Les records de températures mondiaux seraient-ils liés à l’éruption d’un volcan il y a un an et demi ? Alors que les scientifiques ont établi que le mois de juillet avait été le plus chaud jamais enregistré sur la planète, plusieurs commentateurs, avec plus ou moins de prudence, établissent un lien possible avec l’éruption du Hunga Tonga, volcan situé dans les îles du même nom, en janvier 2022. Certains climatosceptiques, tels François Asselineau, ce 4 août sur Twitter, brandissent cette thèse pour disculper les émissions de CO2. Asselineau renvoie à un article de l’association des «climato-réalistes», principal groupement de climatosceptiques français, affirmant que l’éruption du Hunga Tonga «pourrait avoir contribué au réchauffement de 2023».
L'éruption du #volcan des Tonga a éjecté environ 150 millions de tonnes d'eau dans la stratosphère, augmentant la masse d'eau de la haute atmosphère mondiale d'environ 15 %. En tant que puissant gaz à effet de serre, cette eau pourrait avoir contribué au réchauffement de 2023. https://t.co/Bp6chIJk1x
— Association des Climato-Réalistes (@AssoClimatoReal) August 2, 2023
Rejets de vapeur d’eau dans la stratosphère
Cette hypothèse d’une contribution de l’éruption au réchauffement des températures, loin de se limiter aux cercles climatosceptiques, a agité la communauté scientifique mondiale. Dans un article publié en janvier, Libération expliquait que «l’éruption aux Tonga augmentait le risque de dépasser temporairement +1,5°C de réchauffement». «Habituellement, note l’article, les particules de dioxyde de soufre, de poussière et d’aérosols expulsées lors des éruptions volcaniques majeures réfléchissent la lumière du soleil loin de la planète, la refroidissant temporairement.»
Sauf que le Hunga Tonga, ajoutait Libé, n’est pas un volcan de surface. Comme l’explique un article du Journal du CNRS, c’est un volcan sous-marin, dont la chambre magmatique «ne se trouve qu’à quelques dizaines de mètres sous la surface». L’éruption a donc fait entrer en contact des quantités de lave extrêmement chaude avec l’eau de mer proche de la surface, ce qui a causé son évaporation : résultat, «environ 140 mégatonnes de vapeur d’eau ont été injectées dans l’atmosphère», causant une hausse de la masse d’eau présente dans la stratosphère de 13 %.
Or, la vapeur d’eau est un gaz à effet de serre puissant. Dans les couches de l’atmosphère les plus humides, comme la troposphère, l’arrivée d’un excès de vapeur d’eau se transforme en précipitations, ce qui l’empêche d’avoir un impact sur le climat. En revanche, comme l’explique le physicien-climatologue François-Marie Bréon, «la stratosphère est extrêmement sèche. Quand il y a injection de vapeur d’eau dans la stratosphère, elle y reste plusieurs années», et peut donc avoir un effet «potentiellement significatif» sur le climat.
Vers un effet négligeable
Les principales études, toutefois, n’évoquent pas d’impact majeur sur le réchauffement. Si l’étude britannique publiée en janvier dans Nature indiquait bien que «l’éruption aux Tonga augmente les chances d’une anomalie des températures de surface au-dessus de 1,5°C», il s’agissait d’une augmentation de 7 % de la probabilité de dépasser la barre des 1,5°C au cours des cinq années à venir, et non d’un réchauffement de cette ampleur.
Contacté par CheckNews, Stuart Jenkins, auteur principal de cette étude et membre du département de physique de l’université d’Oxford, explique que l’éruption est bien «susceptible de légèrement réchauffer la planète au cours des cinq années à venir». Un réchauffement, certes, mais extrêmement léger : selon Jenkins, il pourrait atteindre «peut-être +0,05°C à son pic». Ceci alors même que l’étude n’inclut pas l’impact des émissions de dioxyde de soufre (SO2), considérées comme «négligeables» par rapport à l’effet de la vapeur d’eau et à la persistance dans l’atmosphère «trop courte».
Quant aux anomalies climatiques observées cette année, «l’éruption aux Tonga explique mal leur répartition spatiale», selon Jenkins, qui affirme qu’«elles sont bien mieux expliquées par les émissions de gaz à effet de serre à long terme ou par le développement d’El Niño dans le Pacifique Est cette année» – deux causes également majoritaires pour expliquer les récents records de température au niveau mondial, selon l’ONG scientifique Berkeley Earth. Bref, d’après Jenkins, «l’éruption aux Tonga n’est susceptible que de jouer un rôle secondaire dans les températures extrêmes observées cette année».
Deux autres études, publiées en 2022 et relevées dans un post de blog par Andrew Dessler, climatologue à l’université A & M du Texas, estimaient même que l’effet global de l’éruption conduirait à un refroidissement du climat – là encore, temporaire et extrêmement léger. Dessler, lui, déclare à CheckNews «travailler sur une publication», en cours d’évaluation par les pairs (relecture par d’autres scientifiques avant corrections et publication) et dont les résultats s’annoncent «globalement cohérents avec les travaux antérieurs» sur le sujet.
Des anomalies à la hausse, mais en hiver ?
Une étude plus récente, soumise fin juillet et venue d’Australie, évoque une possible augmentation ponctuelle des températures de 1,5°C. Cependant, il ne s’agit pas d’un réchauffement global, mais de hausses de températures localisées, sur la période 2025-2029, limitées à certaines saisons – et compensées par des baisses ailleurs sur le globe. Parmi les régions les plus touchées, l’Amérique du Nord pourrait subir une hausse des températures de surface «de plus de 1,5°C» en hiver, là où la Scandinavie pourrait subir un refroidissement «proche de 1°C» au cours de la même période. L’auteur principal de l’étude, Martin Jucker (université de Nouvelle-Galles du Sud), insiste toutefois sur le fait que ces résultats sont eux aussi en cours d’évaluation par les pairs, donc en attente de validation.
Interrogé par CheckNews, Jucker précise que ces anomalies sont censées se traduire par «des hivers plus chauds dans l’hémisphère Nord pendant plusieurs années, mais pas par des vagues de chaleur en été» comme celles observées actuellement. Quant aux températures mondiales, son étude, qui prend elle aussi uniquement en compte le rôle de la vapeur d’eau, n’aboutit qu’à un «très léger réchauffement» de 0,03°C à 0,05°C – dans la droite ligne de l’étude de Jenkins. De quoi permettre à Jucker d’être catégorique : «Non, l’éruption n’explique pas les anomalies de température observées en 2023.»