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Délinquance : Macron et Darmanin trafiquent les chiffres en bande organisée

Le Président affirme que la délinquance «baisse» en 2023. Le ministre de l’Intérieur se félicite d’une chute de 15 % des «violences en général». Une majorité des indicateurs du service statistique de Beauvau pointent pourtant à la hausse sur les huit premiers mois de l’année.
Gérald Darmanin à Assemblée nationale, le 5 octobre. (Bertrand Guay/AFP)
publié le 7 octobre 2023 à 13h04

L’embellie après les mauvais chiffres de 2022 ? Le 28 septembre, le service statistique du ministère de l’Intérieur (SSMSI) a publié son bilan annuel de l’insécurité et de la délinquance : sur dix-huit indicateurs suivis, dix-sept pointent à la hausse. Mais les chiffres 2023 sont à la baisse, ont immédiatement tenu à rassurer Gérald Darmanin et Emmanuel Macron. Alors que le Président a dévoilé la carte des 238 nouvelles brigades de gendarmerie, il assurait lundi sur France 3 : «Je regarde les sept premiers mois de l’année 2023, la délinquance baisse dans nos territoires, y compris les territoires ruraux.» Le lendemain, au micro de France Info, c’est le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui ajoutait même que la baisse était «très importante». Relativisant les mauvais indicateurs de 2022, il se félicitait : «2022, c’est la suite du Covid, une augmentation générale de l’insécurité partout sur le territoire européen. Heureusement depuis le 1er janvier 2023, il y a une baisse très importante de la délinquance qui a été rappelée hier par le président de la République chez vos confrères de France 3 : moins 15 % de violences en général.»

Interrogé par CheckNews sur l’origine de cette baisse de 15 % des «violences en général», le cabinet de Gérald Darmanin explique que le ministre se base sur les chiffres de janvier à août, et cite, les «violences aux personnes dans les transports en commun», qui seraient en baisse de 15 %, ainsi que les «vols avec violence» (-11 %) et les «vols violents sans armes» (-12 %).

La baisse de 15 % des violences aux personnes dans les transports est invérifiable, puisqu’elle ne fait pas partie des indicateurs que publie chaque mois le SSMSI.

Un artifice de com

On peut vérifier en revanche, sur le site Interstats, l’évolution des «vols violents sans arme» : leur nombre baisse (selon nos calculs) d’environ 13 %, si on compare les huit premiers mois 2023 à la même période en 2022.

Il est également possible de reconstituer l’évolution des «vols avec violence» (qui n’existe pas en tant que tel comme indicateur pour le SSMSI) qui baissent de 12 %.

Mais ces deux baisses ne font pas deux bonnes nouvelles. Le fait de donner les deux chiffres est un artifice de com, car ces deux catégories se recoupent quasiment : les «vols avec violence» sont composés à près de 90 % des «vols avec violence sans arme». Il n’est donc guère étonnant que les deux catégories évoluent quasiment de la même manière. La seule différence entre les deux est que les vols violents intègrent aussi les vols avec arme (beaucoup moins nombreux), qui ont baissé de 5 % entre les huit premiers mois de l’année 2023 et la même période en 2022.

Mais au-delà de ce petit tour de passe-passe, Gérald Darmanin occulte la hausse d’autres faits de délinquance, pourtant suivis par le SSMSI, et qu’on peut ranger sous le terme de «violences en général».

Ainsi, les «coups et blessures volontaires» ont progressé de plus de 6 % par rapport à la même période en 2022, alors que les homicides sont en progression de 8 % et les violences sexuelles en hausse de 5 %.

Pour les huit premiers mois de 2023, sur les cinq indicateurs du service statistique du ministère ayant trait à des faits violents, l’un est en baisse de 12 % (vols violents sans arme), un autre en baisse de 5 % (vols violents avec arme), mais trois autres pointent à la hausse (homicides, +8 %), coups et blessures volontaires (+6 %) et violences sexuelles (+5 %).

On voit mal par quelle opération magique le cocktail de tout cela aboutirait à une baisse des «violences en général» de 15 %.

Les homicides en hausse

Le constat vaut aussi par Emmanuel Macron, qui évoque, de manière floue, une «baisse de la délinquance» que les statistiques peinent à confirmer.

Car sur les 13 indicateurs du SSMSI, cinq sont en baisse sur les huit premiers mois de 2023 : vols violents sans arme (-13 %), vols avec arme (-5 %), vols sans violences contre des personnes (-2,7 %), vols d’accessoires sur véhicule (-6,5 %) et trafic de stupéfiants (-2,3 %).

Mais huit sont en hausse : coups et blessures volontaires (+6 %), homicides (+8 %), violences sexuelles (+5 %), cambriolages de logement (+1,5 %), vols de véhicule (+3 %), vols dans les véhicules (+1,8 %), destructions et dégradations volontaires (+1 %), escroqueries (+6 %).

On rappellera que la hausse (ou la baisse) des faits de délinquance enregistrés par les forces de l’ordre ne traduit pas forcément l’évolution de la délinquance elle-même, puisqu’elle peut traduire aussi l’activité des forces de l’ordre, ou une hausse du taux de plainte des victimes (en matière de violences sexuelles notamment).