L’extrait est massivement partagé sur les réseaux sociaux. On y voit Emmanuel Macron déclarer : «La réalité, si on allait au bout de la logique, c’est que le président de la République ne devrait pas pouvoir rester s’il avait un vrai désaveu en termes de majorité.» Dans le climat politique actuel, avec un chef de l’Etat récemment battu dans les urnes, ces quelques mots prennent évidemment une résonance toute particulière.
La séquence remonte à 2019, comme le souligne dans son tweet Aude Lancelin, la fondatrice de QG, une webtélé créée dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes. «En 2019, talonné par les Gilets jaunes, à 2 heures du matin, face aux intellos du grand débat, Macron avoue», commente la journaliste.
Les images sont issues du direct diffusé sur la chaîne YouTube de France Culture le 18 mars 2019, à l’occasion du «grand débat des idées», le dernier des grands débats organisés en réponse à la crise des Gilets jaunes. Huit heures durant lesquelles Emmanuel Macron devait se confronter aux remarques et interrogations d’une soixantaine d’intellectuels conviés à l’Elysée. Un exercice qui relevait davantage de l’opération de communication, avait jugé Libé le lendemain.
Questionner l’irresponsabilité du chef de l’Etat
Lancé sur les coups de 18 h 20, l’exercice s’était éternisé jusque tard dans la nuit du 18 au 19 mars 2019. Il est déjà une heure passée, et bon nombre de chaises sont vides, lorsque la parole est donnée à Olivier Beaud, professeur de droit public à l’Université Paris-Panthéon-Assas. Lors de son intervention (qu’il est possible de visionner en cliquant ici), le spécialiste de droit constitutionnel termine en rebondissant sur une réponse précédemment adressée par Emmanuel Macron au politologue Gilles Finchelstein, pour questionner l’irresponsabilité du chef de l’Etat. «Vous avez dit, et je pense que vous avez tout à fait raison : “le grand acquis de la cinquième [République] c’est qu’on a la capacité de décider” […] C’est le général de Gaulle qui a donné la marque de la cinquième. C’est-à-dire qu’il y a quelqu’un qui décide et en l’occurrence, désormais, c’est le président de la République. Où est le problème ? Eh bien le problème tient au fait que quand le général de Gaulle décidait, il décidait avec un corollaire qui est qu’il engageait sa responsabilité. Mais le talon d’Achille de la cinquième depuis le départ du général de Gaulle, c’est qu’on […] a un pouvoir sans responsabilité. Car vous le savez aussi bien que moi, le président de la République est en France irresponsable politiquement.»
Le temps que d’autres intellectuels, puis une poignée de ministres, s’expriment sur des sujets encore variés, Emmanuel Macron répond à Olivier Beaud plus d’une heure après son exposé (pour écouter la réponse, c’est via ce lien). «Au fond, pourquoi on peut dire que de Gaulle était responsable et qu’après ça s’est éteint ? Parce qu’il y a eu deux changements dans la pratique institutionnelle. On a accepté la cohabitation. Et on a accepté la non-démission après référendum. Ce qui fait que vous pouvez dire que de Gaulle était beaucoup plus responsable, sans savoir les conséquences que je tirerai de ces deux phénomènes, si j’étais confronté à ces derniers […] Donc la question c’est comment on crée des mécanismes de responsabilité et de respiration démocratique. Là où je vous rejoins, c’est que le quinquennat phasé [avec le calendrier des élections législatives calqué sur celui de l’élection présidentielle, ndlr] ne permet plus une forme de respiration démocratique, de midterms [élections de mi-mandat] à la française. En tout cas de césure où le peuple français peut dire : “j’ai confiance dans vos projets donc je vous redonne une majorité pour le faire.”»
«En tout cas, c’est l’idée que je m’en fais»
C’est là qu’intervient la petite phrase qui agite aujourd’hui les réseaux sociaux : «La réalité, si on allait au bout de la logique, c’est que le président de la République, ne devrait pas pouvoir rester s’il avait un vrai désaveu en termes de majorité. En tout cas, c’est l’idée que je m’en fais et qui est la seule qui peut accompagner le fait d’assumer les fonctions qui vont avec.» Sans se positionner sur un éventuel retour au septennat, le président de la République conclut en exprimant un «besoin d’une clarification du système» : «Si on va au bout d’une présidentialisation du système, alors il faut des mécanismes de responsabilité politique devant le Parlement qui vont plus loin que ce qu’on a aujourd’hui. Ce qui est d’avoir une procédure de type impeachment [la procédure de destitution qui existe dans le droit américain et britannique].» Des paroles non suivies d’effets : aucune révision constitutionnelle n’est intervenue depuis, hormis celle pour garantir la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse, inscrite dans le texte suprême en mars.
Le 27 mars 2019, dans une note de blog où il était invité à livrer ses impressions sur la soirée élyséenne, Olivier Beaud indique : «La réponse du président de la République sur ce dernier point ne m’a pas paru complètement satisfaisante». «On voit ici les limites de l’exercice car celui qui pose la question ne peut pas rebondir sur la réponse à sa question ou plus encore préciser sa pensée, développe le juriste. Le président a toutefois admis qu’il y avait une difficulté actuelle dans le fonctionnement de la Ve République […] On se bornera prudemment à enregistrer cette déclaration qui est pour l’instant purement “théorique” car la politique n’est pas de la théorie constitutionnelle.»