Menu
Libération
CheckNews
Vos questions, nos réponses
CheckNews

Est-il vrai que Nordahl Lelandais a bénéficié de «privilèges» en prison ?

Un journaliste a dénoncé des supposés «privilèges» dont bénéficierait Nordahl Lelandais en prison, évoquant des relations sexuelles, près de 200 parloirs avec sa compagne ainsi que d’importantes sommes d’argent lui permettant d’améliorer ses conditions carcérales.
Cantiner, recevoir des visites au parloir... Les «privilèges» reprochés à Nordahl Lelandais, ici en mai 2021 au tribunal de Chambéry, dans son quotidien carcéral relèvent pour la plupart des droits des détenus. (Mourad Allili/SIPA)
par Carla Monaco
publié le 9 février 2022 à 12h07
Question posée par Chloé le 21 janvier

Bonjour,

Vous nous interrogez sur les affirmations du journaliste Oli Porri Santoro, le 20 janvier dernier dans l’émission TPMP, selon lesquelles Nordahl Lelandais, actuellement jugé pour l’enlèvement et le meurtre de Maëlys de Araujo, jouirait de «privilèges» en prison. En s’appuyant sur les déclarations à la presse de «Mme G.», une ancienne compagne de Lelandais, il avance : «Il y a eu plus de 180 parloirs en tout. Il a même pu passer 24 heures avec cette dame […] où ils auraient eu des rapports sexuels en toute décontraction.» L’ex-petite amie aurait dépensé «à peu près 30 000 euros pour lui» ainsi que 13 000 euros en frais d’avocat. Oli Porri Santoro raconte aussi que Nordahl Lelandais serait surnommé «Nono le VIP» par certains codétenus du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier parce qu’il détiendrait «une Xbox, deux PC, un frigo et apparemment deux téléphones portables».

«Mme G.», une certaine Elisabeth âgée d’une cinquantaine d’années, a effectivement témoigné dans le Dauphiné Libéré le 14 janvier dernier. Après une relation affective de deux ans et demi avec Nordahl Lelandais, leur couple a pris fin en décembre 2021. Dans l’entretien donné au journal, on apprend qu’elle aurait fait «quasiment 200 heures de parloir» avec lui.

Un nombre de parloirs «étonnant»

Le fait de bénéficier de visites, y compris répétées, n’est pas un privilège. En temps normal, tout détenu est en droit de recevoir des visites, au moins trois fois par semaine. Le juge d’instruction peut prendre à son encontre une mesure d’interdiction de communiquer avec l’extérieur, mais ça n’a pas été le cas pour Nordahl Lelandais. Le volume des parloirs évoqués par Mme G. semble par ailleurs peu compatible avec la durée de la relation. Cette dernière a en effet obtenu un droit de visite en 2020, et n’a donc pu se rendre à la prison que pendant une durée d’un an et demi. Sachant que depuis la crise sanitaire, seules deux visites par semaine (au lieu de trois) sont autorisées dans l’établissement pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier où est incarcéré l’accusé, le chiffre de 180 ou 200 visites excède le maximum théorique. Cela impliquerait par ailleurs que la visiteuse ait profité de quasiment toutes les possibilités de parloir, à l’exclusion d’autres visiteurs.

Alain Chevallier, secrétaire Ufap (Union fédérale autonome pénitentiaire) du centre où est incarcéré Lelandais, émet des réserves : «Chaque prévenu a droit à deux parloirs par semaine, et Nordahl Lelandais ne voyait pas qu’elle [sa mère lui rend souvent visite, ndlr]. Le chiffre avancé par cette femme paraît étonnant», explique-t-il à CheckNews. De fait, selon une source proche de l’administration pénitentiaire contactée par CheckNews, l’ancienne petite amie aurait fait au total 84 parloirs en un an et demi, loin des 200 heures de parloir évoquées plus haut «sachant qu’un parloir dure une heure».

Relations sexuelles

Dans le quotidien «Mme G.» dit aussi avoir «pu bénéficier d’un parloir familial et d’une UVF (unité de vie familiale) de 24 heures avec lui». Interrogé à ce sujet mercredi 2 février au cours de son procès pour l’enlèvement, la séquestration et le meurtre de la petite Maëlys, Nordahl Lelandais a reconnu avoir eu à deux reprises des relations sexuelles en prison avec «Mme G.», la première fois lors du parloir familial, la deuxième en UVF.

