Question posée par Romain le 31 juillet 2023
«Pour la première fois de l’histoire du Niger, un chef de l’Etat élu va donc céder la place, pacifiquement, à son successeur», écrivait Libération en février 2021, alors que Mohamed Bazoum venait de remporter l’élection présidentielle. Le même Bazoum qui vient d’être renversé lors d’un putsch soutenu par l’armée. Dans la nuit du 26 au 27 juillet, une junte militaire a annoncé la destitution du Président, juste après avoir pris le contrôle de la télévision publique. Des événements regrettés par les pays occidentaux, dont la France, qui craignent de perdre l’un de leurs derniers alliés au Sahel, et de voir le Niger renoncer à ses acquis démocratiques.
Vous nous demandez en quoi l’élection de Mohamed Bazoum, en 2021, a représenté «une première dans l’histoire du Niger», ayant vous-même constaté qu’il est présenté dans plusieurs médias comme «le premier président élu démocratiquement au Niger».
«Ma plus belle réalisation»
En amont de la dernière élection présidentielle nigérienne, dont le premier tour s’est tenu le 27 décembre 2020, et le second le 21 février 2021, les médias français se réjouissaient de sa tenue. Ce scrutin permettait alors «au pays de vivre sa première transition démocratique pacifique», écrivait, comme Libé, le JDD.
En effet, si cette élection présidentielle n’était pas une première au Niger, c’était en revanche la toute première fois que deux présidents élus se succédaient dans ce pays, dont l’histoire politique a été jalonnée de nombreux coups d’Etat depuis son indépendance de la France en 1960. Cinq des dix présidents nigériens – si on n’inclut pas encore celui qui a pris la tête de la junte le 28 juillet – étaient ainsi des militaires qui se sont hissés à la tête du pouvoir par des coups d’Etat, survenus entre 1974 et 2010.
«Le pays a connu plusieurs coups d’Etat venus, pour divers motifs, interrompre des mandats de présidents élus, depuis l’avènement des processus de démocratisation au début des années 90», replace Francis Laloupo, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste de la géopolitique de l’Afrique. Mais avant Bazoum, les présidents Mahamane Ousmane (élu en 1993), Mamadou Tandja (élu en 1999, réélu en 2004) et Mahamadou Issoufou (élu en 2011, réélu en 2016) avaient déjà accédé au pouvoir à l’issue d’élections multipartites et démocratiques.
Et il y a deux ans, donc, le président sortant, Mahamadou Issoufou, ne s’est pas représenté à l’issue de ses deux mandats constitutionnels de cinq ans. «Passer le pouvoir en 2021 à un successeur démocratiquement élu […] sera ma plus belle réalisation, ce sera une première dans l’histoire de notre pays», avait déclaré Issoufou. Son retrait avait été unanimement salué sur la scène internationale, alors que d’autres chefs d’Etat africains s’accrochent au pouvoir.
«Hold-up électoral»
L’élection de Bazoum a-t-elle pour autant été régulière ? Sur la ligne de départ, trente candidats se disputaient les suffrages des quelque 7,4 millions d’inscrits sur les listes électorales – quand le pays compte environ 23 millions d’habitants. Le grand favori était Mohamed Bazoum, le «candidat du pouvoir», qui a été ministre sous l’ère Mahamadou Issoufou, et a cofondé avec lui en 1990 le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS).
Au second tour, le favori était opposé au candidat d’opposition Mahamane Ousmane. A l’issue du scrutin, Mohamed Bazoum a été déclaré vainqueur de l’élection présidentielle par la Céni, la Commission électorale nationale indépendante – institution chargée de l’administration des élections, pour l’organisation desquelles elle reçoit le soutien technique du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Les résultats définitifs ont été validés et proclamés le 21 mars 2021 par la Cour constitutionnelle nigérienne. Avec près de 55,7 % pour Bazoum, 44,3 % pour Ousmane, ils étaient très proches de ceux publiés dès le 23 février par la Céni. Avec un peu plus de 4,6 millions de votants, le taux de participation a atteint 62,91 %. Ayant «constaté» que «Mohamed Bazoum a obtenu le plus grand nombre de voix», la Cour «le déclare par conséquent élu président de la République du Niger pour un mandat de cinq ans à compter du 2 avril 2021». Elle indique avoir annulé les résultats de 73 bureaux de vote, sans plus de précisions.
