C’est un paquet rouge qui fait le bonheur de certains consommateurs français, même s’il menace potentiellement leur santé. Les M&M’s goût beurre de cacahuète font partie de la soixantaine de produits américains toujours présents sur le marché français, selon les douanes, alors qu’ils contiennent des additifs interdits par la réglementation en vigueur, en raison de leur nocivité. La confiserie s’est ainsi retrouvée, aux côtés de la sauce tomate Heinz au cornichon ou de la canette de Fanta fraise, au cœur d’une enquête publiée jeudi 17 octobre par France Inter, en partenariat avec Marianne. Dans le cas des M&M’s, la présence des dragées au «peanut butter» (beurre de cacahuète) dans la liste des produits prohibés interroge quand on sait que le groupe qui les produit a déjà décidé de plusieurs changements de recette, justement pour se conformer aux règles françaises et européennes.
Comme les autres produits épinglés dans cette enquête, les M&M’s goût beurre de cacahuète sont spécifiquement pointés du doigt pour leur non-conformité à la réglementation sur les additifs. Une anomalie révélée par des tests menés par la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI). A l’intérieur des confiseries, les analyses font apparaître un «taux de dioxyde de titane de 196 mg/100 g», un additif dont la présence «est totalement interdite dans les denrées alimentaires», explique la DGDDI à CheckNews. Conformément à la loi alimentation votée en 2018, la mise sur le marché français de toute denrée alimentaire contenant du dioxyde de titane (ou E171) a été suspendue en 2020. Deux ans plus tard, l’utilisation du E171 dans les aliments a été interdite à l’échelle de l’Union européenne. Ces mesures suivaient différentes études, en particulier celles de l’Institut national de recherche agronomique en France, tendant à démontrer la génotoxicité du dioxyde de titane – soit sa capacité à endommager l’ADN –, ainsi que le caractère potentiellement cancérigène et de perturbateur endocrinien de cette substance utilisée pour la brillance.
Points de vente confidentiels
C’est donc en toute illégalité que les M&M’s saveur beurre de cacahuète sont commercialisés en France. Mais la société productrice, Mars Wrigley, précise que ce n’est pas de son fait. Elle ne propose que cinq variétés de M&M’s sur le marché hexagonal : la version classique Peanut (à ne pas confondre avec la version Peanut Butter), Crispy, Choco, Caramel salé et Minis. Des produits qui répondent à la réglementation, puisque l’entreprise a notamment remplacé l’E171 par de l’amidon de riz. Selon l’entreprise, la variété «Peanut Butter», quant à elle, n’est pas «et n’a jamais été commercialisée par Mars Wrigley en France». Comment expliquer, dès lors, qu’on en trouve sur le marché hexagonal ? Tous les M&M’s beurre de cacahuète consommés en France sont en fait importés par des indépendants, directement depuis les Etats-Unis la plupart du temps.
Ce qui explique aussi qu’ils ne se trouvent que dans des points de vente confidentiels, en premier lieu des boutiques en ligne et des épiceries spécialisées dans les produits américains. Où les sachets sont affichés à prix d’or : comptez une cinquantaine d’euros pour un kilo (le plus gros format), alors qu’il se vend une dizaine d’euros (environ 11 dollars) outre-Atlantique. «Quand on arrive à en trouver chez un de nos importateurs, on tape dedans : quelques cartons, pour faire plaisir à notre clientèle, confie le gérant d’un magasin spécialisé à France Inter. Ils ne peuvent les trouver que sur place : on se cache du net et des réseaux, parce qu’on sait que c’est interdit.» Impossible de savoir quelles quantités de dragées sont ainsi importées chaque année. Dans un communiqué diffusé en juillet, les douanes notent que depuis l’été 2021, «les investigations réalisées à l’encontre de grossistes» important des produits américains «ont permis de saisir 72 tonnes de denrées alimentaires non conformes». Auprès de CheckNews, la DGDDI s’abstient de révéler la part de M&M’s Peanut Butter dans ces 72 tonnes, au nom du «secret professionnel».
