A l’avant-veille du scrutin des élections européennes, la question des radiations présumées abusives des listes électorales continue de faire débat. Suite à notre article publié jeudi, où nous revenions sur les accusations – pour l’heure non étayées – de LFI sur des radiations visant cette année les quartiers populaires, et donc leur électorat, Manuel Bompard a répondu en rappelant la situation de 2022 et 2019.
«Aux élections présidentielles, 226 000 personnes ont été radiées par erreur. Aux européennes de 2019, des radiations abusives étaient déjà dénoncées», a-t-il écrit sur le réseau social X, en réponse à un fil de l’auteur de ces lignes.
Aux élections présidentielles, 226 000 personnes ont été radiés par erreur. Aux européennes de 2019, des radiations abusives étaient déjà dénoncées.
— Manuel Bompard (@mbompard) June 7, 2024
Cette année encore, des gens nous indiquent avoir été supprimés des listes sans motif.
Vous feriez mieux d’enquêter sur ça… pic.twitter.com/Nr8bP3J238
Lors de la présidentielle de 2022, plusieurs articles de presse avaient effectivement fait mention de problèmes sur les listes électorales. A commencer par le Parisien qui, dans un papier du 17 avril, titré «Présidentielle : enquête sur ces 226 000 électeurs radiés qui n’auraient pas dû l’être», rapportait plusieurs cas de dysfonctionnement, notamment à Alfortville, Creil, Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), ou encore Marseille, Lille ou Strasbourg. Mais si des anomalies ont pu avoir lieu ici ou là, le titre du Parisien était erroné. En effet, à aucun moment, il n’y a eu, en 2022, «226 000 électeurs radiés qui n’auraient pas dû l’être». Et donc 226 000 personnes «radiées par erreur», comme l’affirme aujourd’hui Manuel Bompard.
Archive 2022
226 000 électeurs radiés à l’initiative des communes
Pour rappel, depuis 2019, l’Insee occupe un rôle majeur dans la gestion des listes électorales. C’est l’institut qui inscrit automatiquement, dans le Répertoire électoral unique (REU), les jeunes fêtant leurs 18 ans ou les personnes qui acquièrent la nationalité française. Mais c’est aussi lui qui radie, de manière tout aussi automatique, les personnes décédées, déchues de leurs droits civiques, qui ont perdu la nationalité française, et surtout celles qui se sont inscrites dans une autre commune suite à un déménagement.
Les communes, de leurs côtés, envoient au REU les inscriptions validées par le maire (en plus des jeunes de 18 ans inscrits par l’Insee), les radiations volontaires demandées par les électeurs, les décisions d’inscription ou de radiation prononcées par les commissions de contrôle. Et, enfin, les radiations pour «perte d’attache communale», «dûment constatées par le maire».
Ainsi, entre mai 2021 et mars 2022, veille de la présidentielle, il y a eu 3,8 millions de radiations (et 4,6 millions d’inscriptions), dont 435 000 pour décès, 3,1 millions pour cause d’inscription dans une autre commune, 15 000 suite à des décisions judiciaires ou des commissions électorales de contrôle, et 226 962 pour défaut d’attache communale, «à l’initiative des communes» (essentiellement des déménagements sans nouvelle réinscription), le chiffre cité dans le Parisien.
3160 décisions de justice contredisant une radiation
Mais que ces radiations aient été décidées par le maire n’implique pas qu’elles aient été effectuées par erreur, même si c’est logiquement dans cette catégorie que devraient se trouver davantage d’anomalies, les autres catégories (décès, inscriptions dans une autre commune…) étant gérées de façon automatisée par l’Insee.
L’Insee l’a d’ailleurs très clairement rappelé, dans une note publiée en avril 2022, où elle détaillait : «Entre mai 2021 et mars 2022, 226 962 électeurs ont été radiés à l’initiative des communes ; cela correspond aux radiations réalisées par les communes en application du code électoral, et notamment de son article L18. Il ne s’agit pas d’un nombre d’électeurs radiés par erreur».
Plus loin dans la note, l’Insee ajoute : «Le répertoire électoral unique compte 48,8 millions d’électeurs. Comme tout processus administratif de grande ampleur, il arrive que des erreurs ponctuelles et locales surviennent dans la vérification des conditions d’attache communale. Mais l’ordre de grandeur du nombre de ces erreurs est bien plus faible que 220 000». A titre indicatif, poursuit l’institut, «3 160 décisions de justice ordonnant une réinscription à la suite d’une radiation ont été transmises à ce jour au répertoire électoral unique pour l’élection présidentielle». Par ailleurs, «lorsqu’une concentration atypique de ces cas est observée, l’Insee et la commune entreprennent des vérifications complètes pour identifier d’éventuelles causes récurrentes. Jusqu’à présent, il n’y a eu aucune constatation de défaillance dans le système d’information du répertoire électoral unique géré par l’Insee.»
En 2019, la mise en place difficile du répertoire électoral unique
Concernant, enfin, 2019, également évoqué par Manuel Bompard, il s’agit de l’année de mise en place du répertoire électoral unique (REU), qui a fait naître des situations particulières, comme nous le relations à l’époque. Avant la mise en place du REU, un électeur pouvait être inscrit sur plusieurs listes, générant ainsi des «doublons». Avec l’entrée en vigueur du REU en 2019, ces électeurs ont été radiés d’une de ces listes, mais la liste à laquelle ils ont finalement été affiliés «pouvait ne pas correspondre à celle que l’électeur pensait valide, d’où son sentiment d’avoir été indûment radié», expliquait l’Insee. Autrement dit, il s’agissait de radiations «spécifiques à l’initialisation du REU».
Sans donner de chiffres précis, le ministère déclarait, de son côté, que plusieurs milliers de cas avaient été étudiés après la saisine de maires et de l’AMF et qu’«aucune anomalie» n’avait été détectée. «Il n’y a eu aucune radiation par erreur, mais toutes ont été fondées sur une situation objectivement constatée (inscriptions multiples sur listes communales, double inscription sur liste communale et consulaire, personnes décédées, personnes privées de leur droit de vote par décision de justice) et validée par les communes en amont de la décision de radiation», expliquait Beauvau, en rappelant que les radiations peuvent être contestées, jusqu’au jour du scrutin, devant un tribunal d’instance. Selon l’Insee, deux mille cas problématiques avaient été portés devant les tribunaux d’instance, dimanche 26 mai 2019, sur 47 millions d’inscrits à l’époque.