Parmi les centaines de personnes ayant succombé sous les frappes israéliennes qui visent la bande de Gaza depuis samedi 7 octobre, en représailles à l’attaque menée par les forces du Hamas sur le sol d’Israël, ne figurent pas que des combattants armés, mais aussi des civils. D’après le dernier bilan fourni mardi 10 octobre dans la soirée, le ministère de la Santé de Gaza décompte à date 1 055 morts, dont près de la moitié sont des enfants et des femmes. Et ces victimes civiles incluent plusieurs journalistes palestiniens, d’après les informations recoupées par différentes organisations de défense de la presse : au moins six morts ont été confirmées, mais d’autres décomptes font état de sept ou huit journalistes tués.
Mardi, un communiqué du syndicat des journalistes de Gaza faisait état du «martyre de trois journalistes dans la bande de Gaza lors de l’agression israélienne en cours». Le directeur du bureau des médias du gouvernement dirigé par le Hamas, Salameh Maarouf, a décliné les identités de ces victimes : le rédacteur en chef du site d’information palestinien indépendant Al-Khamsa News Saïd al-Taweel, le photojournaliste de l’agence de presse palestinienne Khabar Mohammed Soboh, et le correspondant employé par ce même média Hisham al-Nawajha.
من بينهم سعيد الطويل ومحمد صبح.. استشهاد وإصابة عدد من الصحفيين إثر غارة إسرائيلية استهدف برجا سكنيا غرب مدينة #غزة#عملية_طوفان_الأقصى pic.twitter.com/ejh9Bqj0UO
— الجزيرة فلسطين (@AJA_Palestine) October 10, 2023
Les trois journalistes ont été tués par un bombardement, dans la nuit de lundi à mardi, alors qu’ils couvraient l’évacuation de la tour Hajji, un immeuble résidentiel dans le quartier d’Al-Rimal, dans l’ouest de la ville, presque intégralement détruit par les bombardements israéliens. La presse venue sur place – après qu’un habitant a reçu un appel téléphonique de l’armée israélienne lui demandant d’évacuer les lieux en prévision d’une attaque imminente – s’est toujours tenue à au moins plusieurs dizaines de mètres de l’immeuble, a précisé un correspondant de l’AFP.
«Clairement identifiable comme journaliste»
Mais selon des témoins, la frappe israélienne a également touché un autre bâtiment, plus proche de l’endroit où se trouvaient les journalistes. Ils s’étaient en effet repliés à quelques centaines de mètres de la tour Hajji, à proximité de la tour Babel. Dans la dernière vidéo enregistrée par Saïd al-Taweel au crépuscule, visionnée par CheckNews, le rédacteur en chef annonce que «la tour Hajji vient d’être menacée d’une frappe» par les forces armées israéliennes «et que les femmes, les hommes, et les enfants ont évacué la zone». Il fait partie des deux journalistes tués sur le coup par la force des frappes qui ont ciblé la tour Babel, malgré leur équipement de protection – gilets par-balles et casques.
Une vidéo partagée sur Facebook par une journaliste de la chaîne publique turque TRT World montre la dépouille du deuxième, Mohammed Soboh, à son arrivée devant le complexe médical Al-Shifa, où ont été transportés les corps des journalistes touchés par les frappes. La troisième victime, Hisham al-Nawajha, est arrivée à l’hôpital dans un état grave, donc a été admis en soins intensifs, avant de succomber à ses blessures. Les obsèques de Mohammed Soboh et Saïd al-Taweel se sont tenues dans la foulée.
A funeral was held for Palestinian journalists Saad Taweel and Mohammed Abu Reziq, who were killed in an Israeli air strike on Gaza while covering the ongoing conflict. It has been reported that several other journalists were injured in the same area during the latest attack pic.twitter.com/l93wFmY6kN
— TRT World (@trtworld) October 10, 2023
Quelques heures plus tard seulement, le syndicat de la presse palestinienne a indiqué que la cheffe de son comité des femmes journalistes, Salam Khalil, avait été tuée avec son mari et ses enfants. Leur maison dans le camp de Jabalia, dans le nord de la bande de Gaza, a été touchée dans un bombardement israélien, précise le syndicat à l’agence de presse palestinienne Wafa.
