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Est-il vrai que 15 candidats RN ont été «choisis par Poutine» pour observer les élections russes, comme le dit David Lisnard ?

Le maire LR de Cannes a dénoncé les liens du parti d’extrême droite avec Moscou en évoquant, avec quelques approximations, la participation à des missions d’observation sur les scrutins orchestrés par le Kremlin.
Le maire de Cannes, David Lisnard, le 15 décembre. (Frederic Dides /Hans Lucas. AFP)
publié le 27 juin 2024 à 7h13

Alors que le Rassemblement national est régulièrement pointé du doigt pour ses liens avec la Russie, notamment en raison de prêts russes obtenus en 2014 pour financer ses campagnes électorales, ou de la complaisance de Marine Le Pen à l’égard de Vladimir Poutine (moins clairement affichée depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en 2022), David Lisnard vient d’allonger la liste des griefs. Le maire LR de Cannes, qui avait appelé à la démission d’Eric Ciotti après son alliance avec le RN, a expliqué au micro de Sud Radio, ce mercredi 26 juin, craindre qu’à l’issue des législatives, ne soit élu au moins «un des quinze candidats RN qui avaient été choisis par Vladimir Poutine pour être des vérificateurs des élections en Russie». «Est-ce qu’on se rend compte de l’ingérence étrangère ?» a insisté David Lisnard.

Lorsqu’il mentionne «quinze candidats du Rassemblement national qui ont été désignés par Poutine pour être vérificateurs des élections en Russie», l’édile se réfère à une enquête publiée par Mediapart la semaine dernière. L’accusation brandie par Lisnard est un peu approximative puisque ce que les journalistes révèlent, plus exactement, c’est qu’«au moins quinze candidats investis par le RN ont effectué des missions d’observation électorales pour la Russie ou des visites à haut niveau à Moscou, ou bien ont été les piliers d’associations faisant la promotion du régime de Vladimir Poutine».

«Une leçon de démocratie» donnée par les Russes

Les anciens «vérificateurs des élections en Russie» investis par le RN pour ces législatives sont en fait au nombre de neuf. La vice-présidente du parti, Hélène Laporte, candidate dans le Lot-et-Garonne, l’eurodéputée Virginie Joron, candidate dans le Bas-Rhin, la députée Julie Lechanteux, candidate dans le Var, ainsi que le porte-parole du RN, Jean-Lin Lacapelle (qui fut aussi observateur des élections législatives en 2021), candidat dans le Loiret, faisaient partie de la délégation de dix eurodéputés RN dépêchés par la Russie pour valider le référendum constitutionnel organisé en juillet 2020. Eux-mêmes s’étaient ouvertement félicités d’avoir assisté au scrutin en tant qu’observateurs, vantant même «une leçon de démocratie» donnée par les Russes. Pour rappel, ce vote a autorisé Vladimir Poutine à se maintenir à la présidence pour deux mandats de plus, ou encore à inscrire l’interdiction du mariage pour les couples de même sexe dans la Constitution russe.

Les conditions de la venue des élus français, organisée aux frais d’un bienfaiteur dont l’identité n’est pas connue, ont plus tard été dévoilées par le journal russe indépendant Novaïa Gazeta (censuré par Moscou depuis 2022). De son côté, l’eurodéputé RN Thierry Mariani avait déclaré, lors d’une audition à l’Assemblée, que la mission d’observation à laquelle il avait pris part en 2020 «était à l’invitation des Russes et a été payée par les Russes». Son assistante Tamara Volokhova, une Franco-Russe qui officie aujourd’hui comme conseillère du RN au Parlement européen, était également du voyage – candidate aux législatives de 2022, elle ne s’est pas représentée cette fois, mais son nom est revenu sur le devant de la scène à la faveur d’une passe d’armes entre Jordan Bardella et Gabriel Attal mardi 25 juin sur TF1.

