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Football: en quoi consistent les révélations du journaliste Romain Molina sur des affaires de pédocriminalité à la FFF?

Figure atypique dans le milieu du journalisme sportif français, Romain Molina a publié mi-septembre une enquête dénonçant l’inertie de la Fédération française de football face à des affaires mettant en cause des cadres ou entraîneurs.
Le siège de la Fédération française de football, en juillet 2008. (Eric Gaillard/Reuters)
publié le 27 septembre 2022 à 14h00

Dans une enquête publiée le 16 septembre en anglais dans le magazine norvégien Josimar Football, le journaliste français Romain Molina rapportait que la Fédération française de football (FFF) aurait couvert des cas d’abus sexuels depuis les années 80. Selon le système qu’il décrit et dont il présente des preuves écrites, la fédération était au courant de plusieurs agissements sur des joueurs et joueuses mineurs mais n’a pas signalé ces cas à la justice (à l’exception d’un seul, sous la menace d’une grève). A ces manquements judiciaires s’ajoute le reproche de ne pas avoir ôté leurs licences aux personnes présentées comme les auteurs et autrices de ces abus, comme le prévoit le règlement de la FFF – ce qui aurait pu mettre fin à leur carrière professionnelle dans le football et à leurs contacts avec des jeunes sportifs et sportives. Le journaliste souligne également que les gouvernements concernés n’ont jamais été informés de ces abus. Dans une seconde enquête toujours publiée sur Josimar, Romain Molina détaille le licenciement du patron de l’arbitrage en Ile-de-France, accusé de chantage et de harcèlement sexuel sur des mineurs. Au total, le journaliste met en cause nommément neuf entraîneurs, encadrants ou hauts responsables travaillant à des postes élevés du football français.

Retentissement sur les réseaux sociaux

La publication de l’enquête (la semaine où le magazine So Foot avait déjà dévoilé des SMS sexistes qu’aurait envoyés le président de la FFF, Noël Le Graët – la fédération a indiqué qu’elle allait porter plainte pour diffamation), a connu un important teasing, puis un grand retentissement, sur les réseaux sociaux. Suivi par près de 440 000 personnes sur Twitter, le journaliste indépendant bénéficie d’une large communauté d’abonnés, qui suivent et relaient ses scoops sur le monde du football et particulièrement sur les faits de pédocriminalité dans ce milieu.

Figure atypique du journalisme sportif, Romain Molina (à qui CheckNews avait consacré un article) est réputé pour le déballage des dessous du football dans ses vidéos, ainsi que pour les enquêtes publiées dans les médias internationaux les plus prestigieux comme le Guardian ou le New York Times. Sa communauté le campe volontiers en lanceur d’alerte dans un univers du journalisme sportif français marqué par l’omerta et la compromission. Suite à la diffusion de sa première enquête, de nombreux internautes, dont le célèbre musicien français DJ Snake, ont tout de suite reproché à l’Equipe, principal journal sportif en France, ou à RMC Sport de préférer couvrir des sujets légers plutôt que reprendre les révélations graves de Romain Molina, souvent présentées comme «une bombe».

D’autres commentateurs, comme le journaliste de Mediapart Ilyes Ramdani sont venus au secours de l’Equipe, en signalant que «les deux principales histoires de son papier ont été (très bien) documentées par l’Equipe il y a 2 ans».

Cinq cas d’abus déjà documentés par la presse sportive

De fait, parmi les neuf noms cités par le journaliste, cinq avaient déjà fait l’objet d’articles. Il s’agit d’Angélique Roujas, David San José, Marc Varin, Yves Ethève et Jacky Fortépaule.

L’Equipe avait publié une enquête en décembre 2020 où l’on apprenait : «En 2013, une entraîneuse est licenciée de Clairefontaine pour avoir entretenu des relations intimes avec plusieurs joueuses, dont des mineures, du CNFE, l’élite de la formation féminine. Sept ans plus tard, elle continue d’exercer.» Si elle n’était pas nommée, Angélique Roujas était sortie du bois en publiant un droit de réponse au journal estimant qu’elle était «aisément identifiable par quiconque connaît un peu le monde du football féminin» et contestait les informations de l’Equipe. Le journal maintenait tout de même sa version.

