Des drapeaux palestiniens, iraniens, libanais… Nombreux sont les étendards brandis dans les manifestations de soutien aux Palestiniens de Gaza organisées depuis un mois à travers l’Europe. Mais l’un d’eux, affichant un texte rédigé en arabe, écrit souvent en blanc sur fond noir, plus rarement en noir sur fond blanc, s’est fait davantage remarquer que les autres. Pour cause : il est présenté comme celui de l’organisation terroriste Etat islamique, ou Daech. «Rappelez-moi pourquoi personne ne s’inquiète de voir des drapeaux de Daech brandis dans les capitales européennes ?» écrivait une ancienne conseillère de l’ambassadeur d’Israël aux Nations unies sur la plateforme X (ex-Twitter) mercredi 8 novembre, accompagnant son tweet d’images filmées lors d’un défilé dans la capitale danoise, Copenhague. Une séquence ensuite relayée par la journaliste française Marion Van Renterghem, qui mentionne des «drapeaux de l’Etat islamique», ou par l’ancien policier zemmouriste Bruno Attal.
Marche “pour la paix” avec les drapeaux de l’Etat islamique au Danemark.pic.twitter.com/2G87AVBrxX
— Marion Van Renterghem (@MarionVanR) November 8, 2023
Quelques jours plus tôt, ces mêmes drapeaux avaient beaucoup fait parler d’eux après avoir été exhibés dans une manifestation organisée dans la ville allemande d’Essen. «Le drapeau du califat déployé en Allemagne», avait par la suite annoncé CNews dans un bandeau diffusé à l’antenne. A la mi-octobre déjà, leurs présences dans des cortèges à Amsterdam ou à Londres avaient été très commentées. La police londonienne avait alors elle-même réagi en expliquant que «les drapeaux sur la photo ne sont pas ceux de Daech. Ils représentent la “chahada”, qui est une déclaration de foi dans l’islam. Les drapeaux de Daech peuvent sembler similaires mais ne sont pas les mêmes».
«Des drapeaux musulmans génériques»
En effet, le texte figurant sur ces drapeaux est la profession de foi des musulmans, premier des cinq piliers de l’islam, que l’on appelle la «chahada». La profession de foi tient en une seule phrase, que l’on peut traduire ainsi : «J’atteste qu’il n’y a pas de dieu en dehors de Dieu et que Mahomet est son prophète et son envoyé.» Sur le drapeau de Daech, n’apparaît que le début de la chahada («il n’y a pas de dieu en dehors de Dieu») rédigée dans un autre style, la calligraphie kufi, et non l’arabe classique. Dans la partie inférieure de cet étendard est aussi représenté un disque blanc qui encercle trois mots : Allah (Dieu), Rasoul (prophète), Mohammed.
Rien ne dit, donc, que les manifestants visaient à soutenir une organisation terroriste, ou même avaient l’intention de donner une connotation islamiste à ces bannières. Le journaliste pour France 24 et spécialiste des mouvements jihadistes Wassim Nasr indiquait au Figaro récemment : «Ce sont des drapeaux musulmans génériques, ils n’appartiennent à personne : on peut les trouver dans les souks, les taxis, ou les maisons dans les pays musulmans.» Et Wassim Nasr de présumer : «En Europe, les manifestants peuvent aussi les exhiber par provocation, précisément parce que personne ne sait précisément à quoi ces bannières font référence.»
Plus largement, la chahada est une inscription courante dans les pays musulmans : elle est ainsi représentée, entre autres, au centre du drapeau de l’Arabie Saoudite, en blanc sur fond vert, où elle s’accompagne d’un sabre (évocation pour les Saoudiens de l’unification de leur pays).
Repris par des mouvements jihadistes
Si ces drapeaux sont plutôt communs, il n’en reste pas moins qu’ils sont repris par de nombreux mouvements jihadistes. Certains groupes les ont adoptés comme emblèmes. Le drapeau avec la chahada rédigée en blanc sur fond noir est celui que les différentes branches d’Al-Qaeda utilisent le plus fréquemment. Elle est déclinée en jaune sur fond noir dans le cas d’Al-Qaeda en Irak. On peut aussi citer le logo de Boko Haram, groupe basé au Nigeria, qui est formé de ce drapeau noir dominant un livre ouvert et deux fusils. Les talibans, quant à eux, ont choisi comme drapeau la version avec la profession de foi inscrite en noir sur fond blanc. Enfin, confirmant sa récupération par les groupes islamistes, la chahada est aussi visible, en miniature, dans les vidéos partagées par le Hamas depuis le début du conflit avec Israël.
Les doutes sur les intentions des manifestants ayant brandi ces drapeaux en Europe sont, en outre, alimentés par le contenu de certaines pancartes aperçues dans ces manifestations. Ainsi, à Essen, des images montrent un groupe agitant à la foi des bannières avec la chahada et des panneaux sur lesquels il est notamment écrit «Eine Ummah, Eine Einheit, Ein Losung – Khilafah» («Une oumma, une unité, une solution : le califat»). Or, le terme «califat» se réfère à un régime politique strict que de nombreux mouvements jihadistes ont pour projet de rétablir, où la population musulmane se soumet à l’autorité d’un «calife», ce qui correspond au mot arabe signifiant «successeur» (de Mahomet ici). Comme exemple récent, on peut ainsi citer le califat établi par l’Etat islamique dans la zone qu’il contrôlait de 2014 à 2019, couvrant une partie du nord de la Syrie et de l’est de l’Irak.