«Mes amis, si cette lettre vous parvient, c’est que malgré les murs, les verrous et la peur, il existe encore des brèches par lesquelles la vérité peut se faufiler.» Ainsi commence le texte présenté comme une lettre écrite par l’écrivain Boualem Sansal depuis sa prison à Alger. Dénonçant «l’arbitraire du régime algérien», qualifié de «machine à broyer», et appelant les Français à ne pas céder aux «alliances de circonstance», cette lettre a fait le tour de différents réseaux sociaux, vu des centaines de milliers de fois, et a été reprise par certains médias, marocains notamment. Son authenticité est pourtant mise en doute par plusieurs proches de l’écrivain.
L’écrivain franco-algérien est emprisonné depuis novembre 2024 et a été condamné en appel début juillet à cinq ans d’emprisonnement pour «atteinte à l’unité nationale». La justice algérienne reproche à Boualem Sansal des déclarations au média français d’extrême droite Frontières, dans lequel il affirmait que l’Algérie avait hérité, sous la colonisation française, de territoires auparavant marocains. Quelques jours après sa condamnation en appel, la présidence algérienne avait publié un communiqué dans lequel l’hypothèse d’une grâce s’éloignait un peu plus.
Médias marocains et comptes français d’extrême droite
La première occurrence du texte en question, identifiée par CheckNews, est un tweet publié le mardi 12 août par Oualid Kebir. Se présentant comme journaliste indépendant et basé au Maroc d’après sa page Facebook, il publie sur son site des articles tantôt critiques envers le pouvoir algérien, tantôt favorable au Maroc. Contacté, Oualid Kebir affirme que la source de cette lettre est fiable : «Je peux simplement vous confirmer qu’elle provient d’une source confidentielle et parfaitement crédible. En revanche, pour des raisons évidentes de protection de cette source, je ne suis pas en mesure de fournir davantage de détails sur les conditions de transmission ni sur son identité».
Rapidement, sa publication est reprise par des médias marocains. Le soir même, le journal en ligne Barlamane évoque un «texte transmis à ses proches», tandis qu’un autre site, Hespress, parle d’une «lettre bouleversante» écrite «derrière les murs austères de la prison d’El Harrach». Le 13 août, cette lettre, parfois transformée en visuel, trouve un écho sur les réseaux sociaux, auprès de comptes français, notamment d’extrême droite (ici ou ici), dans des posts vus des centaines de milliers de fois. Le lendemain, c’est au tour du site Riposte laïque de la reproduire.
Incohérence sur le nom de la prison
L’authenticité de cette lettre est pourtant loin d’être confirmée. Contacté par CheckNews, l’avocat de l’écrivain, Pierre Cornut-Gentille, affirme que «la lettre attribuée à Boualem Sansal est un faux», et qu’il s’agit «manifestement d’une manipulation». Il en veut pour preuve que Sansal n’est pas incarcéré à la prison d’El Harrach, comme prétendu en signature du texte, mais dans celle de Kolea.
Une mise en doute partagée par Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie et ami de Boualem Sansal. En plus de l’incohérence concernant le nom de la prison, «je suis dubitatif sur sa véracité compte tenu des conditions de détention à la prison de Kolea. S’il y avait une lettre, elle serait passée par son avocat. Il est très difficile de communiquer avec l’extérieur», juge-t-il.
De son côté, la présidente du Comité de soutien de Boualem Sansal, Noëlle Lenoir, dit aussi n’avoir “aucune preuve de l’authenticité de la lettre”. “Cela nous paraît être une initiative venant d’opposants au régime soit sur place, soir ailleurs”, ajoute-t-elle. Deux autre sources proches du dossier mettent aussi sérieusement en doute la réalité de cette lettre.
Interrogé sur ces incohérences, Oualed Kebir répond laconiquement : «J’ai partagé ce que j’ai bien reçu.» D’après les statistiques de X, son texte a été vu plus de 360 000 fois, et repartagé à plus de 4 000 reprises.