En décembre 2020, c’est le nom de David San José qui était dévoilé dans une enquête du New York Times, cosignée par Romain Molina. Ce dernier y écrit qu’«un encadrant renvoyé par la Fédération française de football pour ses contacts avec un joueur adolescent continue de travailler dans le milieu». Au même moment, l’Equipe publiait un article permettant à David San José de livrer sa version. Le journal français note à l’époque que l’homme a été «licencié en 2012 par la FFF pour son attitude “inappropriée” avec un mineur», puis qu’il est «devenu entraîneur dans des équipes de jeunes en club» et qu’il «fait l’objet d’une enquête préliminaire pour “agression sexuelle sur mineur” dans une autre affaire».

Le nom de Marc Varin, directeur financier de la FFF, apparaît dans un article d’octobre 2021 de l’Equipe rapportant que «le conseil des prud’hommes de Paris a sanctionné la Fédération française pour des faits de harcèlement sexuel» commis sur une ex-salariée. Au pénal, l’affaire avait été classée sans suite, et la victime avait porté plainte devant les prud’hommes. Le journal sportif indiquait que suite à cette affaire, «Florence Hardouin, la directrice générale de la FFF, avait adressé “un rappel à l’ordre” à son directeur financier, et une formation “anti-harcèlement” avait été mise en place», indiquant ainsi que les faits ont été reconnus par la FFF. Il est également cité dans l’article de So Foot paru en septembre 2022.

Concernant le président de la Ligue réunionnaise de football, Yves Ethève, Romain Molina renvoie vers un billet paru en décembre 2020 sur le site d’information Zinfos974, qui cite une plainte pour harcèlement moral et sexuel d’une employée et le comportement de ce «patron «alcoolisé» qui met des mains aux fesses et traite ses employées de «salopes»».

Le nom de Jacky Fortépaule, l’ancien président de la Ligue du Centre de football, renvoie vers un article de France 3 Centre – Val de Loire d’avril 2022 indiquant sa condamnation à 12 mois de prison avec sursis pour «harcèlement moral et sexuel» envers six victimes, hommes et femmes confondus. Il avait déjà été condamné par les prud’hommes.

Quatre nouveaux noms et des nouveaux documents

Si ces cinq affaires avaient déjà été documentées par la presse (dont une en partie par Romain Molina pour le New York Times), le journaliste publie quatre nouveaux noms dans son enquête pour Josimar : il s’agit d’Elisabeth Loisel, Gaëlle Dumas, Francis-Pierre Coché et Daniel Galletti. Il présente également d’autres cas, sans mentionner l’identité des personnes concernées.

Romain Molina publie également des documents exclusifs : la lettre envoyée par Noël Le Graët au procureur de la République, dans laquelle il évoque les signalements fait par des pensionnaires, «pour certaines mineures», ayant eu «des “relations intimes” répétées, consistant notamment en des relations sexuelles avec leur entraîneur, madame Angélique Roujas», une copie du procès-verbal du licenciement du président des arbitres de la Ligue Paris Ile-de-France, Daniel Galletti, ainsi que des extraits de conversation de Daniel Galletti proposant de l’argent à un arbitre de 16 ans pour des services sexuels.

Dans le premier volet de son enquête, le journaliste revient le plus en détail sur le cas d’Elisabeth Loisel, ancienne joueuse de l’équipe de France, puis sélectionneuse des équipes féminines française (1997-2007) et chinoise (2007-2008). Selon le témoignage de deux anciennes joueuses anonymes, qu’il a recueilli, Loisel forçait les joueuses à avoir des relations sexuelles avec elle pour être sélectionnées dans l’équipe nationale. Molina cite également une phrase de l’actuel président de la FFF, Noël Le Graët qui lui a été rapportée par «plusieurs hauts responsables» et selon laquelle «on ne peut pas vraiment la laisser entraîner des enfants». Le journaliste retranscrit également un extrait du PV de Gérard Prêcheur, l’ancien directeur de la section féminine de Clairefontaine et collègue de Loisel, qui l’a également accusée de «favoriser certaines joueuses en raison de leur orientation sexuelle» lors d’un entretien avec la police durant l’enquête sur l’affaire Roujas.

Le journaliste avance aussi le nom de Gaëlle Dumas, responsable du pôle Espoir féminin de Blagnac, dont il avait déjà révélé la «mise à pied […] suite notamment à une plainte pour harcèlement d’une joueuse mineure» en avril 2022 sur son compte Twitter. Romain Molina cite ici le tribunal de grande instance de Toulouse, qui lui indique qu’elle a été mise en examen pour «abus d’autorité et violences sur mineurs» et doit être jugée en novembre 2022.