Au sujet des UVF et des salons-parloirs familiaux, l’OIP (Observatoire international des prisons) rappelle que ces dispositifs ne sont pas des privilèges mais un droit pour tous les détenus. Selon l’article 36 de la loi pénitentiaire n°2009-1436 du 24 novembre 2009, «toute personne détenue peut bénéficier à sa demande d’au moins une visite trimestrielle dans une unité de vie familiale ou un parloir familial, dont la durée est fixée en tenant compte de l’éloignement du visiteur.» Ces unités ressemblent à des appartements dans lesquels les détenus peuvent retrouver leurs proches sans la présence de personnel de surveillance pour une durée de 6 à 72 heures. Pour les prévenus, comme Nordahl Lelandais, cela se fait sous réserve de l’accord du magistrat saisi du dossier de la procédure.

A lire aussi

S’il ne s’agit donc pas d’un privilège en soi, la présidente de la cour d’assises de l’Isère a malgré tout évoqué lors du procès «une erreur de l’administration pénitentiaire» concernant l’octroi de cette UVF de 24 heures pour Nordahl Lelandais et sa compagne de l’époque.

Cette «erreur», selon Alain Chevallier, tiendrait au non-respect de la procédure dans l’octroi de l’UVF : «Il y a eu deux demandes pour Nordahl Lelandais et sa compagne de l’époque. La première fois en salon familial pour une durée de quatre heures. Le dossier avait été accepté en CPU [commission pluridisciplinaire unique], puis le magistrat avait donné son accord. A la fin de l’été, il y a eu changement de magistrat instructeur. Pour la deuxième demande en UVF, il semblerait que le nouveau magistrat n’ait pas été informé.» Ce que confirme le ministère de la Justice à Checknews : «En l’espèce, l’établissement n’a pas attendu de recevoir l’accord du magistrat pour mettre en place cette UVF auprès de son ex-compagne qui bénéficiait déjà d’un permis de visite accordé par la justice. En conséquence, des instructions strictes ont été passées à la direction interrégionale pour rappel ferme des consignes aux agents et à la direction de l’établissement.» Le magistrat aurait-il refusé l’UVF ? «Le fait de lui accorder peut paraître surprenant étant donné le profil de Lelandais. Mais si le premier parloir familial se passe bien, il n’y a parfois pas de raison de refuser», avance Alain Chevallier.

Un détenu «comme les autres»

Concernant les sommes reçues par Lelandais, la présidente du tribunal a également relevé mercredi 2 février que le prévenu avait touché plus de 10 000 euros de la part de son ex-petite amie, loin des 30 000 euros cités par Oli Porri Santoro lors de son passage à TPMP. Cet argent lui aurait servi à «faire des cantines» et payer des communications téléphoniques. «Mme G.» lui aurait également fait plusieurs cadeaux comme des vêtements, un ordinateur ou encore une Xbox. A propos de ces supposés «privilèges», l’OIP précise que «les ordinateurs et consoles de jeux peuvent être «cantinés» par les détenus sous certaines conditions». Alain Chevallier ne penche pas pour autant pour un traitement de faveur : «Je ne crois pas qu’il ait bénéficié de certains avantages, c’est un détenu comme les autres sauf qu’il est à l’isolement.» Pendant cet isolement, «Mme G.» aurait également fait passer des produits interdits comme de la drogue et deux téléphones portables en septembre 2021, saisis au mois de décembre dernier. Lelandais a écopé d’une sanction disciplinaire pour cette détention illégale qui lui a permis d’aller sur des sites pornographiques et d’entrer en contact avec une lycéenne.

Le journaliste et auteur niçois, Oli Porri Santoro a récemment collaboré au premier numéro du magazine trimestriel l’Envers des affaires lancé par Karl Zéro. Auteur du Fils de l’Ogre, sur le fils de Michel Fourniret, il avait déjà tenu des propos controversés en mai 2021 sur l’affaire Maëlys sur le plateau de TPMP, soutenant l’hypothèse d’un réseau pédophile. Face à Cyril Hanouna, il avançait : «Il n’était pas seul, il a baigné dans un environnement propice à tout ce qui est survenu. […] Nordahl, c’était un soldat. Un soldat ça reçoit des ordres. Qui les donne ?» Oli Porri Santoro a par ailleurs été condamné le 21 juin 2021 à douze mois de prison, dont quatre ferme, et 6000 euros de dommages et intérêts pour le harcèlement en ligne du youtubeur Jeremstar. Il a fait appel.

Mise à jour du 10 février 2022 à 15h45 : modification de la formule «30 000 euros comme l’affirmait Oli Porri Santoro» par «30 000 euros cités par Oli Porri Santoro» au neuvième paragraphe. Modification de la précision sur la collaboration d’Oli Porri Santoro avec Karl Zéro au dernier paragraphe.