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Est-il vrai que «le Nutri-Score n’améliore pas la santé», comme l’affirme le cancérologue David Khayat ?

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Interrogé sur LCI, le professeur de cancérologie David Khayat a affirmé que le Nutri-Score n’avait pas d’effet positif sur la santé. Une affirmation contredite par de nombreuses études.
Une étiquette Nutri-Score A sur l'emballage d'un paquet de semoule. (Mathieu Thomasset/Hans Lucas via AFP)
publié le 23 septembre 2023 à 10h32

Le Nutri-Score favoriserait-il des produits sans effets positifs sur la santé ? C’est la thèse que David Khayat, professeur de cancérologie, a défendu dimanche dernier sur LCI. Celui-ci, venu promouvoir son nouveau livre et son propre «score nutri-santé», a attaqué le Nutri-Score figurant aujourd’hui sur nombre de produits.

«On sait que le Nutri-Score n’améliore pas la santé, ça a été prouvé par des tas d’études cliniques», a-t-il affirmé. Selon lui, la non-intégration au Nutri-Score du caractère ultratransformé de certains produits, susceptible de provoquer de nombreuses maladies, ainsi que de l’impact environnemental des produits en font un mauvais outil d’aide à la décision pour le consommateur.

Des propos qui ont indigné Serge Hercberg, nutritionniste et père du Nutri-Score. Dans un tweet répondant à la séquence diffusée par LCI, celui-ci dénonce une «incroyable fausse information» et demande des preuves au professeur Khayat : selon lui, les études cliniques mentionnées par l’oncologue «n’existent pas».

Un «tas d’études» réduit à quelques articles anti-Nutri-Score

Contacté par CheckNews, David Khayat indique que ses propos «ont pu être mal interprétés», et détaille : «Ce que j’aurais dû préciser est qu’aucune étude sérieuse n’a démontré que le Nutri-Score améliorait la santé et que nombre d’experts pensent qu’il est contre-intuitif, comme l’exemple des frites congelées notées A.»

En guise d’études, le professeur ne nous a toutefois transmis que cinq articles : si cela vient confirmer que l’affirmation de Khayat concernant un «tas d’études cliniques» opposées au Nutri-Score était infondée, le choix des sources pose également question. Sur les cinq articles, on trouve une attaque ad hominem contre le docteur Hercberg, une interview où le Nutri-Score est évoqué en trois lignes et un post de blog d’un nutritionniste-homéopathe.

Surtout, l’article de lanutrition.fr transmis par le professeur Khayat a en réalité été écrit au service d’une campagne anti-Nutri-Score. Celui-ci, qui s’achève par un intertitre «Non à la généralisation du Nutri-Score en Europe», renvoie surtout à deux reprises à une pétition qu’il incite (lourdement) le lecteur à signer en ces termes : «Vous pouvez vous opposer à la généralisation du Nutri-Score en Europe en signant la pétition : NON au Nutri-Score obligatoire en Europe».

Ne reste que l’article du site Agriculture et Environnement, basé sur le rapport d’une ONG, la Safe Food Advocacy Europe ; mais ce dernier, qui n’a rien d’une étude scientifique, a été très largement critiqué à l’issue de sa publication.

Le Nutri-Score, bon pour la santé et contre le cancer

Pire : contrairement à ce qu’affirme le professeur Khayat, il existe bien des études prouvant que le Nutri-Score est efficace en matière de santé publique. En septembre 2021, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a notamment publié une note de synthèse basée sur plusieurs études montrant que la consommation d’aliments mal classés par le Nutri-Score augmentait le risque de cancer. Le CIRC avait alors demandé l’adoption d’«un étiquetage nutritionnel harmonisé et obligatoire sur les emballages» à l’échelle européenne, et soulignait que le Nutri-Score «est le seul étiquetage nutritionnel apposé sur les emballages en Europe pour lequel des résultats scientifiques probants ont démontré son efficacité par rapport aux autres étiquetages existants.»

Une méta-analyse, recoupant plus d’une centaine d’études et publiée elle aussi en 2021 avait attesté que les indicateurs nutritionnels, Nutri-Score en tête, conduisaient les consommateurs à privilégier des produits plus sains – avec des réductions notables en matière d’énergie, de sel, de gras et de graisses saturées.

Améliorations à venir

Pour autant, certaines des critiques exprimées par le professeur Khayat sur le Nutri-Score sont légitimes. S’agissant des notations «contre-intuitives» de certains produits, qu’avait récemment mis en lumière l’affaire des Chocapic notés A, la méthode de calcul du Nutri-Score doit changer début 2024 afin de mettre à jour ses recommandations nutritionnelles face aux progrès des industriels et de pénaliser plus lourdement les produits à forte teneur en sel ou en sucre.

Par ailleurs, comme le confirme Serge Hercberg, si l’aspect ultratransformé ou les qualités environnementales d’un produit «sont importants», ils ne peuvent pas être inclus dans le Nutri-Score. En effet, les produits ultratransformés ne sont pas tous dotés de mauvaises qualités nutritionnelles, et inversement. Selon Hercberg, mélanger les deux informations «aurait tendance à lisser les choses», et pourrait masquer les défauts d’un produit dans l’une des deux catégories. Et d’ironiser : «Si on était capables d’agréger la composition nutritionnelle et l’ultra-transformation, on n’aurait pas attendu qu’un cancérologue rédige un livre sur un coin de table !»

Pour résoudre le problème, Hercberg indique qu’il a été proposé «d’entourer le Nutri-Score d’un bandeau noir pour les produits ultratransformés» – une formule validée par une étude menée sur des consommateurs et publiée en mai. Reste qu’une corrélation entre un bon Nutri-Score et le caractère ultratransformé des produits existe déjà : selon les promoteurs de l’outil, seuls 8 % des produits ultratransformés disponibles sur le marché en 2020 bénéficiaient d’un Nutri-Score A, et 13 % d’un Nutri-Score B, contre 79 % notés par un Nutri-Score C, D ou E. Et ce, alors même que la catégorie A est la plus répandue. D’après le Sénat, elle 29 % des produits en bénéficient.