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Des vers microscopiques ont-ils vraiment été retrouvés dans des masques anti-Covid ?

Sur les réseaux sociaux circulent plusieurs vidéos dont les auteurs assurent avoir identifié des «parasites» ou des «vers» en zoomant sur des masques anti-Covid. Il s’agit bien plus probablement de fibres textiles, estiment les spécialistes consultés par «CheckNews».
Les «vers» observés par des internautes dans le tissu de leurs masques anti-Covid seraient plus probablement des fibres textiles. (Barbara Gindl/AFP)
publié le 11 avril 2021 à 14h48

Bonjour,

Depuis quelques semaines, des vidéos qui montreraient des «vers» ou «parasites» dans des masques chirurgicaux et FFP2 pullulent en ligne. Des images filmées au plus près de ces équipements de protection montrent de petites formes sombres allongées, qui semblent avancer ou se cambrer sur le fond uni et clair du masque.

«Ça, c’est ton masque qu’on t’a fourni ce matin ?» demande une mère québécoise à un enfant dans une vidéo vue plus de 14 000 fois sur Facebook depuis le 31 mars. «Oui, c’est le masque de l’école», répond l’adolescent, avant de lâcher : «C’est dégueu y a un vers… Ah ! Il bouge !» L’image, filmée avec un téléphone portable à fond de zoom, montre un filament noir osciller sur un fond bleu clair. «Ah oui, ça bouge», constate une autre internaute québécoise qui filme, elle aussi, un tout petit objet filiforme noir sur son masque, positionné au-dessus d’un bol d’eau chaude. «Des vers ? Parasites ?» écrit-elle.

Des internautes encore plus déterminés vont jusqu’à passer leurs masques sous des appareils grossissants. C’est le cas de Julianmediahouse, Autrichien aux quelque 800 000 abonnés sur TikTok. Dans une vidéo très relayée depuis le 26 mars, il déballe un masque FFP2 apparemment neuf, le glisse sous une sorte de microscope et montre le résultat sur son écran d’ordinateur. Sur le fond blanc du masque se détachent des petits filaments noirs qui s’agitent, des «parasites», estime-t-il. Deux jours plus tard, après plusieurs commentaires sceptiques qui l’accusent d’avoir altéré le masque en l’ouvrant, il renchérit avec une deuxième vidéo, où il place un masque FFP2 dans son emballage sous le microscope et obtient à nouveau des formes longilignes noires. «Ces masques ne sont certainement pas stériles», conclut-il.

Des vidéos de ce type, il en existe beaucoup. Commentées surtout en allemand ou en anglais (mais aussi en roumain), elles circulent sur Télégram, YouTube, Facebook, VKontakte ou encore Odyssée. Leurs auteurs invoquent des théories des plus inquiétantes : ces petites formes noires sont accusées d’être des vers, des parasites inconnus, voire de dangereuses nanotechnologies.

Certains vont jusqu’à assimiler ces formes aux «Morgellons», une maladie de la peau, à l’existence plus que controversée, qui suscite des démangeaisons.

Même phénomène sur les écouvillons

Ce n’est pas la première fois que des dispositifs médicaux en lien avec le Covid sont ainsi suspectés. En janvier, une internaute déclarait dans une vidéo abondamment partagée que les fibres du coton-tige de l’écouvillon de son test étaient «vivantes» car elles «interagissaient» avec d’autres fibres.

Plusieurs articles de fact-checking objectaient qu’il s’agissait en fait de mouvements liés à l’air environnant ou à des forces électrostatiques poussant les fibres à s’accrocher à d’autres matières. En réaction à ces suspicions, le biologiste et médecin légiste allemand Mark Benecke a observé lui-même des écouvillons de tests antigéniques. «Mystère résolu», conclut-il sur Facebook et Instagram. «Il s’agit de fibres de tissus bleues qui pourraient provenir des vêtements des employés de l’usine. Elles bougent lorsqu’elles absorbent l’humidité ou la chaleur, puis se plient – cela ressemble un peu à des vers, mais ça n’en est pas», écrit-il, à propos de son expérience réalisée pour le fact-checker allemand Correctiv.