Sans entrer dans le détail, Romain Molina écrit avoir été informé «d’allégations selon lesquelles l’ancien sélectionneur de l’équipe de France féminine, Francis-Pierre Coché, aurait été licencié pour chantage et harcèlement sexuel dans les années 1980», mais il ne développe pas plus sur le cas de cet entraîneur décédé en 2010.

Enfin le dernier nom cité par le journaliste est celui de Daniel Galletti, le président des arbitres de la Ligue Paris Ile-de-France. Dans une seconde enquête pour Josimar, il fournit comme les preuves du PV d’une réunion ayant eu lieu en juillet 2022, qui met fin à ses fonctions ainsi les messages qu’il a envoyés depuis son compte Facebook à un jeune arbitre de 16 ans.

Pas de réaction à la FFF

Depuis la publication de l’enquête de Romain Molina, ses informations ont fait l’objet de quelques reprises médiatiques, notamment par Europe 1. La Fédération française de football est restée muette, et n’a pas publié de communiqué comme ce fut le cas après les révélations de So Foot (la FFF a annoncé une plainte en diffamation).

La seule personne citée dans l’article à s’être exprimée est l’ancienne vice-présidente de la FFF Brigitte Henriques, qui est accusée par des sources du journaliste d’avoir voulu faire taire l’affaire Roujas. Au micro d’Europe 1, l’actuelle présidente du Comité national olympique et sportif français, au-delà de son cas personnel – elle a précisé qu’elle ne travaillait pas à Clairefontaine au moment des faits – a insisté sur le fait que «la Fédération a prononcé un licenciement à l’encontre de l’entraîneuse incriminée. Donc ça montre bien qu’il n’y avait aucune volonté, et encore moins de ma part, d’enterrer quoi que ce soit.»

Du côté du ministère des Sports, la ministre Amélie Oudéa-Castéra a finalement évoqué le travail de Romain Molina lors d’une interview sur BFM TV ce 23 septembre. Au moment où elle mettait en avant l’enquête de l’inspection générale de l’Education, du Sport et de la Recherche (IGESR) qu’elle a diligentée après les révélations de So Foot, elle a ajouté : «Compte tenu de ce qui a été révélé l’après-midi du jour où j’ai vu les dirigeants de la Fédération de foot dans les enquêtes première phase, deuxième phase de Molina, etc. j’ai également travaillé avec mes services, la direction des Sports pour regarder ce qui était remonté dans ces enquêtes. Qu’est-ce qui avait été signalé au ministère, ce qui ne l’avait pas été ? Plusieurs cas n’ont pas été signalés au ministère. Dans les cas qui ont été signalés, des procédures sont en cours. Et nous [...] aurons un deuxième volet qui permettra de faire la lumière sur la dimension plus systémique du traitement des violences sexuelles dans le monde du foot. Parce que là, il faut que cette fédération s’empare mieux du sujet, avec une culture plus résolue, plus déterminée, parce que c’est un sujet dans lequel il doit y avoir absolument zéro tolérance».

A propos de sa seconde enquête, à propos de l’arbitre Daniel Galletti, la ministre n’a pas souhaité s’exprimer directement sur l’affaire. Interrogée sur la possibilité de démettre Noël Le Graët de ses fonctions de président de la FFF, Amélie Oudéa-Castéra a répondu qu’elle n’allait pas le faire «sur la base d’un article» (l’enquête de So Foot) et s’en remet aux conclusions de l’audit de l’IGESR qu’elle a lancé après les révélations journalistiques de So Foot et désormais de Romain Molina.

Dans une tribune parue ce dimanche 25 septembre sur le Huffington Post, Adrien Taquet, ancien secrétaire d’Etat chargé de l’Enfance et des Familles (LREM) reprend les informations de Romain Molina : «Ces “éducatrices” et “éducateurs” ont ainsi pu conserver leur licence et continuer d’exercer leur métier auprès d’enfants, dans d’autres clubs que l’on avait omis de mettre au courant, l’une à Metz, l’autre dans le Rhône. [...] La FFF ne peut plus omettre de signaler à sa tutelle des affaires de violences sexuelles sur mineurs.»