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Cette vidéo illustrant l’effet de la sécheresse sur l’absorption de l’eau dans le sol est-elle pertinente?

Une démonstration du ruissellement de l’eau, devenue virale sur les réseaux sociaux, est contestée par de nombreux internautes.
L'expérience du ruissellement de l'eau a été diffusée sur France 2 lors de la météo, le 14 août.
publié le 19 août 2022 à 8h13

Question posée sur Twitter le 17 août.

Une vidéo illustrant l’effet de ruissellement de l’eau sur le sol lors d’un épisode de sécheresse, est devenue virale sur les réseaux sociaux ces derniers jours, allant jusqu’à être diffusée dans l’émission météo de France 2, dimanche 14 août. Publiée par l’université de Reading, au Royaume-Uni, la vidéo a pour objectif de montrer «combien de temps il faut à l’eau pour s’infiltrer dans un sol desséché», afin de comprendre «pourquoi de fortes pluies après une sécheresse peuvent être dangereuses et peuvent entraîner des crues éclair».

Sur la séquence, trois vidéos sont mises bout à bout. Chacune montre un verre rempli d’eau, retourné sur un sol très humide, moyennement humide ou très sec (de gauche à droite). Lorsque la feuille – qui permet de poser le verre à l’envers, afin que l’eau entre en contact avec le sol – est retirée sur les trois images, on observe trois schémas distincts.

Dans le premier, tout à gauche, où l’herbe est très verte et donc le sol humide, l’eau contenue dans le verre s’écoule très rapidement (10 secondes sur la vidéo). Dans le second, où l’herbe est moins verte et le sol de fait moins humide, l’eau infiltre le sol plus lentement (55 secondes). En revanche, sur la dernière vidéo où le sol est très sec, l’eau reste dans le verre.

Dans les commentaires sous la vidéo, plusieurs internautes pointent néanmoins des biais à cette expérience. «L’herbe épaisse crée beaucoup d’air autour de la base, l’herbe normale moins, cela fausse la démonstration», indique un premier. «Le facteur de vide dans la tasse n’est pas pris en compte», rétorque un second, ou encore «la conception de cette expérience semble être imparfaite, l’herbe aurait dû avoir la même longueur dans tous les scénarios pour garantir un test juste et comparable».

Une démonstration «simplifiée»

Contacté par CheckNews, le chercheur de l’université de Reading, Rob Thompson, à l’origine de la vidéo, explique que la démonstration avait avant tout pour objectif de démontrer un phénomène «de manière simplifiée», et non par le biais d’une «science rigoureuse». «L’intention était une démonstration d’un problème, d’une manière visuelle, pour mettre en lumière les dangers des inondations soudaines après une sécheresse», précise-t-il.

Selon le chercheur spécialisé en météorologie, «la démonstration est simple de par sa conception, et c’est en partie ce qui fait son charme et pourquoi je pense qu’elle a été si réussie. L’équipement était ce que la plupart des gens seraient capables de trouver, sans coût : une tasse et un objet à utiliser comme couvercle qui peut être rapidement retiré».

Pour répondre aux critiques, Rob Thompson nous renvoie vers la version plus longue de la vidéo, disponible sur YouTube. Sur celle-ci, on aperçoit que le chercheur finit par vider le verre d’eau sur l’herbe après plus de 4 minutes de vidéo et l’eau reste stagner à la surface. «L’étanchéité n’est pas parfaite (bien que les trois verres aient un certain niveau d’étanchéité – les verres se soulèvent lorsqu’ils se vident) et fait probablement une plus grande différence, mais cela ne change pas l’ordre de la vitesse de drainage», assure le chercheur.

«Bonne illustration du phénomène»

Juillet 2022 a été le mois avec le moins de précipitations (9,7 millimètres), depuis mars 1961 (7,8 mm) et le mois le plus sec jamais enregistré par Météo-France sur la période 1959-2022. Malgré quelques pluies et orages enregistrés depuis le début du mois d’août, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), indiquait dans un bulletin publié le 1er août, que les précipitations «ne devraient pas réussir à s’infiltrer en profondeur», en raison de l’état actuel des nappes phréatiques, particulièrement sèches.

Laurent Longuevergne, directeur de recherche spécialiste de l’hydrologie de terrain, à Geosciences Rennes, analyse ainsi le phénomène : «Un effet de sécheresse prolongé sur le sol, comme c’est le cas aujourd’hui après les longs épisodes de fortes chaleurs et l’absence de précipitations au mois de juillet, a pour conséquence de le rendre hydrophobe, ce qui signifie que l’eau va d’abord glisser à sa surface avant de s’infiltrer très lentement, voire parfois s’accumuler à un endroit et créer des flaques.» A l’inverse, lorsque le sol est humide, l’eau pénètre plus rapidement, on dit alors qu’il est hydrophile. «Cette vidéo est une bonne illustration de ce phénomène», ajoute le chercheur.

Le ruissellement peut dès lors créer des dégâts importants en cas de fortes pluies survenues après une période de sécheresse intense, en raison de l’accumulation de l’eau sur le sol. En juillet 2021, la Belgique et l’Allemagne ont ainsi connu un tel phénomène. Des inondations meurtrières avaient ravagé les deux pays. Selon Laurent Longuevergne, «le réchauffement climatique pourrait à l’avenir augmenter les épisodes de sécheresse et donc la survenue de tels phénomènes». Rob Thompson précise ainsi avoir souhaité «attirer l’attention du public sur un futur danger possible», avec sa vidéo.