Bonjour,
Votre question porte sur le journaliste indépendant Romain Molina. Son nom a été largement évoqué ces derniers jours, d’abord pour ses révélations, sur YouTube, concernant l’organisation hiérarchique chaotique du Paris Saint-Germain (PSG), puis pour l’ouverture par la FIFA d’une enquête, suite à ses révélations dans The Guardian sur une affaire d’agressions sexuelles présumées sur mineurs au Gabon.
Cette double actualité résume ce personnage à part de la presse sportive française, connu à la fois pour le buzz de ses révélations sur les réseaux (souvent sur des questions de mœurs) mais aussi pour des contributions remarquées dans les titres les plus prestigieux de la presse mondiale. A seulement 30 ans, Romain Molina s’est déjà fait une solide réputation dans le milieu du football suite à plusieurs enquêtes et ouvrages sur les dessous peu reluisants de ce sport. Il a publié huit livres, oscillant entre le roman et l’investigation, dont la mano negra - Ces forces obscures qui contrôlent le football mondial, qui a contribué à le faire connaître.
Très suivi sur les réseaux sociaux, il sort en parallèle de ses travaux de nombreuses vidéos sur YouTube, où son ton pédagogique se mêle à des infos explosives. Chacune génère une multitude de commentaires, et parfois des articles dans la presse spécialisée. Celle intitulée «PSG : qui dirige vraiment le club ?» qui nous a valu cette question, a dépassé les 328 000 vues, un record pour sa chaîne à 144 000 abonnés. Il fait aussi régulièrement trembler Twitter avec des déclarations chocs sur les clubs et fédérations du monde entier, en divulguant des informations compromettantes sur les dirigeants comme sur les joueurs. Comme le rapporte le Dauphiné dans son portrait, son dernier «space» – débat en direct – en novembre a ainsi rassemblé 80 000 auditeurs, dont des joueurs de foot de premier plan, tels que Dimitri Payet, Alvaro Gonzalez, Amine Harit, joueurs de l’OM.
Ses fans se délectent de ces petits secrets et le remercient toujours de révéler ces dossiers qu’ils ne lisent nulle part ailleurs. Ses détracteurs eux, lui reprochent parfois de lâcher des énormités sans toujours apporter des preuves (que ce soit sur les accusations de matchs truqués, ou sur la circulation de drogues et d’escort girls) ou encore d’évoquer, parfois, des faits relevant davantage de la vie privée que de l’intérêt public.
Des noms ?
— El Che 🇩🇿 (@SinaIoense) October 4, 2021
Lui déplore surtout que ses confrères ne l’imitent pas. «Ce n’est pourtant pas compliqué d’avoir ces informations», estime Romain Molina, contacté par CheckNews. «Pour les coulisses des clubs – en particulier le PSG – tous les acteurs se tirent dans les pattes et balancent les uns sur les autres. Pour les matchs truqués, tout est accessible en ligne, la France reçoit des alertes rouges de la GLMS [Global lottery monitoring system] et personne n’en parle.»
Selon lui, la grande majorité des journalistes sportifs français en connaissent autant – voire plus – que lui sur les magouilles et les dessous du foot. «Certains font bien leur travail, mais beaucoup de grands journaux pourraient faire sauter la FFF [Fédération française de foot] demain, avec les infos qu’ils ont», assure-t-il. «Je ne comprends pas pourquoi ils ne le sortent pas, alors qu’on parle de dossiers liés à la protection de l’enfance. Un jour, je balancerai tous ceux qui ont couvert.» Une position qu’il a toujours assumée dans ses interventions sur les réseaux sociaux. «Je critique souvent le traitement médiatique français, ça n’aide pas à avoir de bons rapports avec les rédactions», admet-il, affirmant que ses sorties sans langue de bois lui ont valu d’être «blacklisté» dans son pays. De fait, s’il se trouve être un informateur précieux de plusieurs journalistes sportifs français, il a aussi de très fortes inimitiés dans le milieu.
Carrière internationale
Pour ces raisons, mais aussi grâce à son parcours personnel atypique l’ayant amené à habiter en Angleterre, en Ecosse et désormais en Andalousie, Romain Molina collabore principalement avec des médias étrangers sur des affaires internationales. Après avoir signé sa première enquête chez CNN, sur un réseau entre la République démocratique du Congo et la Belgique, il écrit un article pour la BBC sur des fraudes en Tunisie. Il co-signe deux papiers dans le New York Times, sur des faits de harcèlement sexiste et de comportements inappropriés avec des mineurs au sein de la FFF. Il travaille depuis régulièrement pour The Guardian : après une série d’articles rapportant des abus sexuels à Haïti, il s’est consacré à révéler des faits pédocriminels au Gabon. Ces travaux, à l’opposé de ses diatribes sur les réseaux, sont très sérieux et ont eu des répercussions politiques et judiciaires majeures.
