De nombreux commentateurs accusent l’Ukraine d’avoir lâché des munitions sur des civils dans les rues de Donetsk, dans le Donbass, en se basant sur une vidéo massivement partagée depuis le 27 février sur les réseaux sociaux. Actuellement sous contrôle russe, cette région de l’est de l’Ukraine est en proie à un conflit opposant le régime ukrainien aux forces séparatistes pro-russes depuis 2014.
«Vous ne verrez jamais cela dans les grands médias occidentaux», assène le compte @ricwe123 qui partage ces images sur Twitter. Selon lui, la vidéo montre «un drone quaducopter ukrainien [qui] largue des grenades sur des civils dans la ville de Donetsk. Kyiv a maintenant atteint le stade où il ne prend même plus la peine de cacher ses crimes de guerre. Ils savent que l’Occident continuera à les soutenir…»
You will never see this in the western mainstream media:
— Richard (@ricwe123) February 27, 2023
Ukrainian quadcopter drone drops grenades on civilians in Donetsk city.
Kiev have now reached the stage where they don’t even bother hiding their war crimes.
They know that the West will continue to support them.... pic.twitter.com/Jv3rs1edLS
CheckNews a retrouvé des versions de ces deux séquences sur le réseau social Telegram. La première a été diffusée le 26 février par le compte @supernova_plus, qui mentionne la ville de Donetsk et le conflit qui y dure depuis neuf ans. Sur ces images, on peut voir un drone lâcher une grenade qui tombe à proximité de deux personnes marchant dans la rue. Des voitures circulent autour d’elles. L’impact de la bombe est bien visible sur la neige. La version originale, plus longue, montre qu’un des deux individus qui s’enfuit après l’impact au sol semble tenir une arme dans sa main.
La seconde a été partagée le 24 février sur Telegram par le compte @romabrova, appartenant à Roman Sinicyn, un médiatique bénévole ukrainien décoré par le président Volodymyr Zelensky pour son travail en tant que chef du département militaire de la fondation caritative Serhiy-Prytula, qui livre du matériel à l’armée. Très actif sur les réseaux sociaux, où il est suivi par des dizaines de milliers de personnes, il partage régulièrement des images des combats. La vidéo est présentée avec la légende suivante : «Hahaha. Salutations aux officiers du MGB [les services de sécurité à Donetsk, ndlr] et à quelques ordures de Donetsk de la part de la 59e brigade [une branche des Forces armées ukrainiennes, ndlr]. Les salutations ont été livrées et remises aujourd’hui directement à Donetsk.»
Grâce à des indications trouvées sur Telegram et aux éléments visuels disponibles sur ces images, CheckNews a pu authentifier que les deux scènes se déroulent dans l’ouest de la ville de Donetsk. Elles ont toutes deux été filmées sur la rue Dagestanskaya, au niveau de deux immeubles voisins, situés au numéro 48 et 50. Selon les informations disponibles sur le moteur de recherche russe Yandex et sur Google, les deux immeubles sont situés dans une zone résidentielle, où se trouvent divers commerces tels qu’une pharmacie, un marché ou une coiffeuse.
L’Ukraine justifie ces frappes
Sollicité par CheckNews, l’expert militaire et chef du Centre ukrainien pour la sécurité et la coopération Sergiy Kyzan défend les frappes de ces drones, sans préciser leur date. «L’armée ukrainienne adhère à toutes les règles et règlements de la guerre. Les personnes représentées dans la vidéo sont des représentants des forces de sécurité russes», estime-t-il. En gage de preuve, il soutient que «dans la première vidéo, les individus portent des uniformes kaki, sortent de la même pièce et l’un d’entre eux tient un fusil d’assaut, ce qui est clairement visible dans la vidéo non coupée».
Pour la deuxième vidéo, il justifie l’attaque par le fait qu’«on voit des personnes portant des uniformes vert foncé, semblables au camouflage russe. L’un des blessés a un chevron sur la manche droite et un bandage rouge sur la manche gauche, qui est utilisé depuis le début de l’invasion à grande échelle par les forces armées russes».
