Invitée au micro de France Inter lundi 26 février, Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’Etat chargée de la Citoyenneté et de la Ville, a réagi à l’annonce de Gérald Darmanin portant sur une réforme constitutionnelle pour supprimer le droit du sol à Mayotte. Selon elle, les habitants de l’île «vivent une crise migratoire inédite» qui justifie «des mesures exceptionnelles».
Lors de cette séquence, Sabrina Agresti-Roubache a mentionné l’existence «des femmes qui accouchent dans des kwassa-kwassa, des petites embarcations […] dans des conditions inhumaines pour que leurs enfants soient Français». Problème : selon plusieurs spécialistes interrogés, cela est impossible. «On n’accouche pas sur un petit bateau pour donner la nationalité à son enfant, car de toute manière, on ne l’aura pas», résume Emilie Lenain, chercheuse en droit international. Une analyse partagée par le professeur de droit public Serge Slama.
.@SabrinaRoubache prétend que les femmes comoriennes accouchent « dans les kwassas-kwassas » pour que les enfants bénéficient du droit du sol. Si c’était réellement le cas, nés dans l’Océan indien, ces enfants ne seraient pas français #délires https://t.co/KJle33BYXU
— Serge SLAMA (@combatsdh) February 26, 2024
D’après lui, «le droit du sol n’est pas automatique». Dans une tribune publiée dans le Monde, il explique aux côtés des professeurs de droit public Jules Lepoutre et Marie-Laure Basilien-Gainche que, «contrairement aux Etats-Unis, le droit du sol n’est pas en France “intégral”. La seule naissance d’un enfant sur le sol français ne suffit pas à faire de lui un national». D’après le droit français, l’enfant né de parents étrangers «doit attendre ses 13 ans, et justifier de cinq ans de résidence depuis ses 8 ans, pour que ses parents puissent réclamer pour son compte la nationalité». Ainsi, ce n’est qu’à partir de ses 13 ans qu’un enfant peut bénéficier de ce droit du sol en devenant Français.
«C’est complètement à la marge»
Depuis la loi dite asile et immigration de 2018 portée par l’ex-ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, les conditions d’accès à la nationalité française par le droit du sol se sont par ailleurs durcies concernant Mayotte spécifiquement. «Dorénavant, il faut qu’au moment de la naissance de l’enfant, au moins un des deux parents soit en situation régulière sur le territoire depuis trois mois», explique Emilie Lenain. Pour le département le plus pauvre de France, les conditions d’accès au droit du sol sont donc différentes de celles applicables dans l’Hexagone. Pour la chercheuse, il est «faux de parler d’un afflux de femmes qui accoucheraient sur des bateaux car même si elles accouchaient sur des bateaux, elles auraient raté leur coup». Et il faudrait par ailleurs que la mère de l’enfant puisse «justifier que l’accouchement ait eu lieu dans les eaux territoriales françaises, ce qui est impossible», poursuit la chercheuse.
Si le cas d’un accouchement sur un kwassa-kwassa a été documenté par Linfo.re en avril 2014, Serge Slama explique que cela «peut arriver accidentellement au même titre qu’une femme peut accoucher dans un train ou un avion». Ce constat est partagé par une association de terrain reconnue qui confie à CheckNews «ne jamais avoir entendu parler ou été témoin de femmes comoriennes accouchant dans des kwassa. Ce n’est pas impossible que cela ait pu arriver mais si ça a déjà eu lieu, c’est complètement à la marge».
Un seul cas de figure
Contacté par CheckNews à propos de sa déclaration, le cabinet de la secrétaire d’Etat Sabrina Agresti-Roubache indique uniquement que «notre droit permet actuellement de devenir Français en vertu du droit du sol. Il permet aussi à leurs parents de solliciter a posteriori un titre de séjour au motif qu’ils sont les parents d’un enfant Français». Sans préciser donc qu’un parent ne peut bénéficier d’un titre de séjour par son enfant français que si l’un des deux parents est en situation régulière sur le territoire mahorais au moins trois mois avant la naissance de l’enfant.
Analyse
En bref, en règle générale, une femme partant enceinte des Comores pour rejoindre Mayotte au moment de son terme pour accoucher ne pourra obtenir de droit de séjour par son enfant né en France, car ce dernier ne sera lui-même pas éligible au droit du sol.
A noter qu’il existe toutefois des cas de figure où une femme comorienne peut espérer obtenir un titre de séjour par la naissance de son enfant en France : si l’autre parent (étranger) est lui-même né en France (c’est le «double droit du sol»). Si ce n’est pas le cas, mais que l’autre parent étranger est en situation régulière à Mayotte, alors l’enfant ne deviendra français qu’à ses 13 ans sur demande. Sa mère pourra alors prétendre à un titre de séjour au motif qu’elle est parent d’un enfant français (mais pas avant).
Mise à jour 19h : Corrections apportées sur le dernier paragraphe.