Très vite mardi soir, alors que les premiers éléments sur l’explosion à l’hôpital Al-Ahli Arabi de Gaza penchaient plutôt vers la piste d’un tir raté en provenance du Jihad islamique, de nombreux comptes pro-palestiniens ont tenté d’infirmer cette théorie en avançant de supposés éléments de preuve. En quelques heures, ont circulé des captures d’écran de prétendus messages de revendications de la frappe par les autorités israéliennes, qui auraient ensuite été effacés devant l’ampleur du bilan humain.
Parmi les «preuves» de la responsabilité d’Israël diffusées mardi soir, figure notamment une capture d’écran qui serait issue de la page Facebook des forces de défense israéliennes en arabe. On y lit : «En raison d’un manque d’équipement et de personnel, nous avons décidé de bombarder l‘hôpital pour leur donner une mort par euthanasie.» Si on imagine mal un quelconque compte officiel utiliser de tels termes, la publication a été massivement partagée. Elle a été notamment relayée en France dans un post sur X (anciennement Twitter) consulté plus de 300 000 fois. «Israël accuse les Palestiniens vu le tollé mondial. Le hic, c’est qu’ils avaient déjà revendiqué le massacre sur leur page en arabe. C’était de «l’euthanasie», disaient-ils, avant de supprimer le post», écrit l’auteur de la publication.
«Je n’ai publié aucune déclaration»
En observant la photo de profil utilisée par le compte à l’origine de cette prétendue revendication, on constate qu’elle ne correspond pas au logo officiel des forces de défense israélienne, comme l’a repéré la journaliste de la BBC Olga Robinson. Il correspond en fait au blason du porte-parolat de Tsahal, tandis que toutes les pages Facebook en langue étrangère de cette armée utilisent au contraire le logo officiel. D’ailleurs, ce compte qui s’intitulait «Forces de défense israéliennes en arabe» (traduction de «جيش الدفاع الإسرائيلي بالعربية») n’apparaît plus désormais sur le réseau social. En consultant le cache Google, on s’aperçoit que ses publications renvoyaient régulièrement vers la page «Group 73 Historians» qui n’a rien à voir avec Israël et même, dans un message récent, «déclare sa pleine solidarité avec la résistance et le peuple palestinien».
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De fait, la seule page Facebook arabophone réellement alimentée par l’armée israélienne est celle d’Avichay Adraee, un gradé israélien chargé de la communication auprès des médias arabes au nom du porte-parole de Tsahal. Le site web des forces de défense israéliennes en arabe, de même que leur chaîne YouTube en arabe, renvoient à chaque fois précisément vers la page Facebook d’Avichay Adraee.
First, check the spelling of the account’s handle and any logos.
— Olga Robinson (@O_Rob1nson) October 18, 2023
In the case of the fake “IDF in Arabic” Facebook page the logo was clearly wrong (see IDF’s official Twitter account) pic.twitter.com/wVKG2Z4bTW
D’autres publications avancent qu’Avichay Adraee, justement, aurait posté un message dans la chaîne Telegram qu’il alimente, sur les coups de 20 heures (21 heures au Moyen-Orient), expliquant : «Nous avions prévenu qu’il fallait évacuer l’hôpital Al-Ahli Arabi et cinq autres hôpitaux.» Mais la capture d’écran qui circule, censée montrer la suite de messages partagée à ce moment-là par le porte-parole de l’armée israélienne en langue arabe, interroge : le format du présumé message au sujet de l’ordre d’évacuer l’hôpital ne colle pas avec celui des trois précédents messages (qui eux sont bel et bien visibles quand on consulte la chaîne Telegram d’Avichay Adraee). Une rapide observation permet de repérer des différences évidentes en termes de type et de taille de police, ou encore d’espacement entre deux messages. Dans un nouveau post mis en ligne dans la soirée, Avichay Adraee a démenti : «Je n’ai publié aucune déclaration ou commentaire concernant l’hôpital Al-Ahli Arabi de Gaza. Toutes les informations qui circulent en mon nom proviennent des médias du Hamas et sont complètement fausses.»