De ces observations, il conclut que «les personnes montrées dans la vidéo sont des militaires ou des représentants des forces de sécurité de la Fédération de Russie, c’est-à-dire qu’elles sont des cibles militaires absolument légitimes des forces armées ukrainiennes». L’expert militaire ukrainien cite également le commentaire sur Telegram d’«une personne qui se dit réfugiée de Donetsk, […] [qui] témoigne que le bâtiment de la deuxième vidéo, l’ancienne chaîne de supermarchés ATB au rez-de-chaussée, est utilisé comme une caserne pour les militaires russes depuis 2014. Après l’explosion, les militaires russes entrent dans le bâtiment, dont la couleur de la façade est typiquement bleue pour ATB». Si la façade du supermarché se trouvant au bas de l’immeuble est bien bleue, CheckNews n’a pas été en mesure de vérifier si ce commerce sert désormais de caserne pour les forces pro-russes.
Le maire de Donetsk déplore des tirs de drone dans sa ville
Du côté des adversaires de Kyiv, les attaques sur Donetsk ont été documentées sur les canaux Telegram des autorités locales. Durant les jours précédant la publication des deux vidéos, le maire de la ville, Alekseï Koulemzine, qui se revendique comme étant membre de la sécessionniste république populaire de Donetsk (soutenue par la Russie face à l’armée ukrainienne), a publié de nombreux messages sur son compte Telegram avertissant des bombardements touchant le quartier Kirovskyi, où se situent les deux attaques de drone.
Le dimanche 26 février, le maire mentionne que des Ukrainiens «ont largué des munitions d’un drone» à 14 h 15 dans le quartier Kirovskyi, sans préciser la cible exacte. Mi-février, l’élu avait déjà averti de tels tirs. Le plus souvent, ses messages évoquent des tirs d’obus visant sa ville. Le nom de la rue Dagestanskaya est cité comme ayant été touchée les 22 et 26 février, mais les cibles ne correspondent pas aux numéros des immeubles visés. Contactées par CheckNews, les autorités locales n’ont pas répondu à nos demandes de précisions sur les victimes des attaques des immeubles 48 et 50.
Confusion autour d’une autre frappe à Donetsk
A noter que ces vidéos sont au cœur d’une confusion. Plusieurs comptes pro-russes ont déploré récemment que l’Ukraine ait bombardé une ambulance, ce qui aurait causé des blessures ou la mort de plusieurs soignants. Ils ont souligné que l’armée ukrainienne a aussi fait circuler sur Internet les images de cette attaque mortelle.
Sur Twitter, l’ambassadeur adjoint de la Russie à l’ONU, Dmitry Polyanskiy a d’ailleurs partagé une photo de quatre personnes décédées en réponse à un tweet qui montrait la vidéo des deux séquences authentifiées par CheckNews. Le ministre de la Santé de la république populaire de Donetsk a également rendu hommage aux défunts, rapporte le site d’information russe Tass. Or ces victimes ne correspondent pas aux personnes potentiellement visées sur les images de la rue Dagestanskaya.
— Dmitry Polyanskiy (@Dpol_un) February 27, 2023
Selon les différentes présentations faites par les médias russophones, il s’agit des ambulanciers Marina Semenikhina, Darya Dronova, Evgeny Manayev et le chauffeur Alexandr Grigorenko, qui auraient été tués à Petrovsky, un autre quartier de la ville. Le maire de Donetsk a publié une photo de leur ambulance détruite le 23 février. Une vidéo montrant la frappe a depuis été géolocalisée à Petrovsky, soit à 8 kilomètres au sud des deux frappes ayant touché le quartier de Kirovsky. Plus explosive, elle aurait pu être tirée par des lances-roquettes Himars.
L’information a fait l’objet d’une reprise par l’agence de presse britannique Reuters, qui dit n’avoir pas pu vérifier le bilan fourni par les autorités. Selon la dépêche, «il n’y a pas eu de commentaire immédiat de la part des autorités ukrainiennes, qui affirment que les forces russes ont tué des milliers de personnes dans des attaques similaires contre des zones civiles». On retrouve également cette formulation sur le site d’information ukrainien Ostro, un des seuls médias pro-Kyiv ayant repris l’information.
Interrogé par CheckNews sur ces morts présumées de civils, le chef du Centre ukrainien pour la sécurité et la coopération, Sergiy Kyzan n’apporte pas d’éléments précis sur l’objectif de la frappe, mais estime qu’ « il n’y a pas d’information fiable sur le décès des ambulanciers. La vidéo du quadcoptère ne permet pas d’affirmer avec certitude que la voiture blanche est bien une ambulance, car elle ne présente aucun signe distinctif (bandes rouges, inscriptions bleues, etc.) ».