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Est-il vrai qu’une loi promulguée en 2008 sous Nicolas Sarkozy a réautorisé la non-mixité à l’école ?

L’affaire autour de Stanislas, l’établissement parisien privé dans lequel les enfants d’Amélie Oudéa-Castéra sont scolarisés, a mis les projecteurs sur l’existence de classes non mixtes.
La loi du 27 mai 2008 avait effectivement provoqué quelques débats, au moment de son adoption. Associations de parents d’élèves et syndicats reprochaient au gouvernement de François Fillon d’ouvrir une brèche dans le principe de mixité. (Lionel Bonaventure /AFP)
publié le 26 janvier 2024 à 18h22

Dans l’esprit commun, l’école est laïque, gratuite, obligatoire… et mixte. Si la loi octroie aux établissements privés certaines libertés comme celle de proposer un enseignement confessionnel payant, beaucoup pensaient que la mixité au sein des classes restait obligatoire. Mais le récent scandale autour de la scolarisation des fils de la ministre de l’Education nationale, des sports et des JO dans des classes non mixtes de Stanislas, célèbre institution privée parisienne, a rappelé au grand public que des établissements financés par l’Etat séparaient encore les filles et les garçons. Plusieurs observateurs attribuent cette possibilité à une loi promulguée en 2008, lorsque Nicolas Sarkozy était président de la République. La loi du 27 mai 2008 qui est une transposition de directives européennes dans le domaine de la lutte contre les discriminations avait effectivement provoqué quelques débats, au moment de son adoption. Associations de parents d’élèves et syndicats reprochaient au gouvernement de François Fillon d’ouvrir une brèche dans le principe de mixité. L’exécutif était «notamment soupçonné d’avoir voulu faire une fleur aux écoles catholiques les plus réactionnaires», écrivait Libé.

Contactés, Raphaël Matta-Duvignau et Pascale Bertoni, maîtres de conférences en droit public, fondateurs de l’observatoire du droit de l’éducation et auteurs coordonnateurs du Dictionnaire critique du droit de l’éducation, publié aux éditions Mare et Martin (2023) nuancent grandement cette idée reçue.

Pour comprendre, il faut «“tordre le cou” à une pensée largement partagée et répandue», explique Raphaël Matta-Duvigneau : «L’article R. 321-11 du code de l’éducation (issu de l’un des décrets pris pour l’application de la “loi Haby” perçue comme le texte fondateur de la mixité à l’école) précise expressément : “Les classes maternelles et élémentaires sont mixtes”. Donc, très précisément, ce sont les classes élémentaires qui sont obligatoirement mixtes. Pour différentes raisons, principalement de bonne foi, on a étendu cette mixité obligatoire au secondaire. […] Mais étrangement, la mixité n’est pas une obligation légale pour le secondaire», explique-t-il. A noter qu’en 1959 puis en 1963, plusieurs réformes avaient toutefois largement enclenché la généralisation de la mixité dans les établissements du secondaire, mais elle n’est pas donc «d’un principe absolu même dans le public», explique Pascale Bertoni.

Non-mixité inexistante dans le public

Ainsi, pour la spécialiste, «la loi de 2008 n’est pas une dérogation au principe de mixité qui n’a jamais été un principe absolu même s’il est largement répandu». Et d’ajouter : «Elle dit juste que des enseignements séparés ne sont pas discriminatoires.» Dans le détail, la loi de 2008 qui s’applique au public et au privé «dispose que si les différences de traitement dans la fourniture des services ne peuvent pas être fondées sur le genre (ce serait alors une discrimination), il est toutefois possible d’“organiser des enseignements par regroupement des élèves en fonction de leur sexe”. En fait, la non-mixité relèverait d’une modalité d’organisation de l’enseignement. Ce n’est pas une discrimination. Sauf à démonter qu’une classe non mixte se voit refuser l’accès à certains cours, certaines disciplines, certaines options, etc. Il n’y a donc pas, en principe, d’atteinte au droit à l’éducation», détaille Raphaël Matta-Duvigneau.

Dans la réalité, la non-mixité est inexistante dans le public (à l’exception des maisons d’éducation de la Légion d’honneur, soit environ 1 000 élèves) et semble minoritaire dans le privé, même si le ministère de l’Education nationale n’est pas en mesure de fournir des données à ce sujet. D’après Pascale Bertoni, «les établissements privés n’ont jamais été obligés d’être mixtes même si dans les faits ils le sont très majoritairement pour des raisons budgétaires».