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Est-il vrai que la majorité des publicités lumineuses vont échapper à l’interdiction de rester allumées la nuit en raison de dérogations?

Dans un projet de décret, qui devrait entrer en vigueur dans deux semaines, le ministère de la Transition énergétique prévoit d’interdire les publicités lumineuses la nuit. Les associations de lutte contre la pollution lumineuse dénoncent de trop nombreuses dérogations.
Aux Galeries Lafayette de Toulouse en décembre 2020. (Pablo Turpin/Hans Lucas / AFP)
publié le 9 septembre 2022 à 17h31

Le 14 juillet, Emmanuel Macron annonçait la mise en place d’un «Plan de sobriété» afin de réduire la consommation française d’énergie de 10% à l’horizon 2024. Dans le cadre de ce plan, un projet de décret portant sur la publicité lumineuse a été annoncé le 24 juillet 2022 par la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher dans un entretien au JDD. Après validation par le Conseil d’Etat, il devrait entrer en vigueur dès le 21 septembre.

«Harmoniser les règles d’extinction»

Qu’est-ce que cela va changer ? Actuellement, les unités urbaines de moins de 800 000 habitants ont pour obligation d’éteindre les publicités lumineuses entre 1 heure et 6 heures du matin (code de l’environnement, article R581-35, dernière version en vigueur datant du 30 janvier 2012). Les unités urbaines de plus de 800 000 habitants peuvent être autorisées à laisser leurs publicités lumineuses allumées si les collectivités le souhaitent, via le règlement local de publicité (RLP, toujours selon l’article R581-35 du code de l’environnement).

Contacté par CheckNews, le ministère de la Transition énergétique explique que le décret prévu pour le 21 septembre vise à «harmoniser les règles d’extinction des publicités lumineuses à l’ensemble du territoire». Les publicités lumineuses devront en effet être éteintes entre 1 heure et 6 heures du matin, peu importe la taille de l’unité urbaine, et qu’elle soit couverte par un RLP ou non. Le non-respect des règles d’extinction sera puni d’une contravention de 1 500 euros par publicité (contre 750 euros actuellement).

Autre modification apportée par le décret : jusqu’à maintenant, toutes les publicités lumineuses ne sont pas concernées par la règle d’extinction. Celles installées sur le mobilier urbain (arrêts de bus, panneaux scellés) peuvent ainsi rester allumées la nuit (en vertu du code de l’environnement, article R581-35). Le décret du 21 septembre vise à étendre l’interdiction des pubs lumineuses à ces panneaux présents sur le mobilier urbain la nuit. Exception : le mobilier urbain des transports (comme les panneaux aux arrêts de bus) pourra laisser les publicités allumées, pendant les heures d’ouverture dudit transport seulement.

Nombreuses dérogations

De nombreuses autres publicités ne seront pas concernées par les interdictions du futur décret. Actuellement, les publicités lumineuses situées dans des locaux privés comme les magasins ou centre commerciaux, installées à l’intérieur et visibles depuis la voie publique, sont autorisées à être allumées la nuit (sauf sur décision sur contraire de la collectivité). Et le décret du 21 septembre n’y changera rien.

Ajoutons le cas particulier des gares et aéroports. L’intérieur de ces zones de transit n’est pas soumis aux interdictions précédentes. Seules les publicités lumineuses situées sur certains quais de gares en extérieur font toutefois l’objet d’interdictions nocturnes. Là encore, le décret du 21 septembre n’apportera pas de modifications.

Thomas Bourgenot, chargé de plaidoyer de l’association Résistance à l’agression publicitaire, en guerre contre les effets négatifs directs et indirects causés par la publicité, estime sur Twitter que «les “rares exceptions” en question sont en fait la majorité des écrans…». Contacté par CheckNews, le même explique : «Même après le 21 septembre, les aéroports, les gares, mais également les centres commerciaux et les vitrines intérieures des magasins, pourront continuer d’afficher des panneaux publicitaires lumineux.» Il poursuit : «Les écrans étant majoritairement à l’intérieur des locaux, les éteindre ne tient qu’au bon vouloir des entreprises et des communes. Il faudrait donc changer la loi.»

Combien de publicités sont concernées?

La majorité des écrans sera-t-elle donc vraiment exonérée ? Le ministère de la Transition énergétique indique simplement que le «chiffrage exact» de publicités lumineuses concernées par le décret du 21 septembre «est difficile à obtenir». Il ajoute que «des estimations sont en cours». Malgré cette (grosse) inconnue, le ministère avance pourtant des estimations d’économie d’énergie : «Eteindre les enseignes la nuit permettrait d’économiser l’équivalent de la consommation électrique annuelle moyenne de 110 000 foyers.»

A noter qu’entre fin 2019 et juin 2020, la Convention citoyenne pour le climat avait proposé un objectif plus ambitieux au gouvernement : «L’interdiction des écrans de vidéos publicitaires dans l’espace public, les transports en commun et dans les points de vente.» Cette proposition n’a pas été retenue.

L’application du décret de septembre devrait faire face à une difficulté supplémentaire. Sollicité par CheckNews, Stéphane Dottelonde, président de l’Union de la publicité extérieure (UPE), met l’accent sur une difficulté non évoquée par le ministère : au 1er octobre, il estime que seulement 9% des publicités lumineuses situées sur le mobilier urbain pourront être éteintes la nuit. «Tout le mobilier urbain n’est pas équipé d’interrupteurs actionnables à distance, explique le président de l’UPE. Une grande majorité est reliée à l’éclairage public, nous ne pouvons donc pas éteindre à distance un panneau à un arrêt de bus pour quelques heures la nuit. Nous allons devoir les équiper, mais cela va prendre du temps.» Pour l’organisme, «l’objectif est d’arriver à 100% du mobilier urbain équipé d’interrupteurs actionnables à distance d’ici le 1er juin 2023».

Laura Huynh Quang et Elie Saïkali

Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec le CFPJ pour le journal d’application de la promotion 61.