Au Gabon, l’ancien sélectionneur de l’équipe nationale de football des moins de 17 ans, Patrick Assoumou Eyi, ainsi que deux entraîneurs de clubs, Orphée Mickala et Triphel Mabicka, ont été mis en examen pour «viols sur mineurs». Suite à ses révélations dans The Guardian, ce 10 janvier, la FIFA a donc confirmé que son comité d’éthique indépendant avait ouvert une enquête sur les allégations d’abus sexuels généralisés dans le football gabonais.
Après ses révélations sur Haïti, la FIFA a jugé Yves Jean-Bart, président de la Fédération Haïtienne de Football, coupable d’abus de pouvoir et d’agression sexuelle sur plusieurs joueuses, dont des mineures, et prononcé contre lui «une interdiction à vie de toute activité liée au football». Suite à cette décision, ce dernier a attaqué en diffamation Romain Molina, mais pas les deux autres journalistes, ni The Guardian. Etant indépendant, il n’a aucun média auquel s’adosser quand ça tangue, mais peut compter sur le soutien de Reporter sans frontières, qui estime : «Cette plainte relève d’une volonté d’intimider un journaliste qui a mené une enquête sérieuse qui dérange»
La plainte pour diffamation fait suite notamment à la publication d'une enquête de Molina dans @guardian en 2020 sur des accusations d'agression sexuelle sur mineures visant Jean-Bart. L'enquête avait donné lieu à une procédure interne de la FIFA sanctionnant Jean-Bart à vie. 2/3
— RSF (@RSF_inter) January 7, 2022
«C’est un très bon informateur, il apporte beaucoup à notre équipe d’investigation», assure de son côté Ed Aarons, journaliste britannique co-signataire de ces enquêtes, à CheckNews. «Il nous a partagé des preuves pour chaque élément qu’il a apporté, et nous a mis en contact avec les personnes ayant témoigné. Il est très impliqué, il a été incroyable avec les victimes, notamment sur Haïti, ce n’est pas exagéré de dire qu’il a aidé à sauver des vies.» Le journaliste explique que personne n’a compris pourquoi Romain Molina était le seul attaqué par Jean Yves-Bart sur les trois signatures. «J’imagine que c’est à cause de la médiatisation qu’il fait sur YouTube.»
Au vu du succès ces collaborations, pourquoi produire autant de contenu sur Internet, quitte à troubler son image ? «Au-delà du fait que j’aime varier les formats et que ça ne me prend pas beaucoup de temps, les vidéos YouTube ou les live sont aussi des appâts pour faire venir à moi des preuves, voire d’autres dossiers», explique Romain Molina. A travers une approche grand public qui assoit son influence, il vise ceux de l’intérieur qui écoutent, pour recevoir ensuite des pistes, des témoignages, et transformer les on-dit en sujets sérieux. «Le Gabon, j’ai passé plus de deux ans à enquêter dessus, mais je l’ai fini grâce au “space” Twitter du 18 novembre, à la suite duquel j’ai reçu des éléments décisifs.»
«Fun, foot et socialisme»
Seule ombre au tableau : une polémique qui le suit depuis maintenant plusieurs années. Dès fin janvier 2018, le site d’Egalité et Réconciliation (ER), mouvement d’ultra-droite d’Alain Soral, propose de prendre part à un voyage en Corée du Nord organisé au printemps, sous le nom de «Fun, foot et socialisme». Romain Molina est annoncé comme «participant prestigieux», au même titre que le footballer Olivier Dacourt, lequel s’est ensuite rétracté. «Fin connaisseur des dessous et des arcanes du foot, il livrera ses anecdotes les plus croustillantes et analysera la géopolitique du football dans le cadre de soirées-débats passionnantes», vend le site.
Le voyage est organisé par l’agence Noko Redstar, grâce à ses connexions avec la Korea international sport travel company (KISTC), affiliée au ministère des Sports de Corée du Nord. La présentation de la formule de sept jours – qui coûte 1890 euros par personne – reprend les mêmes éléments de langage, comme on peut le constater dans les archives du site. L’agence est tenue par Nils Bollo, aujourd’hui décédé, qui était notamment auteur d’articles chez Boulevard Voltaire, média co-fondé par Robert Ménard, maire d’extrême droite de Béziers. Proche d’ER, Nils Bollo avait organisé l’excursion de Dieudonné et Soral en Corée du Nord en septembre 2017, comme le rappelle Slate.
