De quelque 16 000 euros de rémunération brute mensuelle, à plus une seule miette ? François Bayrou, qui vient de présenter la démission de son gouvernement au président de la République ce mardi 9 septembre, affirme qu’il ne conservera «aucun avantage» en tant qu’ancien Premier ministre. Lors d’une interview diffusée en direct par le média en ligne Brut dimanche, à la veille du vote de confiance à l’Assemblée nationale qui a mené à sa perte, celui qui attend désormais que soit nommé son remplaçant à Matignon, l’assurait : «Il n’y a pas de retraite de ministre ou de Premier ministre, contrairement à ce que tout le monde croit. On avait droit autrefois à un secrétariat, je ne prendrai pas de secrétariat […]. Je n’aurai aucun avantage. Peut-être, j’aurai droit à un garde du corps. Peut-être, parce que c’est comme ça au moins qu’on assure la sécurité pendant un certain temps.»
Effectivement, les anciens Premiers ministres ne touchent pas une retraite qui serait versée sans limite de temps. Depuis une loi organique de 2013, les ministres sur le départ perçoivent, durant les trois mois suivant la cessation de leurs fonctions, une indemnité équivalente au salaire qu’ils recevaient en étant au gouvernement. Autrement dit, environ 48 000 euros pour un Premier ministre (trois fois 16 000 euros), contre un peu plus de 30 000 euros pour les autres membres du gouvernement (trois fois 10 000 euros). C’est donc en quelque sorte une prime de fin de fonction, qui reste temporaire. Et comme cette indemnité de départ vise à sécuriser une période de transition professionnelle ou politique, elle n’est en revanche pas versée à ceux qui ont entre-temps repris une activité rémunérée (une fonction élective ou un poste dans le privé).
Deux casquettes d’élu local
François Bayrou n’aura donc pas droit à ce dispositif, puisqu’il continue d’exercer ses mandats de maire de Pau et de président de la communauté d’agglomération Pau-Béarn-Pyrénées – même s’il avait, pour le temps où il dirigeait le gouvernement, renoncé à ses indemnités d’élu local, dont le montant brut cumulé avoisine les 8 200 euros. Une fois son successeur installé à la tête de l’exécutif, l’édile palois pourra de nouveau siéger pleinement sous ces deux casquettes – donc être rémunéré à ce titre. De la même façon qu’Edouard Philippe avait retrouvé la mairie du Havre à son départ du gouvernement en juillet 2020.
Pour ce qui est du secrétariat, le sujet n’est pas tranché par la loi, mais dans un décret de septembre 2019. Ce texte dispose que «l’Etat met à disposition des anciens Premiers ministres, sur leur demande, un agent pour leur secrétariat particulier, pendant une durée maximale de dix ans à compter de la fin de leurs fonctions et au plus tard jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de 67 ans». Le même décret ajoute que la mise à disposition d’un tel secrétariat particulier n’a pas vocation à bénéficier «aux anciens Premiers ministres qui disposent d’un secrétariat pour l’exercice d’un mandat parlementaire, d’un mandat d’élu local ou d’une fonction publique».
Non seulement François Bayrou, du haut de ses 74 ans, dépasse l’âge limite (tout comme Michel Barnier avant lui, parti de Matignon en décembre 2024 à l’âge de 73 ans), mais en plus le Béarnais occupe, on l’a vu, deux postes d’élu local. Par conséquent, il n’aura pas de secrétaire particulier. Mais pas parce que les ex-Premiers ministres y avaient «droit autrefois», ou parce qu’il aurait de lui-même fait une croix sur cet avantage. Simplement parce qu’il ne remplit pas les conditions pour qu’on le lui accorde.
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Toujours dans le décret pris en 2019, il est prévu que «l’Etat met également à la disposition des anciens Premiers ministres, sur leur demande, un véhicule de fonction et un conducteur automobile, et prend en charge les dépenses afférentes», soit les dépenses d’entretien, de péage et de carburant. Et cette fois, aucune limitation dans le temps n’est définie. Mais là encore, cet avantage n’est pas alloué aux anciens Premiers ministres qui disposent d’une voiture de fonction et d’un chauffeur dans le cadre de l’exercice «d’un mandat parlementaire, d’un mandat d’élu local ou d’une fonction publique». François Bayrou a donc raison de ne pas citer ce service, dont le bénéfice lui est d’office écarté. En tant qu’édile, il circule déjà à bord d’«une Peugeot 5008 avec un chauffeur», affirme à CheckNews une source à la mairie de Pau.
Protection assurée par le ministère de l’Intérieur
Reste le dernier privilège mentionné par celui qui sera chargé d’expédier les affaires courantes dans les prochains jours : la protection accordée aux anciens Premiers ministres. Qui incombe à des agents de la police, et non à «un garde du corps» comme l’a exposé François Bayrou. Et qui repose sur le ministère de l’Intérieur, pas sur les services de Matignon, conformément à une tradition républicaine. En 2020, dans sa réponse à la question d’une parlementaire, la Place Beauvau évoquait «une pratique de sécurité qui prévoit la protection, sans limitation de durée […] des anciens Premiers ministres compte tenu des responsabilités qu’ils ont assumées et des décisions qu’ils ont été amenés à prendre à ce titre et qui pourraient susciter des volontés de vengeance».
De ce fait, si François Bayrou ne devrait en principe bénéficier d’aucun des avantages pécuniaires et en nature prévus par les textes législatifs et réglementaires, il se verra par contre accorder une protection policière à vie, ou du moins tant qu’il sera considéré comme exposé à de grandes menaces. Le dispositif mis en place par le ministère de l’Intérieur repose sur deux officiers de sécurité, qui se relaient toutes les semaines – CheckNews se l’est fait confirmer en décembre 2024 par les anciens Premiers ministres Dominique de Villepin et Bernard Cazeneuve, ainsi que les conseillers d’Elisabeth Borne et Gabriel Attal. La Place Beauvau prend en charge les salaires, «les frais de mission (transport, hébergement et restauration) et les véhicules (achat, entretien, réparation, carburant et péage)».
L’instabilité gouvernementale alourdit l’ardoise
Le coût des protections policières dépêchées pour assurer la sécurité des anciens Premiers ministres est impossible à établir, le ministère de l’Intérieur ne souhaitant pas communiquer à ce sujet. On sait tout de même, grâce à l’effort de transparence dont la Place Beauvau a fait preuve par le passé, que ce dispositif a coûté plus de 2,6 millions d’euros en 2018, et 2,8 millions en 2019. Ce qui permet également de constater que les anciens Premiers ministres sont bien plus coûteux pour l’Intérieur que pour Matignon.
Les dépenses engagées par Matignon en application du décret de 2019 se sont élevées l’année dernière à 1,58 million d’euros, ont indiqué les services du Premier ministre en mai, dans leur réponse à la question d’un député. Une augmentation de 11 % par rapport au montant des dépenses supportées par Matignon en 2023 (1,42 million d’euros), qui était lui-même en hausse en comparaison avec 2022 (1,28 million d’euros). L’inflation des coûts est directement liée à l’instabilité gouvernementale, concèdent les services du Premier ministre dans cette même réponse : si les sommes engagées en 2024 ont progressé par rapport à 2023, c’est en raison «de la prise en compte de trois nouveaux anciens Premiers ministres au cours de l’exercice». Mais bonne nouvelle pour Matignon, François Bayrou ne devrait pour sa part pas contribuer à alourdir cette ardoise.