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Des journalistes ont-ils «lynché» des militantes du collectif d’extrême droite Némésis ?

Des journalistes de «StreetPress» sont accusés par l’extrême droite d’avoir «lynché» des activistes du groupuscule fémonationaliste qui a tenté un happening lors d’un rassemblement à Paris jeudi 27 juin. La direction du média et plusieurs témoins démentent les accusations.
Des membres du collectif fémonationaliste Némésis ont perturbé le rassemblement contre l'extrême droite à Paris, jeudi 27 juin, (Zakaria Abdelkafi/AFP)
publié le 28 juin 2024 à 16h41

Sur la place de la République à Paris, jeudi 27 juin, était organisé le meeting «Libertés !», réunissant de nombreux médias indépendants, des syndicats, des associations et artistes contre l’extrême droite. Le rassemblement, qui a attiré plusieurs milliers de personnes, était coorganisé par les médias StreetPress, Mediapart, Politis, Fakir, ainsi que l’organisation syndicale de la CGT.

Dans la soirée, des messages sur X (anciennement Twitter) ont commencé à diffuser des images tournées sur la place, mettant en cause StreetPress dans «l’agression», voire «le lynchage» de militantes du collectif d’extrême droite et fémonationaliste Némésis. La revue de presse d’extrême droite «Fdesouche» écrit ainsi : «Après avoir lynché les militantes du collectif Némésis, les activistes de StreetPress ont pourchassé les filles dans les rues.»

Un peu plus tôt, également sur X, un journaliste de l’Incorrect tweete une vidéo d’échauffourées et indique : «Certains agresseurs du collectif Némésis seraient liés à StreetPress. Les violences contre les femmes ne les dérangent pas…»

De leur côté, les militantes du groupuscule Némésis ont réagi sur les réseaux sociaux. Alice Cordier, la présidente du collectif, écrit : «J’ai les larmes aux yeux. Je suis tellement choquée de ce qu’il s’est passé. Ces gens sont fous.» Dans une vidéo tournée avec deux autres militantes identitaires présentes, elle indique que la quatrième membre de l’action est à l’hôpital. Sollicitée par CheckNews, Alice Cordier n’a pas donné suite.

«Elles étaient grimées pour cacher les vraies affiches»

Que s’est-il passé exactement ? Les différentes images diffusées sur les réseaux montrent d’abord une altercation au centre de la place, devant la scène. Il est environ 20 heures, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, se tient devant le pupitre. A ce moment-là, le journaliste et réalisateur David Dufresne est également sur l’estrade. Quatre pancartes bleues sur lesquelles on peut lire des messages hostiles à Jean-Luc Mélenchon ou Mathilde Panot, notamment, sont agitées au milieu de la foule. Elles sont brandies par les militantes de Némésis. On distingue ensuite plusieurs hommes s’envoyer des coups de poing entre eux, pour certains des coups de pied, sous les huées. David Dufresne, au micro, enjoint au calme : «Voilà ce qu’on ne veut pas, précisément. Messieurs, messieurs… on est tous antifascistes ici.» Auprès de CheckNews, David Dufresne détaille : «J’ai vu arriver des pancartes bizarrement faites, recouvertes de carton. Elles étaient grimées pour cacher les vraies affiches de Némésis. Tout de suite, je vois qu’elles sont entourées de gros bras. Quand je vois les vraies pancartes et que je constate une bousculade, je comprends que c’est ce qu’elles recherchent et c’est pour ça que j’enjoins la foule au calme. On ne veut justement pas d’une guerre civile et être soumis à des provocations de l’extrême droite à partir du 8 juillet.»

D’autres vidéos montrent ensuite des hommes au visage masqué fuir sur le côté droit de la place, longeant la terrasse du café du «Fluctuat Nec Mergitur», suivis par d’autres hommes.

Plusieurs témoins de la scène détaillent à CheckNews que les quatre militantes de Némésis étaient venues accompagnées, pour leur action, de leur propre service d’ordre. Sur X, le groupuscule confirme d’ailleurs faire appel «depuis quelques actions, à des boîtes de sécurité privées et professionnelles pour la sécurité de nos militantes». Et d’ajouter : «Et nous avons raison : sans eux, il y aurait eu encore plus de blessées parmi nos militantes.» Une vidéo de leur action publiée sur X les montre brandir leurs pancartes tandis que leur service d’ordre fait barrière autour d’elles, puis les exfiltre hors de la foule, leur intimant de «marcher et de se séparer». Si l’une d’entre elles explique notamment dans leur vidéo s’être «fait attraper le bras» et «avoir reçu de la bière», c’est de fait surtout des hommes qu’on distingue sur les images de bagarre et de fuite.

«Un non-évènement par rapport à ce qu’il peut se passer en manif»

Mathieu Molard, corédacteur en chef de StreetPress, assure à CheckNews : «Il n’y a pas eu de lynchage en direct. Quand Némésis a sorti ses pancartes, j’ai justement eu très peur d’un lynchage de la foule. Mais la réaction de Sophie Binet et de David Dufresne, sur scène à ce moment-là, a été parfaite. Ils ont demandé qu’il n’y ait pas de violence, ils ont calmé le jeu direct et c’est parti en slogans antifascistes, ce qui a permis de canaliser la foule.» Il précise en outre que c’est le service d’ordre intersyndical, prévu pour encadrer ce rassemblement, qui a immédiatement réagi afin d’exfiltrer le groupuscule «et les ramener au métro». «Aucun journaliste de StreetPress n’a évidemment pris part à quelque lynchage que ce soit. Au moment du happening, le journaliste de StreetPress le plus proche doit être à trente mètres…»

Une source au sein du service d’ordre de l’organisation confirme qu’aucun journaliste n’est impliqué. Et détaille : «Le collectif a attendu que Sophie Binet prenne la parole pour découvrir ses pancartes. Notre équipe les a exfiltrés sur le coup pour éviter que ça ne se passe mal, ça aurait pu être très grave. Ils sont venus nous chercher pour faire le buzz.» On nous précise par ailleurs que cette courte scène relève d’un «non-évènement par rapport à ce qu’il peut se passer en manif».

Plusieurs témoins contactés par CheckNews expliquent qu’une dizaine d’antifas ont également pris part à la course-poursuite. Sur X, «Antifa Squads» a revendiqué avoir chassé «le service d’ordre du collectif Némésis».

Sollicité par CheckNews, Pierre Sautarel, qui tient la revue de presse d’extrême droite «Fdesouche» n’explique pas sur quels éléments factuels il se base pour mettre en cause des journalistes de StreetPress. Mais il a détaillé, sur X, en réponse au média : «L’évènement est sous votre responsabilité. Ils agissent comme votre service d’ordre en fait. D’ailleurs vous traitez le lynchage comme tel. Ça se serait passé à une sauterie RN ou Reconquête, vous parleriez d’activistes RN ou Reconquête.» En outre, il se fonde sur un tweet de StreetPress, expliquant que «des militantes et militants de l’extrême droite du collectif Némésis ont tenté de perturber notre rassemblement, ils se sont fait sortir» pour affirmer qu’il s’agit d’une «revendication».

Même justification du côté du journaliste de l’Incorrect, Wandrille de Guerpel, qui indique à CheckNews : «C’était une manifestation organisée par StreetPress. Les militants étaient donc liés à StreetPress

Contactée, la préfecture de police de Paris indique ne pas avoir procédé à des interpellations en marge du rassemblement. De la même manière, la permanence du parquet de Paris n’a reçu aucun appel en lien avec l’évènement.