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Romain Molina a par ailleurs accepté d’être l’invité de l’émission «L’heure la plus sombre» d’ERTV, encore disponible sur ERFM. Dans cet épisode, le journaliste évoque son départ prochain en Corée du Nord, pour la préparation d’un futur livre. «Je me suis mis en contact avec Noko Redstar et Nils, et de fil en aiguille il y a eu la possibilité d’y aller et d’être invité», explique à l’époque Romain Molina. «L’idée, c’est même de revenir avec un documentaire sur le foot», annonce-t-il à ce moment-là.
«Je n’ai parlé à Alain Soral que vingt minutes dans ma vie»
Interrogé sur cette proximité, le journaliste se défend : «Je ne vois même pas pourquoi on en parle, les gens me cassent les couilles avec ça, apprenez à faire votre boulot, c’est un énorme mensonge. Ce n’était pas un voyage organisé par Egalité et Réconciliation, mais par une agence agréée par le ministère des Sports coréen. Bien sur que je savais que le mec qui gérait ça était leur pote, et que le caméraman travaillait avec eux. Bien évidemment que je savais qu’ER faisait la pub du voyage, je le cache pas. Je parle avec tout le monde, à gauche comme à droite, tant qu’on discute de foot, je me fiche de la politique. Mais je n’ai rien à voir avec eux, ils ne m’ont jamais donné un centime. Je n’ai parlé à Alain Soral que vingt minutes dans ma vie, à la sortie de l’émission, de foot et de cyclisme. Moi j’y allais surtout pour la déconne, au final Nils Bollo m’a fait vivre un enfer, donc je n’ai jamais rien fait avec les images.» Contrairement à ce qu’il avançait dans l’émission, il assure aujourd’hui avoir payé son voyage.
Cette accointance présumée avec Alain Soral lui est déjà reprochée en l’état par certains, et a été mentionné dans cet article d’Arrêts sur images. Mais c’est surtout le témoignage d’une journaliste ayant fait partie du voyage qui a nourri les débats contre lui sur les réseaux sociaux. Un an après leur retour de Corée, la jeune femme a publié un long article, racontant s’être senti «trahie» en apprenant une fois sur place l’implication d’Egalité et Réconciliation. Le voyage a d’autant plus viré au cauchemar lorsqu’elle a subi du harcèlement sexiste. Recrutée à la dernière minute pour un «documentaire indépendant», elle raconte n’avoir au final jamais su qui finançait, ni pu récupérer le fruit de son travail.
Contactée par CheckNews, elle préfère ne plus s’exprimer sur cette affaire, ayant subi une vague de cyberharcèlement après la réaction publique de Romain Molina. Car si les protagonistes sont anonymisés, tous les éléments laissent facilement comprendre que le «Don Quichotte» de l’article est Romain Molina, que «Nicolas» est Nils Bollo et que «Paul», le caméraman recommandé par ER, se nomme Franck Pertegas. Ce vidéaste ayant réalisé plusieurs documentaires pour ERTV, est le seul à finalement avoir publié des rushs pris sur place, dans cette vidéo. Il n’a pas répondu à nos sollicitations. En revanche, le «Lorenzo» de l’article, un autre journaliste qui était du voyage et qui souhaite rester anonyme, confirme que Romain Molina leur a donné le contact de Nils sans donner sa véritable identité : «On m’a mis en contact avec une personne présentée comme un lien entre la France et la Corée, via sa famille, j’ai découvert qui il était à l’aéroport.»
Selon lui, il ne faut cependant pas mettre en cause Molina, qui «croyait vraiment en ce projet de documentaire» et a été, selon ses mots, «instrumentalisé». Il affirme cependant qu’ils ont bien été «invités» par les Nord-Coréens (sans savoir qui précisément) pour faire des interviews, «et qu’il devait y avoir quelque chose de rendu à notre retour». Si «le projet docu n’a pas abouti», Lorenzo ne dénigre pas pour autant le séjour. «Je pense qu’on a tous été aveuglés par la chance de pouvoir se rendre dans un pays impossible à découvrir.» Molina, lui, déplore que cette histoire continue de le suivre, et soit régulièrement utilisée contre lui, malgré «dix ans de travail de qualité».