Comment parler d’une seule voix quand on est en désaccord sur plusieurs sujets ? C’est un des défis du Nouveau Front populaire. A ce jour, la solution trouvée semble être une communication commune réduite à l’essentiel, laissant la plupart du temps chaque parti communiquer de son côté, parfois en ordre dispersé. Depuis la création de l’alliance de gauche contre la menace du Rassemblement national, on compte en effet seulement quatre communiqués communs, sur les sujets les plus consensuels : le 10 juin, 13 juin, 9 juillet et 23 juillet.
Les communiqués «se font de manière coordonnée avec les responsables des quatre partis. Quelqu’un propose une trame et chacun amende la proposition», explique un cadre de La France Insoumise. Les communiqués sont ensuite publiés sur les sites Internet et les réseaux sociaux des différents partis, mais pas sur le site du NFP.
Ce site Internet est pourtant le seul élément de communication «officiel» du NFP. «Il n’y a pas de compte [sur les réseaux sociaux, ndlr] officiel des quatre partis réunis», explique ainsi une cadre du Parti communiste français à CheckNews. Le site commun est, lui, géré par le Parti socialiste, nous explique la même source. Les mentions légales du site nouveaufrontpopulaire.fr citent en effet en éditeur le PS, et comme directeur de publication Pierre Jouvet, son secrétaire général. Le précédent site officiel de l’alliance de gauche – alors appelé la Nupes – avait pour éditeur Jean-Luc Mélenchon et comme directeur de publication Manuel Bompard, de La France Insoumise. Interrogée par CheckNews sur ce «passage de relais», une cadre de LFI dit ne pas savoir comment s’est faite la «récupération».
Très peu de contenu sur le site officiel
Mais la «mainmise» du PS sur l’outil de communication est, de toute manière, peu susceptible de générer des tensions, vu le peu de contenu hébergé sur le site. Tout au plus peut-on y trouver un clip, le programme, la présentation du financement du programme et un kit de mobilisation militante. Même les communiqués officiels du NFP n’y figurent pas.
En marge de cette communication réduite au minimum fourmillent en revanche de multiples comptes et sites arborant le logo et le nom du NFP, mais sans aucun caractère officiel. Dans la majorité des cas, ils sont tenus par des militants, et affichent, inévitablement, une proximité plus grande avec certains mouvements du NFP.
Ce lundi, le compte X «Nouveau Front populaire (ex Nupes News)», aussi appelé «Gauches rassemblées», publiait par exemple un texte peu amène vis-à-vis du PS, en réaction à un article du Monde : «Les socialistes ne seraient pas opposés à la candidature de Bernard Cazeneuve. Alors que le NFP a proposé Lucie Castets, au sein du parti à la Rose la stratégie de la trahison refait surface.»
🔴⚡ Info @lemondefr Les socialistes ne seraient pas opposés à la candidature de @BCazeneuve | Alors que le NFP a proposé @CastetsLucie, au sein du parti à la Rose la stratégie de la trahison refait surface. Seul @faureolivier résiste : «tout autre candidat que Lucie Castets… pic.twitter.com/COtx0T3vtf
— Nouveau Front Populaire 🟢🔴🟡🟣🔴 (@NupesNews) August 19, 2024
Avec ses 14 000 publications et 21 000 abonnés, le compte n’a toutefois rien d’officiel. Contacté par CheckNews, l’animateur du compte précise que «le compte @NupesNews n’est pas un organisme de communication officielle du NFP», se présente personnellement comme un «militant de gauche, d’une gauche de rupture», mais ne revendique pas de proximité particulière avec LFI (sauf sur la «question européenne»). Et d’ajouter : «Ce qui m’importe c’est que le NFP vive le plus longtemps possible avec ses nuances. Aujourd’hui un cap a été franchi au sein de la base électorale de la gauche, contrairement à ce qu’on pourrait croire les électeurs se fichent de l’étiquette, ce qui importe c’est le programme.»
Des sympathisants LFI derrière certains outils de com
L’analyse des différents comptes estampillés «Nouveau Front populaire», souvent associés à un territoire, démontre des profils similaires de militants gestionnaires, plutôt proche de la ligne insoumise. Le compte X «Nouveau Front populaire Bordeaux» était ainsi anciennement nommé «BdxUnionPop», du nom de «l’Union Populaire», la plateforme insoumise pour l’élection européenne de juin et de celle de Jean-Luc Mélenchon aux présidentielles de 2022. Idem pour les comptes «Nouveau Front populaire 93», «Nouveau Front populaire-Union populaire Lozère» et «Nouveau Front populaire Palaiseau», respectivement anciennement appelés «UnionPop93», «UnionPopLozère» et «UnionPop911120». Une tendance qu’on retrouve sur Facebook avec le groupe «NFP» le plus suivi, «Le Nouveau Front populaire dans les médias» (14 000 membres), qui relaie majoritairement du contenu plutôt proche de la ligne insoumise.
