Questions posées le 5 janvier,
Bonjour,
Dans le cadre des débats parlementaires sur la mise en place du pass vaccinal, vous êtes plusieurs à nous interpeller sur des arguments relayés notamment par le député de l’Essonne Nicolas Dupont-Aignan. A savoir, en substance : si l’Etat ne rend pas officiellement le vaccin obligatoire, c’est parce que le vaccin est encore «expérimental» et que les autorités ne veulent pas être tenues responsables en cas d’effets secondaires.
Ainsi, devant l’Assemblée nationale mercredi, il a déclaré : «On peut avoir tous les débats de la terre sur le vaccin, pour autant, peut-on imaginer que notre liberté soit conditionnée à un abonnement à des injections encore expérimentales ?» Auparavant, dans une vidéo publiée le 28 décembre, le patron de Debout la France qualifiait déjà le pass vaccinal «d’obligation d’abonnement aux soi-disant vaccins qui ne sont que des injections expérimentales successives». Et de poursuivre : «Car il faut bien voir de quoi on parle. Quand on parle de pass vaccinal, cela veut dire l’obligation vaccinale – de fait – sans la responsabilité de l’Etat, puisque comme il n’y a pas d’obligation vaccinale, s’il y a des dommages et intérêts en raison des effets secondaires, l’Etat n’est pas responsable.»
Le Conseil d’État se couche devant le gouvernement et malgré quelques réserves justifie le principe du passe vaccinal. Assez de ce modèle de langue de bois, soyons ferme et votons à l’assemblée nationale contre ce projet d’arme de destruction de nos libertés. pic.twitter.com/quZYPcy5XQ
— N. Dupont-Aignan (@dupontaignan) December 28, 2021
Des arguments qu’on retrouve massivement dans les sphères antivax, où il est rappelé que l’Autorisation de mise sur le marché (AMM) concernant les vaccins n’est encore que conditionnelle, renvoyant de fait le vaccin au «stade expérimental». Mais également, encore en octobre dernier, sous la plume de plusieurs sénateurs dans le cadre d’un amendement (rejeté) sur la proposition de loi pour rendre la vaccination obligatoire.
En fait, le sujet a déjà été largement débattu en juillet 2021, à l’occasion de la publication par le professeur de droit public à Perpignan Philippe Ségur d’un article sur la licéité d’une obligation vaccinale anti-Covid, repris dans la foulée par France Soir. Ses arguments, repris par les opposants au vaccin, ont depuis été battus en brèche par de nombreux pairs.
Le vaccin n’est plus en phase d’expérimentation
Selon Jérôme Peigné, professeur des universités à l’Institut droit et santé, spécialiste du droit des produits de santé et de droit médical, ni l’argument des AMM, ni celui de la responsabilité de l’Etat, ne sauraient réellement freiner une volonté de rendre le vaccin obligatoire. Une décision qui a d’ailleurs été prise par d’autres pays européens (c’est le cas de l’Autriche, par exemple, à partir du premier trimestre 2022).
Au sujet des AMM, d’abord, le professeur de droit rappelle que le statut d’autorisation conditionnelle du vaccin demeure une autorisation en bonne et due forme : «Les vaccins ont obtenu une AMM conditionnelle européenne valable dans l’ensemble des Etats de l’UE. Il s’agit donc de médicaments juridiquement autorisés et donc légalement commercialisés. Il ne s’agit pas de médicaments expérimentaux, faisant l’objet d’une recherche ou d’essais cliniques préalablement à leur AMM.» Jérôme Peigné poursuit : «Certes, l’AMM est délivrée sous conditions, mais il s’agit bien d’une autorisation qui vaut autorisation de commercialiser et d’utiliser sur tout le territoire de l’Union. Rien n’interdit de faire des essais cliniques post-AMM sur des médicaments autorisés et commercialisés. Les vaccins sont autorisés. Leur utilisation n’a donc pas à faire l’objet d’un consentement individuel pour chaque patient.» Car s’il est vrai que les essais de la dernière phase sont toujours en cours – jusqu’en octobre 2022 pour Moderna et jusqu’en mai 2023 pour Pfizer – cela n’en fait pas des vaccins «expérimentaux» pour autant.
