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Epreuve de triathlon reportée aux JO 2024 : l’investissement de 1,4 milliard d’euros pour nettoyer la Seine n’a-t-il servi à rien ?

Objectif des travaux réalisés pour assainir les eaux fluviales, l’épreuve de triathlon des JO à Paris a été reprogrammée pour «raisons sanitaires». Poussant certains à s’interroger sur l’impact effectif du «plan baignade».
Beaucoup dénoncent une somme colossale car la qualité de la Seine demeure soumise aux aléas météo, oubliant un peu vite les effets à long terme de l'investissement, notamment pour la biodiversité. (Benoit Tessier/REUTERS)
publié le 30 juillet 2024 à 20h35

L’épreuve masculine de triathlon n’a donc pas eu lieu mardi 30 juillet. Dans un communiqué, Paris 2024 et World Triathlon ont annoncé que «les analyses effectuées dans la Seine aujourd’hui ont révélé des niveaux de qualité de l’eau qui n’offraient pas les garanties suffisantes pour permettre la tenue de l’évènement». La course a été reportée au mercredi 31 juillet à 10 h 45. Son pendant féminin devrait avoir lieu le même jour, à 8 heures, «sous réserve que les prochains tests correspondent aux standards de seuil de baignabilité». En cause : les pluies des 26 et 27 juillet qui ont «altéré la qualité de l’eau», notamment en faisant déborder des eaux non traitées dans le fleuve.

Un coup dur pour les institutions en charge de l’amélioration de la qualité de l’eau de la Seine, au premier rang desquelles la mairie de Paris et la région Ile-de-France, qui ont diligenté pendant plusieurs années des travaux importants, avec un budget de 1,4 milliard d’euros. Beaucoup, aujourd’hui, dénoncent une somme colossale investie pour rien, qui aurait rendu la «Seine faussement baignable», avec une qualité soumise aux aléas météorologiques. Oubliant un peu vite les effets à long terme de cet investissement (réalisé pendant huit ans).

«Une caricature»

Ces travaux visant à «diminuer de 75 % la pollution bactériologique» fluviale dans et autour de Paris se sont inscrits dans le cadre du «Plan qualité de l’eau et baignade». Initié en 2016, il a mobilisé la préfecture de région d’Ile-de-France et la Ville de Paris. Mais aussi le Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP) et la Direction régionale et interdépartementale de l’environnement, de l’aménagement et des transports (DRIEAT). Par le biais de l’Agence de l’eau Seine-Normandie (AESN), l’Etat a contribué au financement de 700 millions d’euros sur le 1,4 milliard estimé. Les collectivités territoriales de Seine-Saint-Denis et de Seine-et-Marne ont également été impliquées.

Car ce «plan baignade» ne concerne pas que la Seine. La Marne, en tant que principal affluent du fleuve, a été largement concernée par ces travaux d’assainissement. Pour Brigitte Vinçon-Leite, chercheuse à l’Ecole des Ponts ParisTech, spécialiste de l’hydrologie urbaine, «dire que ces travaux visaient uniquement à nettoyer la Seine pour les JO est une caricature. La Seine est le réceptacle de toute l’eau en amont. Il faut donc nettoyer tout ce qui lui arrive.»

«Un travail de fourmi»

Par conséquent, un chantier a d’abord consisté en l’amélioration de la qualité de l’eau en sortie des stations d’épuration de Noisy-le-Grand et de Valenton, par exemple par ultra-violet. Ensuite, il s’est agi d’entamer une réfection (non terminée à ce jour) du réseau des eaux usées en région parisienne. Plus précisément, en la résorption de mauvais branchements d’eaux usées, estimés à 23 000. «Autour de Paris, notamment dans le Val-de-Marne, les territoires se sont urbanisés très rapidement il y a plus de cinquante ans. Les pavillons ont été élaborés sur de mauvais branchements», explique Brigitte Vinçon-Leite.

«En gros, les tuyaux recevant les eaux de pluie recevaient aussi les eaux usées, qui allaient directement dans la Marne, puis dans la Seine, poursuit la chercheuse. Il y a eu de gros efforts pour réparer ces branchements, et c’est un travail de fourmi car il faut d’abord les localiser, convaincre les particuliers de faire les travaux ensuite.» Cet effort a été estimé à environ 300 millions d’euros de travaux. A Paris, les raccordements ont concerné les péniches et les bateaux.