«Je m’excuse pour cette erreur»
Enfin, une autre capture d’écran reprend un tweet de l’influenceur pro-Israël Hananya Naftali dans lequel ce dernier indiquait : «L’armée de l’air israélienne a frappé une base terroriste Hamas à l’intérieur d’un hôpital à Gaza. Un grand nombre de terroristes sont morts.» Très actif sur les réseaux sociaux et proche du Premier ministre Benyamin Nétanyahou, Hananya Naftali joue les porte-voix pour le gouvernement israélien. Son tweet a été interprété comme une autre confirmation officielle. D’autant que le message est, celui-ci, bien authentique.
En effet, l’influenceur, après avoir supprimé cette première publication, en a publié une seconde dans laquelle il évoque une «erreur». «Plus tôt dans la journée, j’ai partagé une dépêche publiée par Reuters sur le bombardement de l’hôpital de Gaza, qui affirmait à tort qu’Israël avait frappé l’hôpital, écrit Hananya Naftali. J’ai communiqué cette information par erreur dans un message qui a été supprimé depuis et dans lequel je faisais référence à l’utilisation habituelle des hôpitaux par le Hamas pour stocker des caches d’armes et mener des activités terroristes. Je m’excuse pour cette erreur.»
«Aucun lien avec Al-Jazeera»
Dans l’autre sens, et avant même que les analystes d’images commencent à considérer la piste d’un tir de roquette venant de Gaza, des comptes pro-israéliens avaient tenté de faire peser la responsabilité sur le Hamas, le mouvement islamiste au pouvoir dans la bande de Gaza et à l’origine de l’attaque du 7 octobre. Ainsi, un tweet émanant d’une soi-disant journaliste de la chaîne de télévision Al-Jazeera (basée au Qatar) a fait partie des preuves avancées. Dans cette publication, une femme censée se dénommer Farida Khan expliquait : «Je travaille à Khan Younis, à Gaza. J’ai vu de mes propres yeux qu’il s’agissait d’une roquette «Ayyash 250» du Hamas. C’était une roquette du Hamas qui avait été mal tirée. Al-Jazeera ment. J’ai une vidéo qui montre ce missile du Hamas tomber dans l’hôpital.»
Sauf qu’aucune Farida Khan ne travaille pour Al-Jazeera. Le média a d’ailleurs diffusé un avertissement précisant que ce compte «revendique faussement son affiliation à Al-Jazeera» mais «n’a aucun lien avec Al-Jazeera, ses opinions ou son contenu». Le compte «Farida Khan», créé en septembre 2023, publiait jusque-là exclusivement des contenus sur l’Inde et le Pakistan avant de soudainement se mettre à tweeter sur Gaza après l’explosion dans l’hôpital. Le tweet, vu entre-temps par plus de 400 000 utilisateurs, comme le compte ont, depuis, été supprimés du réseau social.
Liar. pic.twitter.com/B68hAh7UCv
— EAGLE (@TropojanEagle) October 17, 2023
Raté du compte officiel d’Israël
En outre, on peut mentionner une vidéo largement partagée et présentée comme montrant un tir de roquette raté du Hamas frappant l’hôpital Al-Ahli Arabi. Mais comme l’a pointé le journaliste de la BBC Shayan Sardarizadeh, cette vidéo a été totalement sortie de son contexte : ses premières occurrences en ligne remontant à 2022, elle n’a donc rien à voir avec l’explosion survenue mardi dans cet hôpital de Gaza.
Ajoutons à la confusion ce raté du compte officiel de l’Etat d’Israël. Dans un tweet publié peu après le drame, l’Etat hébreu affirme : «D’après l’analyse des systèmes opérationnels de Tsahal, un barrage de roquettes ennemi, qui avait été tiré en direction d’Israël, est passé à proximité de l’hôpital lorsque celui-ci a été touché.» Le tweet est accompagné d’images filmées par les systèmes de surveillance de l’armée israélienne. Problème : le fichier vidéo partagé par Israël est horodaté à 19h59, tandis que l’explosion dans l’hôpital s’est produite une heure avant (en horaire local). Le tweet initial a été édité (avec suppression de la vidéo). Mais en dépit du fait que les images disponibles semblent bien corroborer l’hypothèse d’un tir venu de Gaza, cette incohérence a été largement utilisée pour infirmer la version israélienne.
Quelque 24 heures après les faits, les éléments à disposition font pencher la communauté des analystes de frappe et des enquêteurs en sources ouvertes vers la piste d’un tir issu de Gaza, infirmant a priori une provenance israélienne. Même si de nombreuses réponses manquent encore sur l’origine du drame, interdisant d’être conclusif.