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Est-il vrai que «l’océan Atlantique se refroidit à une vitesse record», comme l’énonce un titre de «Courrier international» ?

Largement relayé sur les réseaux sociaux par des comptes climatodénialistes, le titre d’un papier de l’hebdomadaire fait référence à des travaux scientifiques relatifs à une zone particulière de l’Atlantique, décrivant un phénomène à l’œuvre sur quelques mois. Globalement, cet océan poursuit son réchauffement.
Image satellite montrant l'ouragan Ernesto, qui a frappé les Bermudes le 17 août. (NOAA/AFP)
publié le 22 août 2024 à 15h26

En 2024, ceux qui persistent à nier ou à minimiser la réalité du dérèglement climatique doivent rivaliser de mauvaise foi pour garder la tête hors de l’eau. En cette fin août, nombre d’entre eux ont ainsi abondamment relayé le titre d’un article de Courrier international, rédigé comme tel : «Climat. L’océan Atlantique se refroidit à une vitesse record et personne ne comprend pourquoi».

Or ce titre est a minima trompeur puisque l’Atlantique, dans son ensemble, continue de se réchauffer. Et si le sous-titre tente de recadrer le sujet, en évoquant le fait que ledit refroidissement concernerait «l’océan Atlantique équatorial», le poison de l’imprécision a clairement fait son œuvre sur les réseaux sociaux. Un titre analogue avait été choisi par le site Slate.fr daté du 21 août au matin («La température de l’océan Atlantique baisse à une vitesse record»), qui a ultérieurement été modifié en ajoutant le mot «équatorial».

Notons que si l’article de Courrier International n’est pas un texte traduit de la presse étrangère, il cite deux articles, dont un du journal New Scientist, dont l’hebdomadaire reprend littéralement l’intitulé («The Atlantic is cooling at record speed and nobody knows why»). A l’image de Slate.fr, le New Scientist a modifié son titre le 22 août (il débute désormais par «Part of the Atlantic (...)», c’est-à-dire «Une partie de l’Atlantique (...)»), le texte en ligne étant assorti d’un commentaire de mise-à-jour.

Comme Libération le rappelle ce jeudi dans un article revenant sur cette actualité scientifique, l’ensemble des océans du globe – l’Atlantique Nord en tête – subissent une surchauffe inédite depuis plus de quinze mois. Concernant l’Atlantique Nord, des records de température ont été battus en 2023, et les moyennes pour l’été 2024 sont les deuxièmes plus élevées depuis que des mesures sont réalisées.

Une variabilité saisonnière normale est habituellement observée sur toutes les eaux du globe. Et qui existe donc également pour l’Atlantique équatorial, avec des maximums de températures attendus au printemps, auxquels succède une importante baisse en juillet-août (température inférieure à 25°C). Usuellement, ce phénomène de baisse est principalement attribué aux alizés qui, en cette saison, balayent les eaux de surface, laissant les froides eaux profondes niveler les températures vers le bas. Il y a donc une succession attendue de «Niñas atlantiques» (évènements froids) et de «Niños atlantiques» (événements chauds). Début 2024, la surface de l’Atlantique équatorial oriental atteignait des températures records, dépassant 30°C. Mais un épisode froid est survenu peu de temps après, déroutant les chercheurs : «Jamais auparavant l’Atlantique équatorial oriental n’avait basculé aussi rapidement d’un phénomène extrême à un autre», expliquait Franz Philip Tuchen, océanographe à l’université de Miami, dans un article détaillant ces constats.

Le plus intrigant reste que les alizés, relativement faibles aux périodes considérées, ne suffisent pas à expliquer la chute de température. Car de fait, on se serait plus volontiers attendu à ce que les températures soient moins basses qu’à l’accoutumée. Diverses hypothèses explicatives sont évoquées par les spécialistes interrogés, qui restent toutefois à évaluer et à investiguer. «Ce refroidissement peut répondre à différents mécanismes (vents, ondes océaniques, etc)», commente ainsi auprès de CheckNews l’océanographe Nicolas Kolodziejczyk, du Laboratoire d’Océanographie Physique et Spatiale (LOPS). «Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions. Après l’observation, la recherche et la validation des explications scientifiques demande plus de temps.»

De son côté, Laurent Bopp, directeur de Recherche CNRS au Laboratoire de météorologie dynamique (LMD), note que «ce patch de températures plus froides – très concentré à l’équateur – était bien visible au mois de juin et au mois de juillet. Mais si l’on regarde les cartes des derniers jours, cette anomalie froide semble beaucoup moins visible. Est-ce que ça va durer ? C’est évidemment trop tôt pour le dire. Nous sommes ici en train de commenter en direct... alors qu’il nous faudrait attendre d’avoir plus de données, et prendre un peu de recul, avant de pouvoir énoncer quelque chose de pertinent.»

Quoi qu’il en soit, rien ici ne vient invalider les constats généraux sur un réchauffement climatique global d’origine anthropique, et ses conséquences en termes de dérèglement des climats.

De nombreux vulgarisateurs scientifiques, parmi lesquels l’agroclimatologue Serge Zaka, ont interpellé l’hebdomadaire Courrier international pour signaler le titre mal choisi, et sa récupération par les milieux climatodénialistes.

Le 22 août à 18h10, l’hebdomadaire a répondu à Serge Zaka sur le réseau social X : « Bonjour, notre article s’appuie sur des sources sérieuses et ne remet en aucun cas en question la réalité du réchauffement planétaire d’origine anthropique dont nous nous faisons l’écho depuis longtemps. Il renvoie vers les données de la NOAA, montrant que depuis juin les températures de la région équatoriale de l’Atlantique se sont refroidies. C’est la période et la rapidité de ce refroidissement qui intriguent, comme l’explique Franz Philip Tuchen à New Scientist. Pour rappel, l’année dernière à la même époque nous consacrions notre une à la fièvre des océans ». Une réponse jugée « à côté de la plaque » par l’agroclimatologue : «votre TITRE, le TITRE, est complètement faux ! Soit ce qui est lu en premier avant même de cliquer sur l’article. Comment expliquez-vous que votre article soit repris par tous les comptes complotistes pour tourner en ridicule les scientifiques du monde entier ? » De fait, à l’heure de cette mise à jour, le titre litigieux est toujours inchangé.


[Mise à jour du 22/8/24 à 15h50, avec l’ajout de la citation de Nicolas Kolodziejczyk, à 17h15 avec celle de Laurent Bopp, à 19h20 avec la réponse de l’hebdomadaire Courrier International sur le réseau X, et celle de Serge Zaka; à 20h20, ajout du troisième paragraphe, précisant d’une part que l’intitulé choisi par Courrier International est la traduction d’un titre du New Scientist, et d’autre part que ce dernier a, depuis, été modifié].