versaillaise lors de la Semaine sanglante, entre le 21 et 28 mai 1871.
Lors de ces événements, Louise Michel a été institutrice, ambulancière, combattante, mais elle n’y avait qu’un rôle secondaire, selon l’historien Michel Cordillot, spécialiste de la Commune. «Elle a été érigée en mythe mais elle n’avait pas un grand rôle de direction», détaille-t-il à CheckNews. Ses actions peuvent-elles néanmoins être assimilées à du terrorisme, comme le fait Stéphane Le Rudulier ?
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«La réflexion de M. Le Rudulier est une uchronie totale, le terme terroriste n’était pas utilisé comme cela à l’époque», explique l’historienne Véronique Fau-Vincenti. Dans les extraits du dossier du Conseil de guerre qui a jugé Louise Michel et l’a condamnée à la déportation, le terme «terroriste» n’apparaît en effet nulle part. A cette époque du Second Empire, qui s’effondre au moment de la Commune, le terme de «terrorisme» est plutôt associé aux tentatives d’assassinats des chefs d’Etat.
Mais si le mot n’est pas utilisé par les ennemis de Louise Michel, les chefs d’accusation formulés à son encontre (ci-dessous) pourraient être associés à l’acception actuelle du «terrorisme». On l’accuse notamment d’«attentats ayant pour but de changer la forme du gouvernement», «attentats ayant pour but d’exciter la guerre civile» et «complicité par provocation et machinations d’assassinat les personnes retenues soi-disant comme otages par la Commune».
Mais il s’agit du point de vue des Versaillais, dans lequel s’inscrit Stéphane Le Rudulier, selon Véronique Fau-Vincenti. «C’est une bataille idéologique. Alors que les communards souhaitaient une organisation libertaire de la société, [Stéphane Le Rudulier] se place du côté du gouvernement autoritaire des Versaillais [le premier gouvernement à majorité monarchiste de la IIIe République, ndlr]», défend l’historienne.
Concrètement, Louise Michel a effectivement «revêtu l’uniforme des fédérés [les communards] et elle a participé au combat lors de la Semaine sanglante, mais c’était défensif», synthétise l’historienne Ludivine Bantigny (qui soutient le Nouveau Front populaire). Car selon cette dernière, la Commune souhaitait créer pacifiquement une alliance de communes libres, sans volonté belliqueuse contre le gouvernement de la IIIe République. Pourtant, dès le mois d’avril, le chef du gouvernement, Adolphe Thiers, décide de bombarder Paris et de conclure un accord avec les Prussiens pour permettre la libération de prisonniers français afin d’alimenter l’armée versaillaise. Le 21 mai, la Semaine sanglante commence lorsque les Versaillais débutent leur offensive et rentrent dans le sud-ouest de Paris. Pour l’historienne, «la Commune décide donc de se défendre, mais ce n’est pas du terrorisme ; c’est une guerre face à une autorité qui a décidé d’éradiquer ce mouvement». La Semaine sanglante a fait, selon les estimations moyennes, entre 10 000 et 20 000 morts côté communards, contre à peu près 400 côté Versaillais.
Lors de cette semaine, Louise Michel a été combattante, mais l’historien Michel Cordillot réfute les accusations de Stéphane Le Rudulier l’accusant de «terrorisme» et d’avoir «combattu la France par les armes». «Il n’y a pas eu d’action terroriste. Elle a combattu les armées de Versailles. Est-ce que c’était la France ? C’était la France versaillaise et Le Rudulier a choisi son camp», explique-t-il. De même, lorsque le sénateur Les Républicains parle d’assassinat de «forces de l’ordre», il parle donc des troupes versaillaises venues réprimer la Commune. «Louise Michel était révoltée par les injustices sociales, ce n’était pas une sanguinaire», martèle Véronique Fau-Vincenti.
Fichée S «et pire encore»
Stéphane Le Rudulier évoque enfin l’assassinat de «prêtres et innocents». Il fait ici probablement référence à l’épisode de la rue Haxo, lors duquel 52 personnes dont 11 prêtres sont fusillés par les communards. Des exécutions sommaires que Ludivine Bantigny inscrits dans un contexte : «La Commune a cherché à échanger tous ces otages contre Blanqui [leader révolutionnaire socialiste, ndlr] sans succès et ils vont finir par être exécutés. Pas par décision de la Commune, mais du fait d’initiatives locales. […] Louise Michel n’a aucun lien avec ces exécutions.» D’après l’association les Amis de la Commune de Paris, contactée par CheckNews, Louise Michel n’était pas sur les lieux de l’exécution des otages lorsqu’ils sont survenus. «Elle s’y serait probablement opposée, elle a même fait partie d’une branche du christianisme social dans sa jeunesse», abonde l’historienne Véronique Fau-Vincenti.
Pour ses opinions, Louise Michel était par ailleurs surveillée, avant et après la Commune. «Elle était suivie par la police avant même la Commune, comme des milliers de Français dans l’opposition, comme tous les républicains», détaille ainsi Michel Cordillot. Pour tous les historiens contactés par CheckNews, qui se sont prêtés au jeu de l’anachronisme, Louise Michel serait «bien sûr» fichée S aujourd’hui, et «pire encore», comme l’avance Ludivine Bantigny dans une publication X.
"Liberté égalité fraternité": "Il faut maintenant la réalité de ces mots partout inscrits et qui nulle part ne sont en pratique". Louise Michel parlait des "sauveurs ordinaires de la république financière". Bien sûr qu'aujourd'hui, Louise Michel serait fichée S; et pire encore.🧵 pic.twitter.com/8IRBO0bWF2
— Ludivine Bantigny (@LBantigny) July 27, 2024
Déjà en mars 2021, des débats houleux avaient agité le Conseil de Paris pour la célébration des 150 ans de la Commune, montrant que l’histoire de la Commune ne fait plus consensus. Quelques années en arrière, des personnalités de droite comme Jacques Chirac et Jean Tiberi avaient pourtant réhabilité la mémoire de ces événements, avec la commémoration par exemple d’une place de la Commune-de-Paris en 1999, dans le XIIIe arrondissement de Paris.
Contacté par CheckNews, Stéphane Le Rudulier n’a pas donné suite.