Candidat dans l’Ain, et également porte-parole du parti, Andréa Kotarac a effectué une mission d’observation électorale à l’occasion des élections organisées par les pro-russes dans le Donbass en 2018. Un scrutin soutenu par la Russie mais jugé illégal par la communauté internationale (les Nations unies et l’Union européenne notamment). Passé au RN en 2019, Kotarac était alors conseiller régional d’Auvergne-Rhône-Alpes sous la bannière LFI. Autres anciens observateurs, l’eurodéputée RN Dominique Bilde, candidate en Meurthe-et-Moselle, avait fait le déplacement pour les élections régionales en 2017 ; son fils Bruno Bilde, député sortant investi dans le Pas-de-Calais, mais aussi l’ancien député Ludovic Pajot, candidat suppléant dans une autre circonscription du Pas-de-Calais, lors de l’élection présidentielle en 2018 ; et le député Frédéric Boccaletti, candidat à sa réélection dans le Var, qui s’est fait remarquer du fait d’une condamnation pour «violence avec arme», au cours des élections législatives en 2021 (tout comme Jean-Lin Lacapelle, déjà mentionné).

Ces missions d’observation pour le compte de la Russie ont notamment attiré l’attention de la récente commission d’enquête parlementaire sur les ingérences de puissances étrangères – quand bien même c’était le RN Jean-Philippe Tanguy (actuellement candidat à sa réélection) qui la présidait. La commission, dans le chapitre sur les tentatives d’ingérences russes de son rapport publié en juin 2023, revient longuement sur «le cas particulier du Rassemblement national». «Une des manières privilégiées par le Rassemblement national d’afficher sa proximité et son soutien au régime de M. Poutine a été le déplacement des membres du parti en Russie pour cautionner la politique du Kremlin, en particulier l’annexion illégale de la Crimée», écrivent les auteurs du rapport. Ils rappellent plus loin qu’en mars 2023, «le Parlement européen a prononcé à l’encontre [de trois eurodéputés RN] une interdiction, jusqu’à la fin de l’année, de participer à des missions officielles d’observation des élections à l’étranger». Et les parlementaires notent donc qu’«il est permis de s’interroger sur une éventuelle ingérence du pouvoir russe qui a pu vouloir utiliser la légitimité de députés européens […] pour valider le discours et les actes du Kremlin».

Les sœurs Le Pen, autres candidates Moscou-compatibles

La proximité avec la Russie de six autres candidats est par ailleurs pointée du doigt par Mediapart, mais prend d’autres formes. Sans que sa visite soit corrélée à un vote, l’eurodéputée Joëlle Mélin, candidate aux législatives dans les Bouches-du-Rhône, s’est rendue à Moscou en 2017 dans le cadre d’une mission parlementaire. Rémy Berthonneau, candidat en Gironde, a été salarié de l’entreprise française Safran en Russie, puis directeur général de la société française Cifal à Moscou. Il s’est alors employé à développer les relations franco-russes, notamment à travers son collectif des Français Libres, lancé en 2015.

Ancien militant de l’UMP, l’avocat Pierre Gentillet, candidat RN dans le Cher, a fondé en 2015 le Cercle Pouchkine, un think tank pro-Poutine. Resté longtemps fidèle à RT France, il est devenu chroniqueur régulier de CNews depuis l’interdiction de la chaîne du Kremlin. Parmi les candidats investis par Eric Ciotti et soutenus par le RN, figure le maire de Maisons-Laffitte Jacques Myard, candidat dans les Yvelines, proche de Thierry Mariani avec qui il a effectué deux voyages en Crimée occupée.

Les sœurs Le Pen complètent la famille des candidats Moscou-compatibles. A nouveau investie dans le Pas-de-Calais, Marine Le Pen avait affiché, dès son arrivée à la tête du parti en 2011, son «admiration» pour Vladimir Poutine. «L’ancienne présidente du Rassemblement national s’est rendue au moins à quatre reprises à Moscou : en 2013, en 2014, en 2015 et en 2017. Lors de ses trois premiers déplacements, elle a été accueillie à chaque fois à la Douma puis, en 2017, par M. Poutine au Kremlin», a retracé la commission d’enquête parlementaire contre les ingérences. Quant à Marie-Caroline Le Pen, la candidate dans la Sarthe s’est rendue en Russie au moment de la Coupe du Monde de football 2018. A ses côtés pendant le voyage : son mari Philippe Olivier, eurodéputé RN, qui s’était aussi déplacé en Crimée deux ans plus tard, comme observateur du référendum constitutionnel.