Les emballages n’ont pas à afficher les mêmes mentions
Comme les sachets proviennent des Etats-Unis, ils ne sont pas produits suivant les normes européennes. Outre-Atlantique, si Mars Wrigley a fait part dès 2016 de «son ambition de supprimer tous les colorants artificiels de son portefeuille d’aliments pour humains à l’échelle mondiale», les confiseries vendues dans les étals américains contiennent toujours du dioxyde de titane et autres additifs prohibés en Europe. Autre différence avec le marché français, les emballages n’ont pas à afficher les mêmes mentions : les ingrédients listés aux Etats-Unis n’incluent pas le dioxyde de titane – à l’inverse, sur la version canadienne du packaging, comme on peut le voir sur la plateforme d’e-commerce Amazon Canada, les ingrédients sont énumérés plus clairement, et le «titanium dioxide» fait partie de la liste. «Les listes d’ingrédients indiquées sur les emballages suivent et respectent chaque réglementation locale», explique Mars Wrigley. Reste que, pour un public français, cette absence d’indication de la présence de dioxyde de titane peut être trompeuse.
Sur les sites de commande en ligne des chaînes de grande distribution françaises Carrefour et Coopérative U, une page M&M’s Peanut Butter a un temps existé, où l’E171 n’était pas indiqué dans l’onglet «ingrédients». Dans la description affichée par Carrefour, qui précisait que le produit venait des Etats-Unis, on pouvait lire : «Malheureusement, il reste introuvable en Europe.» Dans les deux cas, les M&M’s beurre de cacahuète n’ont jamais fait partie du catalogue de références proposées au national par ces enseignes, mais se sont retrouvés sur leur site après y avoir été rentrés par un vendeur franchisé ou extérieur au groupe. «Ce produit n’a jamais été disponible sur le tronc commun national, c’est une initiative locale, fait valoir le groupe Coopérative U. Nous avons identifié un seul magasin, celui de U Montreuil Nouvelle France, qui a proposé ce produit. On a trouvé trace de la création de cette référence dans son assortiment en 2020.» Du côté de Carrefour, on note que «la page web relève de notre “marketplace” sur laquelle un vendeur indépendant a proposé ce produit sur une durée très courte il y a plusieurs années. Une seule vente a d’ailleurs été constatée.» Après avoir répondu à CheckNews, l’un comme l’autre ont procédé à la suppression de la fiche produit.
Huit fois supérieure à la dose limite
Pour les mêmes raisons, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes avait émis en 2021 un avis de rappel sur des sachets de M&M’s White chocolate. Il était alors question «de la présence d’un additif interdit», mais aussi «de teneurs en colorants excédant les limites maximales réglementaires». Car, outre l’utilisation de dioxyde de titane, la recette américaine des M&M’s présente une seconde entrave aux normes sanitaires européennes. Lors des analyses menées sur la variété Peanut butter, «le colorant E110 a été détecté dans des proportions allant de 63,4 mg/kg à 290,8 mg/kg en fonction de la couleur du produit», rapporte la direction des douanes, qui rappelle que «le taux maximum autorisé pour ce type de denrée est de 35 mg/kg».
Dans certaines couleurs de dragées, on trouve dès lors une concentration en E110 plus de huit fois supérieure à la dose limite. Or, des études suggèrent que lorsque ce colorant, utilisé pour sa teinte jaune orangée, est surdosé ou associé à certains conservateurs, il peut causer des troubles de l’activité ou de l’attention chez l’enfant. A noter que même dans la recette française, se trouve toujours un ingrédient controversé. Pour les M&M’s rouges, Mars Wrigley continue d’avoir recours au colorant carmin E120, dont le pigment est issu d’un insecte parasite, la cochenille. Suspecté de favoriser l’hyperactivité chez l’enfant, ce colorant est aussi cité comme cause d’allergies respiratoires et alimentaires.