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Est-il vrai que le «New York Times» a annoncé à l’avance l’heure de l’offensive iranienne, son ampleur et même ses cibles ?

Guerre au Proche-Orientdossier
Relayant des informations des services de renseignement israélien, l’un des éditorialistes du journal, Thomas L. Friedman, a détaillé mardi 1er octobre l’attaque qui se préparait sur l’Etat hébreu, avec près d’une heure d’avance.
Des civils lors d'un avertissement de missiles tirés depuis l’Iran sur une autoroute à Shoresh, entre Jérusalem et Tel-Aviv (Israël), le 1er octobre. (Ohad Zwigenberg/AP)
publié le 2 octobre 2024 à 19h47

Si l’on s’attend à lire le compte rendu détaillé d’une attaque d’ampleur au Moyen-Orient dans les colonnes du New York Times, il est plus rare d’avoir l’occasion de consulter celle-ci avant qu’elle ait lieu. C’est pourtant bien mardi 1er octobre, à 11 h 49 heure de la côte Est des Etats-Unis – soit à 17 h 49 heure de Paris, 18 h 49 heure de Jérusalem – que le site du quotidien a publié, sous la plume de Thomas L. Friedman, un article détaillant les attaques sur Israël qui surviendraient une quarantaine de minutes plus tard.

Il n’y a ici ni erreur dans la date, ni révélation d’un grand complot, ni démonstration des pouvoirs d’une quelconque boule de cristal. Tout de même, par acquit de conscience, nous avons vérifié l’horodatage numérique de l’article… Pas d’erreur. D’ailleurs, le billet était partagé sur Twitter une quinzaine de minutes après sa publication (1).

Joli carnet d’adresses

Editorialiste au New York Times, pour lequel il signe deux fois par semaine des billets sur la politique internationale, Friedman est auréolé du prestige de trois prix Pulitzer. Et possède un joli carnet d’adresses.

L'édito d'Alexandra Schwartzbrod

«Nous sommes peut-être sur le point d’entrer dans ce qui pourrait être le moment le plus dangereux de l’histoire du Moyen-Orient moderne : une guerre de missiles balistiques entre l’Iran et Israël», publiait Friedman dans l’après-midi du 1er octobre. «C’est ce que j’ai pu comprendre en discutant avec des sources des services de renseignements israéliens, qui ont analysé l’intention de l’Iran de lancer une attaque de missiles contre Israël à 12 h 30 heure de la côte est, soit 19 h 30 en Israël.» Et l’éditorialiste d’énoncer ce qu’une langue bien déliée, dans quelque service israélien doté de grandes oreilles, lui a expliqué : «L’attaque est prévue en deux vagues espacées de quinze minutes, et chaque vague impliquera 110 missiles balistiques, ont indiqué les Israéliens.» L’estimation actuelle du nombre de missiles tirés avoisine les 200.

Selon le bien informé Friedman, Israël a appris que les Iraniens viseraient trois cibles : «Tout d’abord, le quartier général du Mossad, le service de renseignement extérieur israélien, près de Tel-Aviv. Ensuite, la base aérienne israélienne de Nevatim et enfin la base aérienne israélienne de Hatzerim.» Qui s’avéreront être les trois cibles mentionnées, quelques heures plus tard, par le chef d’état-major des Forces armées iraniennes, Mohammed Hussein Baqeri.

«Tuyau» journalistique

Mais pourquoi les services de renseignement israéliens ont-ils dévoilé ces informations à un journaliste étasunien, révélant par là même aux Iraniens qu’ils connaissaient tout de leur projet ? A en croire l’interprétation de Friedman : précisément pour qu’ils le sachent. «Ces informations m’ont été communiquées parce que les Israéliens insistent sur le fait qu’ils ne veulent pas d’une guerre balistique à grande échelle avec l’Iran et veulent que les Etats-Unis tentent de dissuader les Iraniens, en leur faisant savoir que s’ils lancent cette attaque de missiles, les Etats-Unis ne resteront pas les bras croisés, et que leur réponse, contrairement à l’attaque de missiles et de drones iraniens du 13 avril contre Israël, ne sera pas purement défensive.» Friedman explique n’avoir pas eu l’occasion d’échanger à ce sujet avec des responsables américains de la défense.

Friedman note que «les Israéliens espèrent que les Etats-Unis transmettront également» à l’Iran le message suivant : «Si cette guerre se déclenche et qu’elle conduit à de grandes destructions et à la mort de civils iraniens, elle pourrait également déclencher un soulèvement contre le régime.»

Suite aux attaques, Friedman a ajouté une introduction à son billet : «Comme prévu ci-dessous, l’Iran a lancé près de 200 missiles balistiques en direction d’Israël à partir de 12 h 30, heure de l’Est», écrit-il, ajoutant plus loin son analyse. «La capacité d’Israël à anticiper l’attaque iranienne et à en indiquer l’heure précise, ainsi que le fait qu’il s’agissait d’une opération des gardes révolutionnaires – et non des forces armées iraniennes régulières sous le commandement du nouveau président – démontrent à quel point le Mossad, le commandement cybernétique d’Israël, l’unité 8200, et l’armée de l’air israélienne ont pénétré le régime iranien.» Le triple Pulitzer n’est donc pas dupe, et semble bien conscient qu’un tel «tuyau» journalistique avait, au bout du compte, pour objectif de faire monter de plusieurs crans la paranoïa dans les rangs militaires de l’ennemi d’Israël.

(1) En revanche, contrairement à ce que certains internautes semblent avoir compris en se référant à l’URL de l’article, celui-ci n’a pas été publié courant septembre. Les pages «opinion» du New York Times à destination des collaborateurs réguliers sont fréquemment créées plusieurs jours avant que les éditorialistes ne prennent la plume. Cette pratique est régulièrement source d’incompréhension de la part des lecteurs – l’exemple étant également donné aujourd’hui avec un usager du réseau social X accusant le titre de presse d’avoir rédigé avec plusieurs jours d’avance ses conclusions sur le débat qui opposait, le 1er octobre, les candidats à la vice-présidence étasunienne.