Question posée par Yannick le 23 janvier
Appuyant la thèse, notamment développée par Didier Raoult (IHU de Marseille), selon laquelle la vaccination pourrait favoriser l’épidémie, d’aucuns soutiennent que les pays les mieux vaccinés sont aussi ceux qui comptent le plus de morts du Covid-19.
Il en est ainsi de ce thread, relayé plusieurs centaines de fois, et dont le commentaire du premier tweet est le suivant : «Pour ceux qui prétendent que @raoult_didier cite des chiffres erronés, voici une présentation issue des données d’@OurWorldInData pour les pays les plus et les moins vaccinés, montrant à la fois les décès récents (abscisse) et totaux (surface des bulles)». Le tweet est accompagné du graphique suivant, suggérant que plus les pays sont vaccinés, plus ils comptent de morts par million d’habitants.
Plus loin dans le thread, la question de la non-fiabilité des données est balayée d’un revers de main, au prétexte que les chiffres concernant les décès pour les pays les moins vaccinés sont collectés par l’OMS.
La série de tweets s’achève par ces interrogations : «Ces graphes ne prétendent pas montrer de corrélation, encore moins de causalité, mais juste inciter à se poser les questions : une bonne partie des pays vaccinés s’en sortent très mal, pourquoi ? Une bonne partie des pays peu vaccinés s’en sortent très bien, pourquoi ?»
N’en déplaise à cette internaute, la première difficulté dans les comparaisons internationales en termes de bilan est bien celle des données. Et qu’elles soient puisées auprès de l’OMS (qui n’a fait que les collecter auprès des pays en question) ne les rend pas plus pertinentes. Les capacités en tests et /ou la volonté politique de livrer des chiffres au plus proche de la réalité sont extrêmement variables suivant les pays.
En témoigne l’article que nous avions consacré à la Russie en mars 2021, expliquant que cet Etat déclarait, depuis le début de l’épidémie, six fois moins de morts du Covid qu’elle n’avait connu d’excès de mortalité. Et ce pays n’était qu’un exemple parmi d’autres, au sein des 81 étudiés.
Qu’en est-il des Etats figurant en bas à gauche du graphique accompagnant le tweet et censés illustrer les «pays peu vaccinés qui s’en sortent très bien» ? Pour la quasi-totalité, ils se situent en Afrique, où évidemment les capacités en tests ne sont pas du tout les mêmes qu’en Europe ou en Amérique du Nord. Dès lors, il s’avère très difficile de savoir qui est décédé de quoi. «En Afrique, moins de la moitié des naissances et seulement 10 % des décès sont enregistrés chaque année. [Et] les causes des décès n’ont été déclarées que dans 8 % des cas enregistrés dans les pays à faibles revenus», explique Abdou Salam Gueye, directeur régional des opérations d’urgence de l’OMS, interrogé par Jeune Afrique.
Sans même parler du Covid, le continent apparaît comme un angle mort statistique. «Dans nombre de ces pays, il n’y a tout simplement pas de registre d’état civil. Les naissances ou décès sont très mal rapportés, confirme l’épidémiologiste Antoine Flahault (université de Genève). On avait essayé de travailler sur les excès de mortalité, mais on n’a pas les données. Pour les pays de l’OCDE, il n’y a pas de souci, mais pour les pays les plus pauvres, c’est quasiment impossible, surtout en temps réel.»
Difficile donc, de contourner l’écueil du manque de tests par la surveillance de la surmortalité. Sur @OurWorldInData, pour reprendre la même source que la twittos, l’excès de mortalité de ces pays n’est d’ailleurs pas disponible.
Le fossé a plutôt tendance à se réduire depuis le printemps 2021
En raison de ces biais – pas de veille sanitaire, de tests, de registres d’état civil fiable –, «la comparaison de ces pays avec les pays les plus vaccinés, qui sont aussi les plus riches, dotés d’une vraie veille sanitaire, n’a donc pas vraiment de sens», estime Flahault. Au-delà de ce problème de remontée de données, il est néanmoins possible que certains Etats aient moins souffert du Covid-19. «Outre la pyramide des âges, plus jeune, la question de la ventilation, primordiale pour contrer la diffusion du virus, n’est pas du tout la même. Dans les pays tempérés, on ferme les fenêtres en hiver. Une grande partie de l’Afrique bénéficie, elle, d’une sorte d’été permanent.»
Qu’elle soit liée à une moindre virulence de l’épidémie ou à une absence de données pour en rendre compte (ou aux deux phénomènes), la différence entre les deux groupes de pays s’observait, de toute façon, avant que ne débutent les campagnes de vaccination. En témoigne le graphique ci-dessous, où pour des raisons de lisibilité et à des fins de comparaison, n’ont été conservés comme pays du groupe «des pays vaccinés [qui] s’en sortent très mal» que le Royaume-Uni et la France.
En réalité, le fossé a même plutôt tendance à se réduire depuis le printemps 2021. Et pour cause : dans la catégorie des pays fortement vaccinés qui «s’en sortent mal», le nombre de décès a très nettement baissé depuis la vaccination. Notamment en cette période hivernale, alors même que les mesures de restrictions (confinement, couvre-feu) ne sont plus en vigueur.