Depuis le début du mois d’octobre, les représentants du gouvernement se succèdent pour annoncer la bonne nouvelle : la facture d’électricité va baisser pour les 80 % des contrats au tarif «réglementé», par répercussion des baisses des prix de l’électricité sur les marchés de gros observées cette année. Des baisses considérables, qui entraîneront un allégement global de la facture, même en tenant compte de l’augmentation des taxes sur l’électricité. S’agissant du pourcentage de clients restants – correspondant aux contrats déjà indexés sur les prix de marchés – les différents ministres et porte-parole rappellent qu’ils ont, logiquement, déjà vu leur facture baisser.
Dernière prise de parole en date sur le sujet : celle du ministre de l’Economie, Antoine Armand, le mardi 22 octobre dans la matinale de TF1. Interrogé sur des mesures gouvernementales «difficiles à digérer pour les Français» parmi lesquelles «la hausse de la fiscalité sur l’électricité», le ministre avait pu assurer : «80 % des Français vont voir leur facture d’électricité baisser. Pour 20 % d’entre eux, elle a déjà baissé ou ils pourront changer d’offre.»
80% des foyers sont-ils réellement concernés ? L’ajustement du tarif réglementé et, plus généralement, la récente baisse des marchés contrebalancent-ils réellement la hausse des taxes ?
Quatre foyers sur cinq vont-ils réellement constater une baisse de leur facture en février ?
Sur le premier point, une lecture rapide des rapports de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) peut sembler donner tort au gouvernement. En effet, les chiffres du dernier «Observatoire des marchés de détail» publié par la CRE note que seuls 59% des sites résidentiels correspondent à des «offres au tarif réglementé», les 41% restants renvoyant à des offres de marché.
Sollicité sur ce point, la CRE apporte toutefois une précision importante : une part notable des contrats «offres de marché» est, en réalité, indexée sur les tarifs réglementés de vente (TRV). Si de multiples formules d’indexation existent, l’idée générale est de proposer qu’une part de la facturation soit calculée sur la base du marché, et l’autre sur la base du TRV. Dès lors, une baisse du TRV aura également, pour ces contrats, une répercussion positive sur le coût du kilowatt-heure (kWh).
Quelle est la part exacte des contrats résidentiels qui sont, ainsi, «indexés au TRV» ? Selon la CRE, en 2023, 62% des contrats étaient au TRV, et 14% étaient «indexés TRV». Soit environ 76% des contrats liés au prix du marché, ce qui correspond à l’ordre de grandeur mentionné par le gouvernement.
Qu’en est-il fin octobre 2024 et, surtout, quelle sera la proportion de contrats concernés en février 2025 ? Les chiffres de mi-2024 suggèrent une tendance à la baisse (moins 3 points de contrats au TRV, et diminution des nouvelles souscriptions à des contrats indexés). La CRE juge toutefois «largement prématuré» d’essayer de dresser un bilan pour l’année 2024 sur la base des données du premier semestre, précisément en raison des dernières annonces.
Il est important de noter que l’ampleur de la baisse du tarif du kWh ne sera pas identique pour les contrats au tarif réglementé et pour les contrats «indexés». Rien ne garanti donc que la baisse du prix du kWh contrebalance la hausse des taxes pour tous les contrats « indexés au TRV ». Autrement dit, quand bien même 80% de contrats d’électricité résidentiels seraient, début février, « au TRV » ou « indexés au TRV », une part de ces derniers ne constatera pas de diminution de sa facture. Difficile, toutefois, d’estimer la proportion de foyers pour qui les baisses (du tarif de l’électricité) ne contrebalancera pas les hausses (des autres items de la facture).
Une baisse des marchés plus forte que la hausse des taxes « d’au moins 9% » pour les contrats au TRV
En détaillant une facture d’électricité, on constate en effet que son montant total correspond à l’addition de quatre éléments : le prix de l’électricité consommée, bien sûr, mais aussi les frais d’utilisation du réseau (transport et distribution de l’électricité), des taxes, et une part fixe d’abonnement.
Dans un premier temps, intéressons-nous donc au coût de l’électricité (le coût du kilowatt-heure). En France, les fournisseurs d’électricité proposent aux consommateurs trois types d’offres : celles proposant des tarifs réglementés de vente (les TRV, fixés par les pouvoirs publics), les offres de marché (dont les prix sont fixés librement par les fournisseurs), et des formules hybrides dans lesquelles une partie du tarif est indexé sur le TRV. Les personnes qui ont opté pour un tarif réglementé (environ 60% des contrats) paient leur électricité à un prix régulièrement déterminé par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) au regard des fluctuations des coûts de l’énergie, sur le marché, sur une période de vingt-quatre mois.
