Après l’attaque du Hamas sur le territoire israélien samedi 7 octobre, divers commentateurs soulignent sur les réseaux sociaux que «la destruction de l’Etat d’Israël» fait partie intégrante de la charte fondatrice du mouvement islamiste. Plusieurs messages ont été adressés à CheckNews pour savoir si c’est effectivement le cas.
Le Hamas (acronyme de «Harakat al-muqâwama al-islâmiya», que l’on peut traduire par «Mouvement de résistance islamique») a été créé en 1987. Le 18 août 1988, il a adopté une charte qui énonce les principes, la philosophie religieuse et les objectifs du mouvement. En 2017, un autre texte, couramment considéré comme un complément à la charte de 1988, a été présenté par le bureau politique du Hamas.
Référence aux conquêtes du VIIe siècle
Une traduction de la charte de 1988 a été établie par l’historien Jean-François Legrain, spécialiste de la Palestine. Elle contient plusieurs appels clairs à faire disparaître l’Etat d’Israël, créé en 1948. Ainsi, l’une des citations qui ouvre le texte, attribuée à l’égyptien Hassan el-Banna, fondateur des Frères musulmans, est explicite : «Israël existe et continuera à exister jusqu’à ce que l’islam l’abroge comme il a abrogé ce qui l’a précédé.»
Plus loin, dans son article 11, la charte explique «qu’à l’époque des conquêtes» – celles du VIIe siècle – «les musulmans ont constitué ces terres en biens waqf pour toutes les générations de musulmans, jusqu’au jour de la résurrection». La signification de la notion «waqf» (voisine de celle, parfois mieux connue en Occident, de «mainmorte») est précisée dans la suite du texte : «La jouissance [de ces terres] par leurs propriétaires n’est plus qu’une jouissance de l’usufruit.»
Selon le Hamas, du fait même de leur ancienne conquête, ces terres demeurent et demeureront intrinsèquement musulmanes. La charte précise qu’il est, en conséquence, «illicite d’y renoncer en tout ou en partie, de s’en séparer en tout ou en partie : aucun Etat arabe n’en a le droit, ni même tous les Etats arabes réunis ; aucun roi ni président n’en ont le droit, ni même tous les rois et présidents réunis ; aucune organisation n’en a le droit, ni même toutes les organisations réunies, qu’elles soient palestiniennes ou arabes».
Récit complotiste et antisémite
Dans son article 7, la charte affirme par ailleurs que le Hamas «est l’un des épisodes du jihad mené contre l’invasion sioniste». A l’article 12, il est expliqué que «lorsque l’ennemi foule du pied la terre des musulmans, [le jihad] incombe à tout musulman et à toute musulmane en tant qu’obligation religieuse individuelle ; la femme alors n’a pas besoin de la permission de son mari pour aller combattre [l’ennemi], ni l’esclave celle de son maître». L’article suivant affirme qu’«il n’y aura de solution à la cause palestinienne que par le jihad» et que les «initiatives, propositions et autres conférences internationales» ne sont «que perte de temps et activités futiles.»
De façon notable, l’article 32 considère toute perspective de «sortie du cercle du conflit avec le sionisme» comme «un danger». L’argumentaire s’appuie ici sur un récit résolument complotiste : «Le plan sioniste n’a pas de limite ; après la Palestine, ils ambitionnent de s’étendre du Nil à l’Euphrate. Lorsqu’ils auront parachevé l’assimilation des régions jusqu’auxquelles ils seront parvenus, ils ambitionneront de s’étendre plus loin encore, et ainsi de suite. Leur plan se trouve dans les Protocoles des sages de Sion et leur conduite présente est une bonne preuve de ce qu’ils avancent.»
A lire aussi
Pour mémoire, les Protocoles des sages de Sion est un texte à visée antisémite, inventé par les services secrets du tsar russe au début du XXe siècle, afin de faire croire à l’existence d’un plan de conquête du monde par les Juifs et les Francs-maçons. L’article 22 offre un autre exemple de récit complotiste antisémite, en expliquant notamment comment «les ennemis» – qui «règnent sur les médias mondiaux» et «ont fait éclater des révolutions dans différentes régions du monde pour réaliser leurs intérêts et les faire fructifier» – étaient «derrière la Seconde Guerre mondiale qui leur a permis d’amasser d’énormes profits grâce au commerce du matériel de guerre. Ils ont préparé le terrain pour l’établissement de leur Etat.»
Une charte «fort rarement» citée par les leaders du Hamas
Selon l’historien auteur de sa traduction, «loin de sa réputation», cette charte n’aurait «jamais été considérée par le mouvement comme juridiquement dotée d’un statut de référence contraignante», et «ne figure pas, d’ailleurs, sur son site internet officiel». Le chercheur précise qu’au cours de l’histoire du mouvement, ses leaders ont «fort rarement» cité ce texte, et que «nombre de cadres et proches du mouvement» ont dénoncé sa dimension antisémite, en appelant parfois «à l’annulation du texte ou à sa réécriture».
