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Emmanuel Macron a-t-il le droit d’annoncer la construction de six nouveaux réacteurs nucléaires?

Selon le député EE-LV Matthieu Orphelin, la programmation pluriannuelle de l’énergie votée en 2019 précise qu’on ne peut lancer de nouvelles centrales sans retour d’expérience de l’EPR de Flamanville.
Emmanuel Macron ce lundi 14 février à l'Elysée. (Ludovic Marin/AFP)
publié le 16 février 2022 à 12h21
Question posée par François, le 10 février 2022,
Bonjour,

Alors qu’Emmanuel Macron a évoqué la création de six nouveaux réacteurs nucléaires (pour une mise en service du premier EPR d’ici à 2035), lors de son déplacement à Belfort, jeudi, vous nous interrogez sur une déclaration de Matthieu Orphelin dans Libération mettant en cause la légalité d’une telle annonce. Selon le député écologiste, Emmanuel Macron n’a «pas le droit» de «prendre de telles décisions, sans consultation de la population». Le député a notamment évoqué le fait qu’un tel chantier serait, selon lui, «en contradiction totale avec la programmation pluriannuelle de l’énergie votée en 2019 qui dit qu’on ne peut pas faire de nouvelles centrales sans retour d’expérience de Flamanville».

L’annonce du Président, qui répond à une demande d’EDF, s’inscrit dans un processus déjà connu depuis plusieurs mois. Emmanuel Macron avait annoncé début novembre que la France s’apprêtait à lancer la construction de réacteurs. Début janvier, Bérangère Abba, secrétaire d’Etat auprès de la ministre de la Transition écologique avait ajouté quelques précisions. Affirmant qu’il s’agirait «d’EPR2, un modèle amélioré par rapport au retour d’expérience de construction des EPR précédents», elle avait évoqué un dépôt de dossiers en 2023, pour une mise en service «en 2035-2037».

Dans son discours à Belfort, Emmanuel Macron a un peu plus détaillé le calendrier : «Je souhaite que six EPR2 soient construits et que nous lancions les études sur la construction de huit EPR2 additionnels. Nous avancerons ainsi par paliers. Concrètement, nous allons engager dès les semaines à venir les chantiers préparatoires : finalisation des études de conception, saisine de la commission nationale du débat public, définition des lieux d’implantation des trois paires, montée en charge de la filière. Une large concertation du public aura lieu au second semestre 2022 sur l’énergie, puis des discussions parlementaires se tiendront en 2023 pour réviser la programmation pluriannuelle de l’énergie. Nous visons le début du chantier à l’horizon 2028, pour une mise en service du premier réacteur à l’horizon 2035», a-t-il avancé.

Un rapport aurait dû être rendu à la mi-2021

Ces annonces contreviennent-elles, comme l’affirme Matthieu Orphelin, à la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) actuelle ? Selon le député, cette dernière (adoptée par un décret) «ne prévoit à ce jour pas de construction de nouvelles centrales nucléaires, et […] établit une liste de conditions préalables à une prise de décision sur le lancement éventuel d’un programme de construction de nouveaux réacteurs».

Parmi elles, «une de ces conditions est un retour d’expérience consolidé de la mise en service des premiers EPR, notamment Flamanville 3, qui ne sera pas en exploitation avant fin 2023», insiste Matthieu Orphelin, en renvoyant à la page 163 de la PPE actuelle, pointant ainsi un éventuel problème de calendrier.

Dans le détail, «s’agissant du nouveau nucléaire, afin de permettre une prise de décision sur le lancement éventuel d’un programme de construction de nouveaux réacteurs», un rapport aurait dû être rendu à la mi-2021 intégrant plusieurs sujets comme «l’expertise des coûts futurs du nouveau modèle de réacteur EPR 2 proposé par EDF et la comparaison technico-économique du nucléaire avec les autres modes de production d’électricité bas carbone» ou encore «la démonstration avec la filière française de sa capacité à maîtriser un programme industriel de nouveaux réacteurs, sur la base d’une hypothèse de travail de trois paires d’EPR, par la formalisation d’un retour d’expérience consolidé de la mise en service des premiers EPR, notamment Flamanville 3», peut-on lire dans la PPE.

Interrogée par CheckNews, l’Elysée annonce que «le gouvernement rendra public en fin de semaine un rapport sur la capacité de la filière industrielle, sur le coût de l’EPR2 et sur les déchets produits. Par contre, la mise en service de Flamanville ayant été reportée, le retour d’expérience sera réalisé ultérieurement. Ce passage de la PPE n’est pas contraignant à ce stade, étant entendu que la PPE devra être modifiée en 2023 pour prévoir les nouveaux réacteurs».

«Le gouvernement s’était engagé à attendre un retour d’expérience»

Contacté par CheckNews, l’avocat en droit de l’environnement Arnaud Gossement estime aussi que cette disposition n’est pas contraignante, d’un point de vue strictement juridique. «En lisant ce passage de la PPE, il est fait référence à la remise d’un rapport mi-2021 comprenant «la formalisation d’un retour d’expérience consolidé de mise en service des premiers EPR, notamment Flamanville 3». C’est une condition de rédaction d’un rapport et la date est dépassée, cela n’a donc plus effet, même si, politiquement, le gouvernement s’était engagé à attendre un retour d’expérience», analyse Arnaud Gossement.

Le spécialiste met en revanche le doigt sur une autre difficulté d’ordre législatif. «La loi de transition énergétique de 2015 précise au cœur du code de l’Energie la limitation de la puissance nucléaire installée à 63,2 GW, c’est-à-dire la puissance actuellement installée. Donc si vous l’augmentez [en construisant les six nouveaux EPR voulus par Macron, par exemple, ndlr], vous devrez fermer un réacteur nucléaire», explique-t-il. Pour modifier ce plafond, il faudrait donc modifier cette loi. «Ce n’est pas si simple, car si on regarde les travaux parlementaires de la loi de 2015, on voit un consensus de la droite à la gauche», observe Arnaud Gossement.