Bassins d’orages

Enfin, les chantiers emblématiques ont consisté en l’établissement de plusieurs «bassins d’orages» et de collecteurs. Entre l’Essonne et le Val-de-Marne, le collecteur VL8 a ainsi coûté 339 millions d’euros. Long de neuf kilomètres, il doit permettre de stocker plus de 50 000 mètres cubes d’eaux usées du sud de l’agglomération parisienne, puis de les acheminer vers la station d’épuration de Valenton. Objectif : éviter les déversements d’eaux non traitées dans le milieu naturel en temps de pluie. Et donc de limiter les contaminations bactériologiques des eaux fluviales (à l’E. coli et aux entérocoques notamment).

Dans le même esprit, le plan a accompagné la construction du bassin d’orage d’Austerlitz, chantier sur lequel est décédé l’ouvrier Amara Dioumassy en juin 2023. Le bassin doit lui aussi permettre de stocker les eaux usées et pluviales en cas de fortes pluies, pour éviter qu’elles ne soient déversées dans la Seine. En outre, un siphon a été posé sous la Marne, à vingt mètres de profondeur, entre Noisy-le-Grand et Neuilly-sur-Marne. Là encore, il doit servir à éviter le déversement d’eaux usées dans la Marne lors des orages, puis à les acheminer jusqu’à l’usine de traitement de Marne Aval.

Un dispositif global qui, visiblement, ne peut pas tout. Si, dans la capitale, l’adjoint à la mairie de Paris en charge de l’assainissement Antoine Guillou, assure auprès de CheckNews que «le bassin d’Austerlitz a joué son rôle et a permis d’éviter les déversements dans Paris», il pointe «une situation exceptionnelle de pluies très importantes conjuguées à un débit de la Seine élevé. L’eau arrive plus vite en amont de Paris ; la zone qui impacte la qualité de l’eau est élargie.» Ce qui, d’après lui, est à l’origine de la pollution constatée dans les dernières analyses.

«Tirer la chasse d’eau dans la Seine»

Dans le cadre de ce plan – dont Antoine Guillou tient à rappeler que le budget de 1,4 milliard d’euros en huit ans est à mettre en perspective avec le budget annuel du SIAAP pour l’assainissement public (1,3 milliard d’euros) – les pouvoirs publics ont largement mis l’accent sur «l’héritage», une fois passés les JO. Le «plan baignade» devrait, selon plusieurs experts, être profitable pour la biodiversité. Pour Brigitte Vinçon-Leite, «les JO ont été un levier pour avancer sur ces travaux d’assainissement qui, de toute façon, devaient être faits pour préserver les milieux aquatiques». De précédentes phases de travaux d’assainissements menées depuis plusieurs dizaines d’années semblent déjà avoir porté leurs fruits, poussant la chercheuse à se montrer optimiste.

En avril 2024, Vincent Rocher, du SIAAP, déclarait à Science et Vie : «Améliorer la qualité des eaux fluviales n’a pas pour seul but d’accueillir les JO et, surtout, il n’y a pas que les humains qui en profiteraient. Les efforts réalisés pendant plusieurs décennies pour transformer les systèmes d’assainissement ont permis une diminution de la présence d’azote et de phosphore […] et des germes bactériens […]. Or cette réduction s’est accompagnée d’un retour de la vie piscicole : alors qu’on ne recensait plus que trois espèces de poissons dans la Seine, dans les années 1970, nous en dénombrons désormais près de 36 !»

Brigitte Vinçon-Leite ajoute que «l’amélioration du fleuve va être bénéfique aux habitants, plusieurs sites seront ouverts à la baignade à Paris et le long de la Marne.» Antoine Guillou promet ainsi trois points de baignade dans la Seine en 2025. Une trentaine d’autres sont à l’étude en région parisienne. A l’heure actuelle, certains doutent d’une telle échéance. Pour l’adjoint à la mairie de Paris, l’essentiel est ailleurs : «Les investissements consentis l’ont été au-delà de la baignade. Il est anormal que ces travaux n’aient pas été faits avant, car en certains endroits, cela revenait plus ou moins à tirer la chasse d’eau directement dans la Seine, et ce n’était pas acceptable d’avoir cet impact négatif sur l’environnement sans se poser de question. Les JO auront permis d’avancer car ils ont incité beaucoup d’acteurs publics à se coordonner sur ce sujet.»