A l’appui de cette analyse, on peut noter qu’en 2011, le Hamas a publié sur son site une chronique d’Ahmed Yousef, ex-conseiller de l’ancien Premier ministre palestinien Ismaïl Haniyeh (désormais chef du bureau politique du Hamas), qui suggère ‒ tout du moins à cette date ‒ une prise de distance avec la charte. Selon lui, ce texte «reflétait les vues de l’un des plus anciens dirigeants du mouvement» et avait été ratifié «pendant le contexte particulier de l’insurrection de 1988, comme un cadre nécessaire pour faire face à une occupation implacable». Or, si «en tant que document écrit il y a plus de deux décennies, [elle] conserve sa valeur d’autorité», la charte n’était pas, selon lui, «une constitution rédigée comme une loi», et ne devait pas faire l’objet «d’une interprétation littérale».
En 2017, un nouveau texte de «principes généraux et politiques»
En 2017, le Hamas a présenté un nouveau document de «principes généraux et politiques», très largement considéré comme un complément à la charte originelle. Un texte qui, là encore, n’est guère ambigu quant au destin souhaité à l’Etat d’Israël. Il rappelle en effet que l’objectif du Hamas «est de libérer la Palestine et d’affronter le projet sioniste». Dans son article 2, il explique que la Palestine, «qui s’étend du Jourdain à l’Est à la Méditerranée à l’Ouest et de Ras Al-Naqurah au Nord [Rosh HaNikra, dans le nord d’Israël, ndlr] à Umm Al-Rashrash au Sud [Eilat, dans le sud d’Israël], est une unité territoriale intégrale. C’est la terre et le foyer du peuple palestinien. L’expulsion et le bannissement du peuple palestinien de sa terre et l’établissement de l’entité sioniste sur celle-ci n’annulent pas le droit du peuple palestinien sur l’ensemble de sa terre et ne confèrent aucun droit à l’entité sioniste usurpatrice sur celle-ci.»
Aux points 18 et 19, le Hamas déclare que «la création d’«Israël» [des guillemets entourent le nom de l’Etat] est totalement illégale, contrevient aux droits inaliénables du peuple palestinien, et va à l’encontre de sa volonté et de celle de l’Oumma [la communauté des musulmans]». La légitimité «de l’entité sioniste», affirme-t-il, ne doit «pas être reconnue» : «Tout ce qui est arrivé à la terre de Palestine en termes d’occupation, de construction de colonies, de judaïsation, de modification de ses caractéristiques ou de falsification des faits est illégitime. Les droits ne s’éteignent jamais.» Puis, à l’article 20, le Hamas rappelle «rejeter toute alternative à la libération pleine et entière de la Palestine, du fleuve à la mer» : «Aucune partie de la terre de Palestine ne doit être compromise ou concédée.»
Rejet des accords d’Oslo
Un passage de ce nouveau texte semble toutefois marquer une évolution de la doctrine du mouvement : «Sans compromettre son rejet de l’entité sioniste et sans renoncer à aucun droit palestinien, le Hamas considère que l’établissement d’un Etat palestinien pleinement souverain et indépendant, avec Jérusalem comme capitale selon les frontières du 4 juin 1967 [avant la Guerre des Six Jours] avec le retour des réfugiés et des déplacés dans leurs maisons d’où ils ont été expulsés, est une formule de consensus national.» Reste que derrière la reconnaissance de «cette formule de consensus», le Hamas réaffirme que les accords d’Oslo «génèrent des engagements qui violent les droits inaliénables du peuple palestinien». «Par conséquent, le Mouvement rejette ces accords et tout ce qui en découle», conclut le texte.
Notons enfin qu’en réponse aux critiques sur l’antisémitisme du texte historique, le Hamas botte en touche, affirmant que ledit antisémitisme est un phénomène «fondamentalement lié à l’histoire européenne […] et non à l’histoire des Arabes et des musulmans ou à leur héritage» culturel. Le mouvement explique être en conflit «avec le projet sioniste et non avec les juifs en raison de leur religion. Le Hamas ne lutte pas contre les juifs parce qu’ils sont juifs, mais contre les sionistes qui occupent la Palestine.»
«La résistance armée comme choix stratégique»
On le voit, l’esprit et les objectifs de la charte restent donc fondamentalement inchangés avec le complément de 2017. De fait, ce document n’annule pas celui de 1988. «C’est pour cela qu’il est passé, estimait en 2018 auprès de CheckNews Leïla Seurat, docteure en sciences politiques et chercheuse associée au Centre de recherches internationales. Les discussions sur la charte remontent à plusieurs années et ont fait l’objet de nombreux débats au sein du mouvement. Beaucoup de ses membres étaient réfractaires à toute initiative visant à son annulation.» Ce texte n’est «pas tellement nouveau», soulignait-elle, mais «est celui qui fait sens car il correspond mieux à la façon dont le Hamas agit. Il s’affiche comme la nouvelle référence politique du Hamas».
En 2020, l’historien Jean-François Legrain jugeait pour sa part que «la seule nouveauté» du document «réside dans la mention de la résistance armée comme choix stratégique». Selon lui, les auteurs «ont simplement opté de taire les fondements religieux, sans bien évidemment les renier». De son point de vue, à l’exception des considérations antisémites du texte de 1988, le reste des points qui y étaient développés «peuvent être considérés comme encore valides, comme le sont les nombreux communiqués et déclarations des trois dernières décennies.»
A la suite de la publication du texte de 2017, l’ambassade d’Israël en France avait jugé qu’il ne proposait «que des ajustements superficiels à la façon dont le Hamas se présente au monde», «un écran de fumée pour cacher l’objectif original du Hamas de détruire Israël par le terrorisme».