Fibres textiles

On retrouve les mêmes arguments, mais concernant les masques chirurgicaux, dans une vidéo de Microbehunter, un blog destiné aux passionnés de microscope. «Ce ne sont pas des vers, mais des fibres textiles qui peuvent être trouvées partout dans notre environnement», explique le blogueur scientifique, soulignant que leur mouvement ne signifie pas que les fibres sont «vivantes». Il peut être dû à un courant d’air, une respiration ou à un degré d’humidité qui évolue. Le blogueur prend ainsi l’exemple de spaghettis humidifiés qui se déforment en séchant.

CheckNews a présenté quatre des vidéos circulant en ligne (1, 2, 3, et celles de Julianmediahouses) à plusieurs experts – scientifiques ou producteurs de masques. Ils penchent largement, eux aussi, pour des fibres textiles.

«Il ne s’agit pas de vers mais d’éléments inertes allongés visibles à la loupe binoculaire de diamètre régulier ou non, de couleur noire, homogène ou irrégulière, plus ou moins inclus dans la trame des masques, capables de mouvements en cas de souffle d’air à proximité», conclut un infectiologue parisien.

«Les personnes qui publient ce genre d’images doivent souffrir du syndrome des Morgellons. [Il s’agit en fait] de morceaux de fibre présentés comme des spécimens de vers… Rien de pathogène, ni d’authentique», avance un docteur membre d’un service de parasitologie d’un CHU de l’ouest de la France.

«A première vue d’après les vidéos, il semblerait que ce soit une pollution par des fibres étrangères aux masques, type fibres de vêtements, inertes, commente un fabricant de masque. Un simple mouvement d’air sur le masque peut les faire bouger.»

Nématode ?

L’une des quatre vidéos fait minoritairement l’objet d’hypothèses différentes (et divergentes). Deux parasitologues sollicités estiment, sans certitude, que le petit filament qui s’agite pourrait ressembler à un nématode, une espèce de petits vers très commune. Quand bien même ce serait le cas, «aucun risque de parasitoses humaines, tempère l’un des deux spécialistes. Eventuellement, un risque d’hypersensibilité cutané au contact prolongé d’un de ces nématodes».

Et d’ajouter que, sans un test approprié, impossible d’être totalement formel quant à la nature de cet objet. Notons que, dans cette vidéo, on ne sait pas d’où provient le masque (et a fortiori, s’il est neuf ou non).

«Le mouvement paraît presque naturel mais je veux tout de même penser qu’il s’agit bien d’une fibre qui “bouge” sous l’effet de la chaleur», objecte, au sujet de cette même vidéo, le médecin hospitalier cité plus haut.

Aucune remontée des hôpitaux

Impossible de vérifier systématiquement l’intégralité des nombreuses vidéos présentant ces formes noires. Souvent aussi, il est difficile d’être sûr que les masques n’ont jamais été utilisés. Enfin, la qualité des images est parfois un obstacle à l’interprétation de ces formes.

Mais aucun des experts interrogés par CheckNews n’estime que ces petits éléments, qu’ils considèrent presque tous comme étant des filaments textiles, présentent un quelconque danger. Aussi, Bruno Grandbastien, de la Société française d’hygiène hospitalière, déclare à CheckNews n’avoir «aucun élément corroborant» l’existence de vers ou de parasites dans des masques à partir des remontées de la part du personnel des établissements hospitaliers.

Les masques vendus en Europe sont soumis à une série de normes qui garantissent théoriquement leur efficacité et leur non-toxicité. L’Association française de normalisation (Afnor) précise à CheckNews que les normes qui encadrent les masques chirurgicaux et FFP2 sont prévues pour interdire toutes substances dangereuses pour les utilisateurs. Sans se prononcer sur les vidéos, l’Afnor rappelle à CheckNews que «la réglementation européenne sur les dispositifs médicaux […] interdit toutes substances dangereuses pour les masques chirurgicaux. Il est donc prévu qu’il n’y ait pas de contenus toxiques. Dans le cadre du règlement sur les équipements de protection individuelle (EPI), il y a une exigence essentielle relative à l’innocuité des matériaux et il en va de même pour les FFP2, qui sont des EPI».