«La mobilisation générale et l’évacuation des citoyens» russes des zones frontalières de l’Ukraine ? Plusieurs vidéos diffusées ce lundi 5 juin montrent une prise de parole de Vladimir Poutine à la télévision russe mais aussi à la radio. Dans cette adresse à la nation d’urgence, le président russe annoncerait l’arrivée de troupes ukrainiennes dans les régions de Kursk, Belgorod et Bryansk, selon le média russophone Holod, ainsi qu’une mobilisation générale et l’instauration de la loi martiale pour y faire face.
The Kremlin rushed to state that someone hacked Russian TV and radio channels, and posted an allegedly fake video with Putin announcing the invasion of Ukrainian troops into the border regions of #Russia, as well as the general mobilization and evacuation of citizens. pic.twitter.com/pGGtxtlygq
— Hanna Liubakova (@HannaLiubakova) June 5, 2023
Problème : Vladimir Poutine n’a pas pris la parole ce lundi 5 juin pour une adresse d’urgence à la nation. Selon toute vraisemblance, cette vidéo serait en fait un faux créé en utilisant la technique dite du deepfake. Celle-ci permet de truquer une vidéo grâce à l’intelligence artificielle (deep learning), en remplaçant par exemple le visage et la voix d’une personne sur une vidéo, par ceux d’une autre personne.
En l’occurrence, de l’avis général, la voix du président russe était particulièrement bien imitée (même si certains russophones avisés ont noté de subtiles incohérences d’accents sur certains mots). Rendant l’adresse potentiellement crédible, notamment dans sa version radio (tandis que la version vidéo pâtit de mouvements peu naturels de la bouche du «faux Poutine»).
В Воронежской области по радио включили фейковое обращение Путина о введении военного положения и всеобщей мобилизации в Курской, Белгородской и Брянской областях.
— Холод (@holodmedia) June 5, 2023
«Причин для беспокойства нет», — прокомментировали видео в правительстве региона.
Видео «Воронеж №1» pic.twitter.com/vPQRWyKuWy
L’agence de presse russe Tass, peut-être pour éviter un mouvement de panique, a rapidement confirmé l’incident en indiquant que «le président russe Vladimir Poutine n’a pas fait d’adresse d’urgence à la télévision et à la radio le 5 juin». La dépêche précise : «La vidéo diffusée sur certains réseaux est [le résultat d’un] piratage, et des experts s’en occupent déjà, a déclaré le responsable presse de la présidence, Dmitry Peskov, à Tass.»
«Rien à voir avec Mir»
Si la nature et les circonstances exactes du piratage ne sont pas encore connues, les cibles n’étaient pas des moindres. Ce sont les antennes TV et radio de la Mir, basées à Moscou et diffusées en langue russe dans de nombreux pays qui composaient l’URSS, qui ont ainsi été compromises pendant près de quarante minutes, entre «12h41 et 13h18» locale ce lundi, selon un communiqué du groupe. «Toutes les informations» publiées à ce moment-là «n’ont rien à voir avec Mir et sont des faux et une provocation», estime Mir. Et d’autres chaînes de télévision pourraient être concernées, selon Tass.
Un tel piratage pourrait bien constituer une première, de par son ampleur et la technique utilisée. Et ce même si le «deepfake» n’est pas totalement nouveau : des exemples relativement convaincants circulaient déjà en 2018 (comme avec cette fausse vidéo de Barack Obama). De nombreux analystes alertaient depuis sur la menace qu’elle constituait en termes de désinformation. Pour autant, les exemples concrets de manipulation ou de véritables campagnes de désinformation à grande échelle manquaient, notamment sur des canaux traditionnels comme la radio ou la télévision.
A noter sur ce point que la stratégie n’est pas étrangère au conflit ukrainien. Au début de la guerre, le site internet d’une chaîne de télévision ukrainienne avait été piraté afin de diffuser une fausse vidéo (particulièrement grossière dans sa réalisation) utilisant le deepfake, dans laquelle le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, appelait à la reddition. Un piratage qui n’avait toutefois pas touché les antennes, contrairement à l’exemple russe d’aujourd’hui. Sur les réseaux sociaux, des comptes ukrainiens y avaient alors répondu avec une deepfake similaire de Poutine, tout aussi mal réalisée.
Un autre cas, plus étonnant, est l’utilisation de cette technique par deux «humoristes» (qualifiés de pirates par l’entreprise de cybersécurité Proofpoint) russes pour piéger différents hommes politiques, notamment François Hollande.
Climat tendu pour Moscou
Cette action, qui n’a pas encore été revendiquée, s’inscrit dans un climat particulièrement tendu pour les autorités russes. Depuis plusieurs semaines, les forces armées ukrainiennes et le renseignement de Kyiv s’appliquent à augmenter la pression militaire et psychologique sur Moscou. Une tactique qui se traduit concrètement par la multiplication des frappes et des incursions militaires sur le sol russe, autour de Belgorod, mais aussi avec divers «coups» informationnels, notamment des spots de propagande annonçant l’arrivée de la contre-offensive ukrainienne.
Et entre les lignes, la réaction de Moscou ne respire pas toujours la sérénité. Alors que les premiers signes d’une poussée ukrainienne apparaissent depuis plusieurs jours, le Kremlin s’est empressé ce 4 juin de prétendre que «l’offensive» avait été repoussée à travers son ministère de la défense, et ce alors que les opérations sont toujours en cours.