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Explosion du siège de la Dreal revendiquée par le «comité d’action viticole» : pourquoi le parquet antiterroriste ne se saisit pas ?

Les dégradations commises à Carcassonne, sur le siège de la Dreal, ont mené à l’ouverture d’une enquête. A ce stade, le parquet national antiterroriste ne s’implique pas dans l’affaire. Quand bien même il a déjà pu se pencher sur des faits similaires. Explications.
Le chantier de la Dreal de Carcassonne le 21 janvier, peu après l'explosion ayant soufflé le rez-de-chaussée. (Idriss Bigou-Gilles/Hans Lucas via AFP)
publié le 26 janvier 2024 à 18h26

Les dégradations ont été constatées au petit matin par des ouvriers arrivés sur le chantier. A Carcassonne, dans l’Aude, le rez-de-chaussée du siège de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) a été complètement soufflé par une explosion, vendredi 19 janvier, dans le contexte de la mobilisation des agriculteurs. Aucun blessé n’est alors à déplorer – les lieux, en travaux, étaient vides – mais les dégâts matériels sont importants. L’action semble revendiquée : des tags portant les lettres «CAV» pour Comité d’action viticole, ont été retrouvés sur la façade de l’administration publique.

Dans la foulée, une enquête est ouverte pour «dégradation par moyen dangereux d’un bien appartenant à autrui en bande organisée». Sous la direction du parquet de Carcassonne, elle est confiée à la police judiciaire de Montpellier et n’avait encore mené, en début de semaine, à aucune interpellation. A ce stade, confirme la procureure à CheckNews, le parquet national antiterroriste (Pnat) ne se saisit pas de l’affaire. A l’heure où le gouvernement est critiqué pour sa mansuétude affichée à l’égard du mouvement agricole, en comparaison avec d’autres mouvements sociaux sévèrement réprimés, cette orientation judiciaire peut interroger. Car, par le passé, des faits au mode opératoire plus ou moins similaire, commis par d’autres groupes que les agriculteurs, ont déjà valu au Pnat de se mobiliser.

FLNC et «ultragauche»

On pense d’abord à une action menée en Corse. En octobre 2023, vingt-deux explosions contre des résidences secondaires sont revendiquées par le Front de libération nationale corse (FLNC). Cette série d’explosions ne fait pas de blessé grave. Mais le Pnat ouvre une enquête pour «participation à une association de malfaiteurs terroriste en vue de la préparation d’une destruction par substances explosives ou incendiaires susceptible d’entraîner la mort et d’un acte de terrorisme, destruction par moyen dangereux pour les personnes en bande organisée et en relation avec une entreprise terroriste», et «tentative d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste». Autre exemple : l’affaire des «activistes d’ultragauche» – en l’occurrence sept personnes interpellées en décembre 2020 suite à une enquête de la DGSI, soupçonnées d’«association de malfaiteurs terroristes». Et dont le procès s’est tenu en octobre dernier, devant le tribunal correctionnel de Paris. Il leur était notamment reproché des «entraînements paramilitaires» : concrètement, des parties d’airsoft et fabrication d’explosifs. Ils sont finalement condamnés à des peines allant jusqu’à deux ans et demi d’emprisonnement, reconnus coupable d’avoir prévu de «troubler gravement l’ordre public» et «d’organiser une milice armée». Le Pnat avait alors requis jusqu’à six ans de prison ferme.

Sollicité par CheckNews, le parquet national antiterroriste indique avoir bien été avisé des faits survenus à Carcassonne et pour lesquels, nous dit-on, «une évaluation est toujours en cours». «Nous examinons les faits pour savoir s’ils sont susceptibles d’être qualifiés de terroristes.» Et d’assurer que «le raisonnement qui préside à cette qualification des faits est toujours le même» : «Il y a des éléments constitutifs des actes terroristes. C’est-à-dire que conformément à l’article 421-1 du Code pénal, une infraction revêt un caractère terroriste lorsqu’elle est commise intentionnellement, en relation avec une entreprise individuelle ou collective, ayant pour but de troubler gravement à l’ordre public par l’intimidation ou la terreur.»

Ainsi, le mode opératoire ne justifie pas à lui seul de qualifier un acte ou un projet de «terroriste». «Le mode opératoire est examiné, mais ne suffit pas» confirme le parquet. L’intention derrière l’acte est prise en compte, de même que l’organisation, dans lequel il s’inscrit. En clair : il s’agit de comprendre si l’acte peut être rattaché à un groupe terroriste. «Le FLNC est un groupe terroriste par nature qui a une volonté de troubler gravement l’ordre public, portant atteinte aux fondements de la société démocratique» affirme ainsi le Pnat.

«Wine terrorists»

Cela étant dit, dans le cas de l’explosion à Carcassonne, le Comité d’action viticole (CAV), qui a revendiqué les faits, est lui aussi connu pour des antécédents d’actions violentes, parmi lesquelles des blocages, des incendies ou des dégradations d’infrastructures publiques. Comme le rappelle le Parisien, une fusillade lors d’une action menée en 1976 avait conduit à la mort d’un CRS et d’un viticulteur. Et en 2009, le Telegraph qualifie même l’organisation de «wine terrorists» - en français, «terroristes du vin».

Enfin, dernier élément pris en compte dans la qualification d’un acte terroriste : celui de la gravité des faits. Le parquet explique à CheckNews : «En droit, la lutte contre le terrorisme permet une procédure plus attentatoire aux libertés que le droit commun. Par exemple, les gardes à vue peuvent durer plus longtemps, donc on limite cette procédure aux cas les plus graves.» Et d’insister sur le fait que «tout acte de violence politique n’est pas systématiquement terroriste», raison pour laquelle il n’y a pas eu lieu de se saisir, pour le Pnat, sur des actions des gilets jaunes, ou d’autres actes militants visant à dégrader des antennes 5G.

En outre, nous indique-t-on, «le Pnat ne s’est jamais saisi d’actions de l’ultragauche sur des atteintes aux biens». Il est vrai que le parquet national antiterroriste ne s’est pas impliqué dans la vague d’arrestations qui a eu lieu en juin 2023, visant des militants écologistes suite aux dégradations commises dans une usine Lafarge. Et ce, même si la sous-direction antiterroriste de la direction centrale de la police judiciaire (Sdat) a été mobilisée sur les interpellations, donnant une coloration antiterroriste à la procédure. Quant à l’affaire des membres de «l’ultragauche» jugés en octobre dernier, elle portait bien, à l’origine, sur des soupçons d’intention d’atteinte aux personnes. En effet, en 2020, le parquet national antiterroriste ouvre une enquête pour «association de malfaiteurs terroristes» criminelle. Il apparaît toutefois que cette caractérisation s’est perdue en cours de route, au fil de l’instruction, à l’issue de laquelle un juge décide de correctionnaliser le dossier. Raison pour laquelle l’affaire a finalement été jugée au tribunal correctionnel, et non aux assises.

clarification
Edit lundi 29 janvier 13h45 : précision de la citation du PNAT au sujet de la FLNC.