Question posée par Franck le 22 juin
Votre question porte sur un article publié, mercredi, sur le site du Point, titré «L’employée sans papiers de Raquel Garrido et Alexis Corbière», et qui a été retiré en début d’après-midi, jeudi, du site du journal. Selon nos informations, le journaliste auteur de l’article, Aziz Zemouri, a été mis à pied, vendredi, et convoqué à un entretien préalable à un possible licenciement.
Cet article décrit comment le couple de députés LFI emploierait «depuis un an une femme de ménage sans titre de séjour et soumise à des cadences infernales».
Le journaliste explique qu’au «cours d’un contrôle de police à Paris en mai, l’employée de maison, une Algérienne de 36 ans, arrivée en France en 2008 grâce à un visa étudiant, a dû justifier de sa situation administrative alors qu’elle promenait la petite dernière du couple, qui a trois enfants». Et cite des échanges qui auraient eu lieu entre Raquel Garrido et cette employée. «On te met un toit sur la tête, on te fait travailler donc soit t’es reconnaissante, soit je prends quelqu’un d’autre maintenant stop», lui aurait ainsi répondu la députée, alors que la femme de ménage «réclame à sa patronne d’être payée».
Celle-ci travaillerait «nuit et jour» au «domicile des deux parlementaires à Bagnolet mais également dans un logement parisien où leurs enfants sont pris en charge afin d’être scolarisés dans la capitale».
Quelques heures après la publication de l’article, le couple a répondu par voie de communiqué, jugeant intégralement «faux» son contenu, évoquant un «ramassis de mensonges», une «nouvelle opération de calomnie». A Libération, Alexis Corbière insiste : «Tout est faux, faux, faux.»
Face à ces dénégations, le journaliste du Point a publié deux tweets accompagnés de captures d’écran de discussions, présentées comme des échanges SMS entre Raquel Garrido et la femme de ménage présumée, faites depuis un téléphone sous Android et comportant plusieurs fautes d’orthographe de part et d’autre.
Photos de profil
Ces captures présentent certains détails qui interrogent : la photo de profil de la députée, qui se trouve être celle de son compte Twitter, est cadrée légèrement différemment entre les deux captures d’écran.
Par ailleurs, comme CheckNews a pu s’en assurer lors d’un échange par SMS avec Raquel Garrido sur un téléphone Android, aucune photo de profil par défaut ne s’affiche. Cela impliquerait donc que la femme de ménage a ajouté manuellement la photo de profil Twitter de la députée dans les contacts de son téléphone. Et modifié la photo entre les deux échanges capturés. Dans quel but ?
Autre point qui pose question : la mention «Echange de SMS/MMS avec Garrido R», qui figure au début d’un des échanges, indique qu’il s’agit du premier message envoyé par la femme de ménage (ou qu’elle aurait supprimé l’ensemble des messages préalablement envoyés et reçus).
Marche arrière sur la carte scolaire
Sur le fond ensuite, l’article du Point laisse entendre que «leurs enfants» sont scolarisés à Paris. Premier problème : une seule des enfants du couple est scolarisé (les deux autres sont majeurs). Et CheckNews a pu consulter des échanges de mails ainsi qu’un bulletin scolaire, qui attestent que cet enfant va bel et bien à l’école dans la commune de Bagnolet, où réside le couple.
Contacté par CheckNews, le journaliste du Point reconnaît que l’enfant du couple est bien «scolarisé à Bagnolet» et qu’il «ne s’agit pas du tout de carte scolaire», contrairement à ce qu’il écrivait dans son article. Selon Aziz Zemouri, la plus jeune enfant du couple serait en fait «transportée» chaque soir dans Paris pour être confiée à l’employée de maison non déclarée. Raquel Garrido martèle de son côté que celle-ci n’a «jamais eu de nounou» et que ses sorties d’école sont gérées par le couple ou la mère de la députée, à Bagnolet, où ils résident.