Comme nous le précise la CRE, «le tarif qui sera en vigueur au 1er février sera calculé en prenant en compte des prix de marché du 1er janvier 2023 au 31 décembre 2024. Raison pour laquelle une estimation très précise ne peut pas encore être communiquée». Les estimations actuellement énoncées par le gouvernement partent donc de l’hypothèse qu’aucun évènement majeur ne viendra tirer les prix du marché à la hausse d’ici à la fin de l’année. Lors de ces derniers mois, «les prix de marché ont beaucoup baissé, en comparaison de la période de vingt-quatre mois précédente» et «le tarif réglementé va donc baisser», assure toutefois la CRE.
Dans le cas de contrats aux tarifs liés au marché, les baisses du marché ont en principe déjà été répercutées par les opérateurs… avec une réactivité et dans des proportions qui vont dépendre de chaque contrat. De fait, à l’heure actuelle, l’essentiel des opérateurs semble pratiquer des tarifs inférieurs au tarif réglementé.
«Une phase de consultation publique»
Autre tarif fixé par la CRE : celui correspondant à l’utilisation des réseaux publics d’électricité (on parle de «Turpe»). Chaque client, dans sa facture, paye en effet une somme qui sera reversée à RTE et Enedis – les deux filiales d’EDF respectivement gestionnaire et distributrice du réseau. Comme l’avait relevé Libération, la CRE a jugé le 17 octobre «nécessaire d’augmenter le Turpe de l’ordre de 10 % en 2025» (avec révision annuelle pour tenir compte de l’inflation). Un taux qui n’est pas encore fixé, la CRE étant encore «dans une phase de consultation publique» sur le sujet. Ce relèvement est proposé pour février 2025, plutôt qu’en août 2025, afin que l’ensemble des hausses et des baisses «soient intégrées au même moment» dans la facture.
Un dernier volet important de la facture concerne les taxes, et notamment l’accise (autrement dit, la «taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité», ou TICFE). Fin 2021, cette taxe s’élevait à 32,44 euros par MWh. Avec la mise en place du bouclier tarifaire, au 1er février 2022, le gouvernement avait provisoirement abaissé celle-ci à 1€/MWh pour les ménages (0,5€/MWh pour les professionnels). Un premier relèvement à 21€/MWh a eu lieu en février 2024. Le gouvernement a confirmé que celui-ci serait de nouveau relevé début février 2025. Les premières annonces parlaient de revenir «au moins au niveau pré-bouclier tarifaire» (32,44 euros), tandis que les plus récentes évoquent le chiffre «d’au moins 35 euros».
En septembre, la CRE avait estimé qu’avec un relèvement de la TICFE à 32,44 euros, une réévaluation du Turpe, mais avec le maintien des prix du marché d’ici à la fin de l’année (et donc une forte baisse du tarif réglementé de l’électricité), la facture des particuliers ayant souscrit à un tarif réglementé baisserait «d’au moins 10 %». Anticipant un relèvement plus important de la TICFE, différents membres du gouvernement évoquent désormais une baisse de la facture «d’au moins 9 %». Un calcul qui vaut pour les foyers (environ 62%) bénéficiaires d’un contrat au TRV.
«Chaque fournisseur va faire sa formule»
Pour les Français dont le contrat est indexé sur les fluctuations du marché, les hausses de la TICFE et du Turpe vont mécaniquement saler un peu leur facture dès février. Le gouvernement laisse entendre que cette hausse sera moins importante que ne l’a été la baisse des marchés en 2024. En revanche, chercher à comparer la facture des français au tarif réglementé (TRV), ceux dont les tarifs sont partiellement indexés au TRV, et ceux qui ont un autre contrat «n’est pas vraiment faisable», note la CRE : «Le fait est qu’il existe une multitude de fournisseurs, avec une multitude de contrats, et des manières très différentes de répercuter les prix du marché sur la facture.»
Certains prévoient notamment de limiter l’effet des fluctuations, à la hausse comme à la baisse… «Chaque fournisseur va faire sa formule. Ils sont libres de fixer, dans les contrats, les moments et les montants. Ainsi, certains vont réévaluer les prix en fonction des prix du marché tous les trois mois, ou tous les six mois…» Une profusion et une variété qui font «qu’il n’y aurait pas de sens à chercher à calculer une moyenne des baisses ou des hausses pour les titulaires de ces contrats».