Sur Instagram, les deux comptes les plus suivis sont les pages @nouveau.front.populaire et @frontpopulaire.2024 avec respectivement 64 000 et 63 000 abonnés. Le créateur du compte @frontpopulaire.2024, contacté par CheckNews, revendique le fait d’avoir «essayé de mettre tous les partis» et se décrit lui-même comme un militant avec un parcours éclectique au sein de la gauche. «J’ai été impliqué dans un syndicat lycéen, puis un syndicat CGT et dans des partis de gauche, en premier chez le Parti de gauche et ensuite j’ai bougé sur Nice et je me suis adapté au climat niçois et donc j’ai plutôt soutenu le PS et aujourd’hui je suis chez les verts», décrit-il à CheckNews. L’animateur de @nouveau.front.populaire n’a pas répondu aux sollicitations de CheckNews. Il évoque dans la description de sa page une «gauche de rupture», et épingle une story qui renvoie vers le réseau social militant «Action Populaire» qui est géré par LFI.
On retrouve aussi des militants proches des insoumis derrière certains outils de communication comme le «simulateur d’impôts du Nouveau Front populaire». Son lancement avait été remarqué, avec 40 000 utilisateurs par jour avant les législatives. «Je ne fais pas partie d’un parti, explique à CheckNews un des créateurs du site. On est trois dans le projet, on est des militants et on s’est organisé autour d’un Discord [application de messagerie, ndlr], la Barricade, qui à la base est un Discord LFI». Estampillé à l’origine «simulateur du NFP», le site avait fait l’objet d’un rappel à l’ordre sous la forme d’un tweet des Ecologistes : «Le simulateur d’impôts en ligne n’est pas un site officiel du #NouveauFrontPopulaire ni d’aucun de ses partis.»
Précision a ensuite été apportée sur la page d’accueil que l’outil était un simulateur «non officiel». Un encadré a également été ajouté mentionnant que l’outil a été réalisé par des militants bénévoles du NFP. Ce qui n’a pas suffi à totalement à clarifier les choses. En effet, Clémence Guetté, députée insoumise du Val-de-Marne, a, ensuite donné du crédit au simulateur, en y faisant référence lors d’une intervention sur France 2, pour préciser le programme économique du NFP dans l’entre-deux-tours des législatives. Ce qui avait poussé Checknews à y consacrer un article.
«Pour l’instant c’est chaque parti qui joue pour sa paroisse»
Comme nous l’écrivions à l’époque, il était toutefois impossible de savoir si les barèmes fiscaux sur lequel se basait le simulateur relevaient d’une décision de l’ensemble des partis composant le NFP. Le site indiquait seulement que le simulateur était «cohérent avec le programme du Nouveau Front populaire ainsi que les déclarations de ses représentants». Sans affirmer, donc, que les barèmes proposés faisaient l’objet d’un consensus. Interrogés sur le sujet par CheckNews, Olivier Faure et Marine Tondelier ne nous avaient pas répondu.
Pour expliquer la forte implication de ces militants proche de La France insoumise dans la gestion de structures estampillés «Nouveau Front populaire», la cadre de LFI que nous avons interrogée cite «une force de frappe importante de La France insoumise sur les réseaux sociaux et le système des groupes d’actions [cellules militantes locales de LFI, ndlr], qui permet une certaine autonomie et donc une émulation des militants». Parmi ses militants impliqués dans la communication non officielle du NFP, certains appellent néanmoins à une institutionnalisation de celle-ci. «J’aurais aimé avoir un lien avec les chefs de partis pour institutionnaliser la com, pour l’instant c’est chaque parti qui joue pour sa paroisse», déplore le créateur du compte Instagram frontpopulaire.2024.
De fait, personne n’est pour l’instant dédiée à la seule communication du NFP, laquelle n’existe donc pas au-delà d’un site peu animé. Même Lucie Castets, pourtant désignée par les partis du NFP pour le poste de Première ministre, ne bénéficie pas d’une équipe de communication organisée et rémunérée. D’après son entourage, ils sont une vingtaine de proches et d’amis (notamment venus du collectif Nos Services publics) ou de hauts fonctionnaires à l’aider bénévolement sur leurs congés respectifs. «Il n’y a pas de community manager, c’est Lucie qui gère son propre compte Twitter et Instagram, nous on lui file un coup de main sur nos congés et on l’accompagne sur ses déplacements», nous explique une membre de l’entourage de la candidate à Matignon.
Mais alors que la Nupes avait développé un dense réseau de structures communicationnelles officielles – un site Internet fourni, un compte officiel sur Twitter, Facebook, YouTube, TikTok et Instagram, par ailleurs largement favorables à la ligne insoumise – le NFP n’a pas prévu, pour l’heure, d’étoffer sa communication institutionnelle.