Ainsi dès le mois de juillet, Mathieu Molimard, chef du service de pharmacologie médicale du CHU de Bordeaux, interrogé par le Monde, précisait qu’un suivi des participants sur deux ans était «logique pour observer la décroissance des anticorps, la durée de la protection sur le long terme, et voir s’il faut une autre dose de rappel et au bout de combien de temps».
La responsabilité de l’Etat engagée de toute façon
Concernant la responsabilité de l’Etat, il s’agit là aussi d’un argument bancal pour justifier du refus d’une obligation vaccinale officielle, selon Jérôme Peigné. Car en réalité, obligation ou pas, l’Etat est déjà tenu responsable financièrement dans tous les cas – sauf dans l’hypothèse d’un produit défectueux : «il existe déjà une obligation vaccinale pour certaines personnes exerçant dans le secteur social et sanitaire au titre de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire. Cette loi prévoit que la réparation des préjudices résultant de cette vaccination est assurée par la voie de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux [Oniam, ndlr].» Et donc, à travers cet organisme qui fonctionne sur le principe de la solidarité nationale, par l’Etat.
Dans le cas où il n’y a pas d’obligation vaccinale, c’est le droit commun qui s’applique. En clair, d’après Jérôme Peigné, «les victimes de préjudices peuvent demander réparation aux laboratoires au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux. Il faudra alors démontrer que le vaccin présente un défaut de sécurité et prouver un lien de causalité entre ce défaut et le préjudice». Or, ajoute-t-il, «si la responsabilité du laboratoire n’est pas engagée ou si le laboratoire est exonéré de sa responsabilité, c’est encore la solidarité nationale via l’Oniam qui prendra en charge l’indemnisation des victimes».
Dans le cas précis des vaccins contre le Covid-19, des clauses ont été négociées entre les laboratoires et l’Union européenne. Ces clauses sont en parties demeurées confidentielles, mais dès novembre 2020, des dirigeants ont confirmé que des garanties financières avaient été octroyées aux laboratoires, compte tenu de l’urgence de la situation et du faible recul sur l’épidémie. Ainsi, la ministre déléguée chargée de l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher expliquait que «les seuls cas dans lesquels l’Union européenne pourrait éventuellement partager la charge, […] ce serait la survenue d’un épisode qui serait nuisible et pas connu, ni par nous, ni par le laboratoire pharmaceutique, et sur lequel le laboratoire pourrait démontrer qu’à chaque instant il a fait preuve de transparence».
Le professeur des universités résume donc : «Au bout du compte, ce sera l’Etat qui prendra en charge la réparation des préjudices nés d’une vaccination.» Et ce, que l’obligation vaccinale soit «officielle» ou non.
Limites opérationnelles
Côté gouvernement, on justifie le recours au pass vaccinal, en lieu et place d’une obligation plus formelle, par des arguments opérationnels. Auprès de CheckNews, le ministère de la Santé avance ainsi des raisons d’ordre opérationnelles : «Comment, concrètement, contrôler cette obligation ? La police ne pourrait pas contrôler tout le monde en même temps.»
Sans compter que, toujours d’après le ministère, «le caractère répressif» d’une obligation, au moyen d’une amende par exemple, «ne serait pas de nature à faire changer d’avis certaines typologies de personnes opposées au vaccin – celles versant dans le complotisme. Même, cela les conforterait. Vous remarquerez qu’avec d’autres obligations vaccinales, pour les enfants par exemple, le levier utilisé n’est pas celui de l’amende mais plutôt de l’accès à certains établissements d’accueil (école, crèche…). Avec le pass vaccinal, on reste dans l’incitation forte, car les lieux limités sont liés aux loisirs ou aux transports.»