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Est-il vrai que les Ukrainiens appellent des petites filles «Javelina», en «hommage» au lance-missiles américain ?

Guerre entre l'Ukraine et la Russiedossier
La journaliste du «Monde» Florence Aubenas a évoqué les noms guerriers que certains parents choisiraient pour leurs enfants. Un symptôme de la «radicalisation» de la société ukrainienne, selon elle.
A Kyiv, le 25 mai 2022. (Maxym Marusenko/NurPhoto. AFP)
publié le 1er octobre 2023 à 19h24

Question posée par Timb le 30 septembre

Vous nous interrogez sur une déclaration de Florence Aubenas lors de l’émission Quotidien. Evoquant une «radicalisation» de la société ukrainienne, la journaliste du Monde a donné plusieurs exemples : «[Les Ukrainiens] envoient de l’argent, par exemple ils cotisent beaucoup pour envoyer des armes, pour faire vivre l’armée, acheter des drones, etc., ils disent “que ce drone tue le plus de personnes”, des gamines qui naissent se font appeler Javelina, du Javelin, le lance-missiles américain.»

Les lance-missiles anti-char Javelin ont acquis une aura particulière pour leur rôle au début de la guerre. Livrés en masse juste avant et après l’invasion russe, ces derniers ont permis (aux côtés d’autres lanceurs comme le NLAW européen) aux Ukrainiens de lutter contre les blindés de Moscou. L’arme est devenue le symbole de la résistance ukrainienne.

L’existence du prénom «Javelina», en référence au lance-missiles, est bien réelle. Comme le documente le ministère de la Justice ukrainien, les prénoms «Javelina» pour les filles et «Javelin» pour les garçons ont fait leur apparition dans les registres des prénoms donnés aux enfants ukrainiens depuis le début de la guerre, tout comme «Mriya», en référence au célèbre avion de fabrication ukrainienne Antonov 225 détruit à Hostomel durant les premiers jours de l’invasion, ou encore «Bayraktar», du nom des drones militaires turques.

«Nombreux mots nouveaux»

Un communiqué de juillet 2022, le ministère de la Justice ukrainien faisait ainsi le constat que «tous les nouveaux parents ne préfèrent pas la simplicité et la concision. Beaucoup veulent se démarquer et donner à leur enfant un prénom “pas comme les autres”. En outre, pendant la guerre, de nombreux mots nouveaux sont apparus dans l’espace médiatique, en particulier ceux liés aux nouveaux types d’armes avec lesquelles notre armée détruit avec succès les Russistes [contraction de russe et faschiste dans le texte, ndlr]». Le même document rappelle qu’il n’y a pas dans le pays «de restrictions ou d’interdictions dans l’attribution de prénoms. Donc les parents d’enfants ont le droit d’appeler leurs bébés par le prénom qu’ils veulent».

A noter que si Florence Aubenas évoque ces prénoms guerriers comme un symptôme de la «radicalisation» en cours de la société ukrainienne, ils ont surtout été remarqués au début du conflit. On en retrouve ainsi mention sur les réseaux sociaux début avril 2022, soit seulement quelques semaines après l’invasion russe. En mai 2022, dans le cadre d’une visite sur un site de Lockheed Martin, qui fabrique notamment les Javelin, le président américain, Joe Biden, avait félicité les ouvriers en leur rapportant que les parents ukrainiens appelaient leurs nouveau-nés Javelina et Javelina, en hommage de l’efficacité des armes qui sortaient de l’usine.

Méthodologie pas précisée

CheckNews n’a pas trouvé d’élément permettant de quantifier précisément le nombre d’enfants ainsi prénommés en Ukraine. Mais la pratique semble marginale.

Dans les documents accessibles sur le site du ministère de la Justice, le prénom «Javelina» est ainsi mentionné dans la liste des «prénoms rarement utilisés» dans 3 régions (sur les 24 que compte l’Ukraine) pour la première moitié de 2022 (période où ont aussi été recensés «Artur-Bayraktar», «Jan-Javelin», «Adelina-Javelina»). Il n’est fait mention du prénom que dans une seule région pour le deuxième semestre 2022 (à Kyiv), et pour la première moitié de 2023 (Odessa).

La méthodologie n’étant pas précisée, il est impossible de savoir si cela signifie que le prénom n’a jamais été été attribué dans les autres régions, où s’il a été attribué un trop petit nombre de fois pour que cela soit relevé.