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Est-il vrai que le Pass culture, à destination des 15-18 ans, ne propose que des médias de gauche ?

Alors que l’extrême droite a lancé une polémique à propos de l’absence du Puy du Fou dans l’offre du Pass culture, certains commentateurs dénoncent également l’absence de titres de presse de droite sur la plateforme.
Le Pass culture a été créé en 2019 et généralisé en 2021. (Nicolas Guyonnet/Hans Lucas)
publié le 22 janvier 2025 à 18h33

Initiée par la députée apparentée RN Anne Sicard, puis relayée par des médias conservateurs, une polémique s’est récemment déployée autour du «Pass Culture». Déplorant d’abord l’absence du Puy du Fou dans les offres disponibles sur cette plateforme pilotée par le ministère de la Culture - dont Rachida Dati a assuré qu’elle ferait bientôt l’objet d’un réexamen - les critiques se sont ensuite étendues sur le contenu de l’offre presse et médias.

Relayant une alerte du réseau pro-Zemmour «Parents vigilants», le média d’extrême droite Frontières a dénoncé, le 17 janvier, la non mise à disposition d’une presse de droite : «Le Pass culture propose des abonnements presse aux jeunes. Dans la liste des médias suggérés, on trouve le Monde, Libération, Mediapart : uniquement une presse nationale de gauche ou d’extrême gauche. Pour rappel, le Puy du Fou n’est pas disponible.»

Créé en 2019 et généralisée en 2021 sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, le Pass culture est une application gratuite et géolocalisée qui s’adresse aux jeunes de 15 à 18 ans. Elle leur permet de bénéficier d’un crédit, allant jusqu’à 300 euros, afin d’accéder à des offres culturelles et artistiques. Un récent rapport de la Cour des comptes estime que cette application touche au total 4,2 millions de jeunes. Elle est gérée par la société (SAS) Pass culture, sous la tutelle du ministère de la Culture. Elle est financée, toujours selon le rapport de la Cour des comptes, à 90 % sur fonds publics et a pour actionnaires l’Etat, à hauteur de 70 % et la Banque des territoires (30 %).

L’application vante «plus de 3 millions d’offres culturelles» dont les plus populaires sont les places de cinéma et de concerts. Les biens culturels se divisent en plusieurs catégories : concerts et festivals, films, séries, documentaires, livres, musique, arts et loisirs créatifs, spectacles, cartes jeunes, conférences et rencontres, événements en ligne, et donc, médias et presse. Dans cette catégorie, 560 offres, sous forme numérique, sont disponibles.

Miyazaki et Notre-Dame de Paris

On y trouve effectivement la possibilité de s’abonner à Mediapart pendant six mois pour 10 euros. La même offre est disponible pour Libération. Le Monde propose quant à lui de s’abonner, pour 15 euros, à son application de leçons interactives «le Monde mémorable». Sont par ailleurs accessibles de nombreux podcasts produits par Arte radio, Radio France, France Info ou le studio Louie Media. Les bénéficiaires peuvent également disposer d’une offre découverte pour le 1 Hebdo, d’un accès gratuit en ligne à Télérama, à la plateforme So Foot Arena ou aux vidéos du média écolo Vakita. Ils peuvent s’abonner en ligne au magazine de langues Vocable ou de mathématiques Cosinus, mais aussi à la presse régionale (toujours pour un accès en ligne) comme le Télégramme, l’Echo Républicain, le Journal du Centre.

L’éventail des sujets abordés est vaste. On y trouve des contenus sur le féminisme, la culture queer, l’art (à travers des épisodes de podcast allant de Miyazaki à Juliette Greco en passant par Shakespeare et Molière), la pop culture, l’environnement, les figures (Missak Manouchian) et monuments historiques (Notre-Dame de Paris). Egalement des éclairages sur des sujets internationaux comme la guerre en Ukraine, le sport (avec beaucoup de contenu sur les Jeux olympiques), la mode, les sciences, les discriminations (par exemple les épisodes de podcast «qu’est-ce que l’islamophobie» et «une histoire de l’antisémitisme»). Les médias représentés ont une ligne éditoriale neutre pour certains, de centre gauche et de gauche pour d’autres. De fait, CheckNews n’a pas constaté la présence, à cette date, de médias clairement orientés à droite. Ce qui ne suffit pas à crier à la censure.

Car concrètement, il revient aux médias d’effectuer une demande pour figurer dans le catalogue du Pass culture. D’après nos informations, dès le mois de juillet 2018, de nombreuses rédactions sont sollicitées, notamment par le Syndicat de la presse quotidienne nationale, pour s’inscrire à la phase expérimentale du projet. Parmi elles, des rédactions aux lignes éditoriales différentes : Libération, le Monde, le Parisien, l’Equipe, l’AFP, les Echos, ainsi que le Figaro. Libre à elles de donner suite en prenant attache avec les équipes du Pass culture.

Les titres d’extrême droite n’ont pas fait la demande

La rédaction du Figaro, par exemple, fait savoir à CheckNews qu’elle n’y figurait pas jusqu’à présent parce qu’elle n’en avait jamais fait la demande. Le ministère de la Culture nous précise qu’elle vient tout juste de recevoir une requête de la part du quotidien national, «ce qui permettra de mettre leurs offres en ligne dans les jours qui suivent».

D’une manière générale, le ministère assure que «la présence des éditeurs de presse sur le Pass culture n’est pas conditionnée par leur orientation politique». Et de poursuivre : «Ni le ministère, ni le Pass culture n’ont de démarche proactive auprès des éditeurs de presse pour qu’ils s’inscrivent, quelle que soit leur orientation politique. Les titres actuellement référencés sur le Pass culture ont contacté les équipes, qui les ont accompagnés dans la publication de leurs offres sur le Pass culture.» Le ministère précise encore que les équipes du Pass culture n’effectuent «aucun filtre au moment de l’inscription des titres de presse, dès lors qu’ils répondent aux conditions» établies dans l’arrêté du 21 mai 2021 relatif au Pass culture. A savoir, figurer «dans la liste des publications CPPAP [commission paritaire des publications et agences de presse, ndlr] sous le classement IPG [information politique et générale, ndlr], presse d’information jeunesse, arts et lettres, histoire, sciences». C’est le cas de nombreux titres de droite, voire d’extrême droite, à l’image de Valeurs Actuelles, du JDD, ou même, depuis 2022, de Frontières. Sollicités par CheckNews, Erik Tegnér de Frontières et Tugdual Denis de Valeurs Actuelles indiquent qu’ils n’ont pas formulé de demande individuelle pour être référencés dans le pass culture. Geoffroy Lejeune, pour le JDD, n’a pas répondu.

En ce qui concerne Libé, notre rédaction a rejoint le Pass culture en 2021, avec une proposition d’abonnement numérique à 10 euros pour six mois. A noter que les médias ne reçoivent pas de contrepartie financière directe à travers ce dispositif. Par exemple, Libération ne perçoit pas les fruits de l’abonnement s’il est pris via le Pass culture, mais a cependant accès au contact du nouveau lecteur que le service abonnement pourra par la suite tenter de fidéliser. Cette absence de modèle économique pour la presse a rebuté certains éditeurs. Le Point, par exemple, positionné à droite, a effectué les démarches et s’est retrouvé, un temps, dans le Pass culture. Mais face à des «résultats mitigés», l’hebdo s’est progressivement désengagé de la structure. François Claverie, son directeur général délégué, sous la casquette de président du Syndicat des éditeurs de la presse magazine, regrette que les médias ne «soient pas encouragés» financièrement à rejoindre le Pass culture, surtout «dans un contexte économique difficile».