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Est-il vrai que «la France est l’un des pays de l’OCDE où la quantité de travail par habitant est la plus faible», comme l’a affirmé Macron sur France 2 ?

La statistique mise en avant par le président de la République, fortement dépendante de la démographie, ne dit rien de la quantité de travail par travailleur. Les Français en emploi travaillent d’ailleurs plus que nombre de leurs voisins.
Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse dans le cadre de la réunion de la Communauté politique européenne, près d'Oxford, le 18 juillet 2024. (Ludovic Marin/AFP)
publié le 24 juillet 2024 à 15h09

Interrogé sur France 2 sur l’éventualité d’une «remise en cause de la réforme des retraites» ou d’une «hausse du SMIC» par le prochain gouvernement, Emmanuel Macron a rétorqué que «l’urgence du pays n’est pas de détruire ce qu’on vient de faire, mais de bâtir et d’avancer». Et de poursuivre «Notre pays, il a besoin d’être plus fort et plus juste. Et quand je regarde les choses autour de nous… les chiffres ont été donnés par l’OCDE pour les pays développés, ces derniers jours : la France est l’un des pays où la quantité de travail par habitant est la plus faible. On n’a pas besoin de continuer à la réduire, on a besoin de continuer à créer de la richesse et à avancer.»

Plus tôt dans la journée, le quotidien les Echos avait lui aussi mis en avant cette statistique dans un de ses articles, et dans un tweet vu plus de 350 000 fois («quantité de travail : les Français toujours à la traîne mais en progrès»), abondamment critiqué par les internautes.

Les statistiques de l’OCDE relatives au «nombre d’heures de travail par habitant» font régulièrement l’objet de commentaires par les personnalités politiques et les médias. Sans nécessairement les remettre en perspective avec d’autres chiffres qui en relativisent la portée, comme nous l’expliquions déjà dans un article paru début 2023.

Heures travaillées par travailleurs : l’Allemagne en queue de peloton

Car rapporter «le nombre total d’heures travaillées à l’ensemble de la population» est un calcul qui, à lui seul, signifie peu de choses, puisqu’il englobe des personnes qui ne sont pas, ou plus, en âge de travailler (à savoir les enfants et les retraités).

Par ailleurs, ce calcul aboutit à une valeur qui sera, nécessairement, très dépendante de la démographie du pays. Ce qui rend donc difficile toute comparaison avec d’autres pays. Ce que reconnaît d’ailleurs l’auteur de l’article des Echos, qui précise que «l‘indicateur de l’OCDE est à manier avec précaution notamment parce qu’il comporte des biais démographiques», notant que «la natalité dans l’Hexagone reste plus dynamique que dans beaucoup d’autres pays, l’espérance de vie y est aussi souvent plus élevée».

De fait, sur son site, dans la partie réservée aux «heures travaillées», l’OCDE met en avant un autre mode de calcul. Celui rapportant les «heures effectivement travaillées» au «nombre moyen de personnes occupant un emploi» (calcul prenant en compte les travailleurs à temps plein comme à temps partiel). Selon les derniers chiffres disponibles, avec 1 500 heures par an et par travailleur, la France est au-dessous de la moyenne des pays de l’OCDE… au même titre que l’essentiel des pays d’Europe. Elle est au-dessus de pays comme la Suède, de l’Autriche, de la Norvège, et loin devant l’Allemagne – en queue de peloton avec 1 343 heures par travailleur.

Une autre statistique pertinente – mais non calculée par l’OCDE – pourrait consister à rapporter le volume d’heures travaillées non plus aux personnes en emploi, mais à l’ensemble de la population active (personnes en âge de travailler). Toutefois, les données accessibles sur le site de l’institution rendent les comparaisons limitées (par exemple, les statistiques de la population active en France sont limitées à la métropole).

Taux d’emploi et PIB par habitant

La statistique relative aux «heures travaillées par habitant» est essentiellement dépendante du taux d’emploi (nombre de personnes en emploi rapporté à la population totale). Dans notre précédent article, Olivier Redoulès, directeur des études au sein du cabinet Rexecode (proche du patronat), notait que ce chiffre donnait avant tout une explication à l’écart des PIB par habitant entre les grandes économies de la zone euro : «Lorsque l’on regarde les données pour 2019 (pour éviter que les données soient perturbées par la crise sanitaire), la productivité horaire entre l’Allemagne et la France étant équivalente», expliquait-il. «La différence de PIB par habitant entre les deux pays (50 000 dollars (à parité de pouvoir d’achat) en 2019 pour l’Allemagne, 43 000 dollars pour la France), soit 14 %, s’explique par la différence de cette durée du travail par habitant (15 %, avec 640 heures par an en France, contre 750 pour l’Allemagne)». Et donc par la part des personnes au travail, puisque selon l’OCDE, les «travailleurs» français, donc en emploi, travaillent plus que les «travailleurs» allemands. Ainsi, selon Rexecode, seuls 42 % des Français (tous âges et toutes activités confondus) sont en emploi, contre 54 % des Allemands.

Selon cette grille de lecture, les Français seraient moins riches (en PIB par habitant) que les Allemands car ils seraient moins nombreux à travailler – et non pas parce que ceux qui ont un emploi ne travaillent pas assez longtemps ou sont moins productifs. Toutefois, il est important de souligner que les statistiques sur la durée du travail de l’OCDE sont peu adaptées aux comparaisons internationales. L’Organisation elle-même le reconnaît, en expliquant que ces données, tirées des comptabilités nationales, «visent à effectuer des comparaisons de tendances dans le temps ; [mais qu’]à cause de la disparité des sources et des méthodes de calcul, elles ne permettent pas de comparer les volumes moyens d’heures travaillées d’une année donnée». Difficile, donc, de les utiliser à ce titre.

Chiffres d’Eurostat

Pour évaluer et comparer les durées effectives de travail, il faut se tourner vers les chiffres d’Eurostat, tirés des enquêtes emplois dans chaque pays. Dans notre article d’avril 2023, nous renvoyions aux dernières données alors recueillies par Rexecode, relatives à l’année 2019 (soit avant la crise du covid). Selon cette source, les salariés à temps complet en France avaient travaillé 1 680 heures par an, contre 1 834 heures pour les Allemands, soit 8,4 % de moins dans l’Hexagone qu’outre-Rhin. Mais en intégrant les salariés à temps partiel (moins nombreux en France et travaillant plus longtemps qu’outre-Rhin), le temps de travail annuel effectif de l’ensemble des salariés devenait à peu près équivalent entre Français (1 558 heures) et Allemands (1 577 heures). Il était en revanche supérieur en Italie (1 685 heures), au Royaume-Uni (1 676 heures) ou encore en Espagne (1 688 heures). «Rapporté au nombre de salariés, le temps de travail est proche entre Français et Allemands, reconnaissait Olivier Redoulès, de Rexecode. Mais effectivement les structures sont différentes, avec plus de temps partiels travaillant moins d’heures en Allemagne, et plus de temps complet mais travaillant moins d’heures en France».

A noter également que même si ces données sont plus fiables que celles de l’OCDE pour opérer des comparaisons internationales, elles restent imparfaites, notamment entre la France et l’Allemagne : la façon dont sont rédigés les questionnaires des enquêtes emploi outre-Rhin conduirait en effet les Allemands à «oublier» de déclarer certains jours de congés.

La tendance, par ailleurs, est au resserrement des écarts. Alors que la durée annuelle effective du travail pour l’ensemble des salariés est quasiment stable depuis 2005 en France, elle a baissé de plus de 100 heures sur la même période en Allemagne.