Ce que confirme le journaliste de Franc-Tireur Benjamin Sire, qui souligne sa distance idéologique avec le couple, mais qui le connaît bien pour avoir été leur voisin : «Il n’y a aucun doute sur le fait qu’ils habitent à Bagnolet, explique-t-il. Et ce sont des parents : ils ne vont pas faire vivre leur enfant ailleurs pour une histoire d’école. D’ailleurs c’est un point important : je ne vois pas pourquoi Raquel Garrido aurait autant demandé de l’aide à sa mère [pour garder leur enfant], s’ils avaient une femme exploitée à la maison… Je passe mon temps à taper sur LFI, mais là il s’agit de rétablir un certain nombre de faits.»
Auprès de CheckNews, le journaliste du Point change donc de version : l’appartement à Paris ne servirait finalement pas à contourner la carte scolaire, mais à héberger une autre fille du couple, plus âgée, dont l’employée de maison aurait la charge principale. Ce que le couple nie également en bloc, expliquant que la fille en question est majeure, qu’elle n’a dès lors «certainement pas besoin d’une nounou», et surtout qu’elle habite avec eux à Bagnolet.
Proche de la famille, l’adjoint à la mairie de Paris en charge du tourisme et de la nuit, Frédéric Hocquard, contacté par CheckNews, confirme que la jeune adulte en question a bien sa chambre à Bagnolet : «Je suis allé dîner chez eux il y a encore quelques mois et elle était là.» Par ailleurs, «jamais Raquel ne parlerait comme ça, en donnant du “Monsieur te donnera…” , c’est vraiment pas du tout son style», ajoute-t-il.
Egalement sollicité, le metteur en scène et acteur Christian Benedetti, lui aussi très proche du couple, confirme : «Je suis très régulièrement chez eux, et elle a évidemment sa chambre à Bagnolet, c’est même elle qui s’occupe parfois de garder la plus petite.» Avant d’ajouter : «C’est comme ma famille, je les connais depuis des années, et s’ils avaient un appart caché à Paris, je le saurais... Cette histoire est complètement dingue.» Lui aussi, enfin, a tiqué sur le langage prêté à Raquel Garrido dans les prétendus SMS: «Jamais Raquel ne parle comme ça, jamais elle ne dirait “Monsieur” en parlant d’Alexis».
Déclaration à l’Urssaf
Autre problème : comme CheckNews a également pu le vérifier, le couple a bien déclaré à l’Urssaf des aides ménagères, pour quelques dizaines d’heures, sur une période qui va de septembre 2021 à mai 2022 (la déclaration de juin n’ayant pas encore pu être effectuée).
Pourquoi, dès lors, déclarer certaines employées et pas d’autres ? «Ils disent qu’ils en ont déclaré une, moi je n’ai pas bossé sur cet aspect», avance le journaliste du Point, qui maintient «que le couple Corbière-Garrido a bien fait travailler durant près d’un an et jusqu’à ces derniers jours une jeune femme sans papiers qu’ils n’ont jamais déclarée» et qu’il «[fera] son offre de preuves au moment du procès» en diffamation que le couple veut lui intenter.
A-t-il pu rencontrer la femme de ménage présumée ? Le journaliste du Point explique à CheckNews avoir seulement «échangé par sms et [messages audio] avec elle depuis le 2 juin» mais avoir «checké toutes les infos qu’elle donnait». Et vérifié l’authenticité des échanges de SMS ? «J’ai fait le max que je peux», juge-t-il, écartant l’hypothèse d’un piège qui lui aurait été tendu. Le journaliste a communiqué à CheckNews la photo et l’identité de la femme de ménage présumée. Raquel Garrido assure n’avoir jamais vu cette personne et ne pas connaître son nom.
Le directeur de la publication du Point, Etienne Gernelle, a finalement indiqué, ce jeudi, par communiqué, que «les vérifications complémentaires que nous avons menées nous ont révélé que des erreurs et manquements à la prudence avaient été commis» et que l’hebdomadaire retirait donc l’article pour poursuivre «l’enquête pour comprendre ce qui s’est passé».
Quelques minutes avant, Aziz Zemouri insistait pourtant auprès de CheckNews : «Moi je suis sûr de mon info.» De son côté, Raquel Garrido a demandé «le licenciement immédiat» du journaliste.
Mise à jour vendredi 20h29: mention de la mise à pied du journaliste et de sa convocation à un entretien préalable à un possible licenciement.