Mais si la journée de mardi 10 octobre a été particulièrement meurtrière, d’autres journalistes ont été tués dans l’enclave palestinienne dès les premières heures de la réplique militaire israélienne, samedi 7 octobre. Selon les informations recueillies par l’ONG Reporters sans frontières (RSF), le photojournaliste indépendant Mohammad al-Salihi, correspondant pour l’agence de presse palestinienne al-Sulta al-Rabia, a été touché par plusieurs balles à la tête alors qu’il couvrait le début de la risposte israélienne à l’attaque du Hamas dans le quartier du Bureij, à la frontière est de la bande de Gaza. «Son décès a été confirmé quelques heures plus tard par le ministère palestinien de la Santé», poursuit RSF, qui précise que «selon plusieurs sources, il était clairement identifiable comme journaliste».
Durant la même matinée, Ibrahim Mohammad Lafi, photojournaliste palestinien de la société de production Ain Media a lui aussi été tué par balles au point de passage d’Erez entre la bande de Gaza et Israël, tandis qu’il portait un gilet par-balles floqué «presse» et tenait son appareil photo à la main, note RSF. Etudiant en dernière année de journalisme, il était parmi les premiers professionnels de l’information à se rendre sur le terrain pour faire la lumière sur les événements qui se déroulent à Gaza, selon l’un de ses confrères, qui lui ont rendu hommage.
⚡️#Palestine: 2 photojournalistes palestiniens Ibrahim Lafi (Ain Media) & Mohammad al-Salihi (Ain Rabi'a) tués en couvrant l'opération militaire du Hamas & la réplique d’Israel près de Gaza. RSF dénonce ces crimes & appelle toutes les parties à assurer la protection des reporters
— RSF (@RSF_inter) October 7, 2023
Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), ou Committee to Protect Journalists en anglais, une association basée aux Etats-Unis, recense un septième journaliste victime de la réplique israélienne – en se référant lui-même aux informations du Comité de soutien aux journalistes (JSC), une organisation à but non lucratif qui promeut les droits des médias au Moyen-Orient. «Mohammad Jarghoun, qui travaillait pour Smart Media, a été abattu alors qu’il couvrait le conflit dans une zone à l’est de la ville de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza», écrit le CPJ.
Comme le rapporte l’AFP, la liste communiquée par le bureau des médias du Hamas comprend un huitième nom : celui de Asad Shamlakh, un journaliste qui aurait été tué dimanche.
Mort incertaine
Outre les victimes, deux journalistes sont portés disparus. Les proches des photojournalistes Haytham Abdel Wahed de Ain Media et Nidal al-Wahidi du site d’information News Press, aussi collaborateur de la société de production Al-Najah, ont perdu contact avec eux samedi matin. A ce moment-là, les deux reporters couvraient ensemble les affrontements au niveau du passage d’Erez.
Nidal al-Wahidi a aussitôt été annoncé comme mort, victime «d’un bombardement israélien près du passage d’Erez», dans de multiples publications sur les réseaux sociaux : le tweet du compte War Monitors (réputé peu fiable) vu par plus de 640 000 utilisateurs, ou le message posté sur Telegram par la fondation Days of Palestine. Mais son décès a ensuite été démenti. Le lendemain, sa famille a assuré l’avoir identifié dans une vidéo montrant des détenus capturés par l’armée israélienne, mais ses collègues ont contredit cette identification. A ce stade, donc, «on sait simplement que Nidal al-Wahidi a disparu», expose le bureau Moyen-Orient de RSF à CheckNews. De même, «la mort d’Haytham Abdel Wahed n’est pas encore certaine».
D’après un communiqué du Hamas, le chef du bureau des médias, Izzat Al-Rishq, a déclaré mardi : «L’assassinat de journalistes palestiniens est une tentative désespérée de combattre les mots et les images et d’empêcher qu’ils soient transmis au monde pour dissimuler leurs crimes odieux contre notre peuple sans défense dans la bande de Gaza.» De leur côté les autorités israéliennes répètent, dans leur communication officielle, que leurs frappes ne visent que des cibles du Hamas et du Jihad Islamique palestinien.