Le vote du 23 février a été entaché par le meurtre de sept agents électoraux de la Céni et un président de bureau de vote, victimes du terrorisme islamique. Au-delà de ces violences, il a fait l’objet de vives critiques de l’opposition, évoquant des «fraudes massives». Le directeur de campagne de Mahamane Ousmane avait ainsi enjoint «tous les Nigériens» à se mobiliser «pour faire échec à ce hold-up électoral», estimant que les résultats n’étaient pas «dans beaucoup de cas, conformes à l’expression de la volonté du peuple». Comme le rapportait Libération, ce sont les taux de participation suspects dans les zones rurales acquises au PNDS (de plus de 95 % dans certaines communes, voire 103 % pour l’une d’elles) qui ont attiré l’attention de l’opposition. Mais elle a été déboutée par la Cour constitutionnelle. Ces recours, par ailleurs, avaient peu de chance de renverser le cours de l’élection, Mohamed Bazoum devançant son adversaire d’un demi-million de voix. In fine, l’élection présidentielle de 2020-2021 n’a «pas occasionné de contentieux ayant nécessité l’intervention de la Céni», relève une étude financée par le Pnud.
«Elections transparentes et crédibles»
En résumé, le dernier président élu au Niger l’a été «à l’issue d’un processus électoral ordinaire. Et comme le dit la formule consacrée, les contestations postélectorales ne furent pas de nature à remettre en cause les résultats», analyse pour CheckNews Francis Laloupo. Mohamed Bazoum ne fait pas, à cet égard, figure d’exception.
Ecartées par la justice, les protestations du camp de Mahamane Ousmane ont été directement portées dans la rue. Peu après l’annonce par la Céni des résultats provisoires, des manifestations ont éclaté dans plusieurs villes du pays, dont la capitale Niamey. Ces troubles ont provoqué la mort de deux personnes et plusieurs centaines ont été arrêtées. Les semaines suivantes, un important dispositif de sécurité a été déployé pour empêcher d’éventuelles manifestations. Courant mars, une marche devant se conclure par un meeting de l’opposition a été interdite par les autorités. Et deux jours avant l’investiture de Mohamed Bazoum, une tentative de coup d’Etat a été déjouée.
Dans ce contexte, les Nations unies ont publié un communiqué conjoint avec la Cédéao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) pour condamner «les actes de violences» et appeler «toutes les parties prenantes à la retenue». En parallèle, l’ONG Human Rights Watch (qui défend les droits humains) exhortait le gouvernement nigérien à «assurer un espace pour la tenue de manifestations pacifiques», limiter «l’usage de la force contre les manifestants au strict nécessaire», et enquêter «sur les allégations de fraude». HRW s’opposait, par ailleurs, aux restrictions d’accès à Internet imposées dans certaines régions du Niger, car de telles suspensions «entravent l’accès à l’information et aux communications nécessaires à la vie quotidienne» et «permettent également d’occulter d’éventuelles violations des droits humains».
Malgré ces freins à la vitalité démocratique, un rapport publié sur le site du PNUD retient qu’au sortir du cycle électoral qui s’est achevé en 2021, le Niger a fait la preuve de sa capacité à organiser des «élections justes, transparentes et crédibles». Ce qui faisait adhérer cet organe des Nations Unies à l’assertion selon laquelle «son système démocratique est […] l’un des plus viables» en Afrique de l’Ouest.
L’Union africaine, dont l’une des missions est de promouvoir la démocratie, avait dépêché une mission d’observation électorale pour suivre le déroulé de la dernière présidentielle nigérienne. Le rapport final rendu par cette mission conclut que cette élection s’est «globalement déroulée dans des conditions acceptables». La mission a constaté que «la campagne électorale s’est déroulée de manière paisible et dans le respect des règles», de même que le scrutin, même si les «procédures de dépouillement» ont été méconnues «par certains agents de bureaux de vote». Ainsi, «en dépit du climat de suspicion entre les acteurs politiques et la situation sécuritaire préoccupante, les élections se sont tenues dans le calme, grâce à la maturité dont ont fait preuve le peuple et la classe politique nigériens».
Mise à jour : Le 3 août à 10 h 40, ajout du rapport de la mission d’observation électorale de l’Union africaine.