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Gaza : le difficile décompte des journalistes et personnels de médias tués depuis le début de la guerre

Le bilan des journalistes tués pendant le conflit ne cesse de s’alourdir, même si un recensement exact est difficile à établir. Environ 80 d’entre eux ont été tués, selon les listes de trois ONG de défense de la presse, dont les décomptes ne se recoupent pas totalement.
A Rafah, le 7 janvier, après la mort de Hamza al-Dadouh et Mustafa Thuraya. (Photo/Anadolu. AFP)
publié le 14 janvier 2024 à 18h47

La mort de Mustafa Thuraya, pigiste pour plusieurs médias indépendants dont l’AFP, et Hamza al-Dahdouh, journaliste pour la chaîne de télévision Al-Jazeera, le 7 janvier 2024 a Gaza, a provoqué l’indignation. Leur voiture aurait été touchée par deux missiles à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. «Je condamne les meurtres de Hamza al-Dahdouh et Mustafa Thuraya et demande qu’une enquête complète et transparente sur les circonstances de leur mort soit menée», a réagi la directrice générale de l’Unesco, Audrey Azoulay, le 9 janvier. Les organisations internationales de défense des journalistes, comme le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) et Reporters sans frontières ont dénoncé le «ciblage délibéré des journalistes», constitutif d’un crime de guerre.

De son côté, l’armée israélienne, reconnaît avoir délibérément visé les deux journalistes qui, selon Tsahal, manipulaient un drone, «constituant une menace pour nos soldats près de Rafah». Des documents qui auraient été retrouvés à Gaza «révèlent que [Mustafa Thuraya] était commandant adjoint de la brigade de la ville de Gaza du Hamas, et Al-Dahdouh travaillait dans l’unité d’ingénierie électronique du Jihad islamique, ayant précédemment été commandant adjoint du bataillon Zeitoun», ajoute Tsahal. Comme preuve, l’IDF a publié l’extrait d’un document qui émanerait de l’organisation terroriste et où figurerait le nom de Hamza al-Dahdouh.

Une preuve contestée par un bénévole du syndicat des journalistes palestiniens sur le réseau social X, pour qui le document a été trafiqué, et comporte plusieurs incohérences. «La date et le jour de la semaine mentionnés sur le document ne correspondent pas sur le calendrier. La date, le 15/06/2022, était un mercredi alors que le document indique que c’était un samedi. Le langage utilisé n’est pas du tout cohérent et est plutôt une satire de formulations islamiques clichées», observe-t-il notamment.

«Il est trop difficile de réaliser des décomptes différenciés»

Toujours est-il que pour les ONG, les noms de Mustafa Thuraya et Hamza Al Dahdouh s’ajoutent à la longue liste des journalistes tués depuis le début de la réplique israélienne à Gaza après le massacre perpétré en Israël par le Hamas, le 7 octobre.

La question du décompte des journalistes tués est complexe, selon les critères retenus. Plusieurs organismes effectuent leur propre travail de recensement, et les listes ne s’accordent pas forcément. Le Syndicat des journalistes palestiniens (SJP) est celui qui dénombre le plus de journalistes tués depuis le début de la guerre. Dans son rapport sur la liberté de la presse 2023, publié début janvier, le SJP recense «102 journalistes tués à la suite de bombardements israéliens des maisons et des bureaux des journalistes ou lors de leur pratique journalistique», soit «8,5 % des journalistes de Gaza». «Cela comprend 78 praticiens du journalisme et 24 professionnels des médias», est-il précisé.

Au 11 janvier, la Fédération internationale des journalistes (FIJ) – qui déclare «travailler en étroite collaboration avec son affilié le syndicat des journalistes palestiniens» – évoque 80 journalistes palestiniens tués. Contactée, la FIJ explique obtenir des résultats différents car ils ne comptabilisent pas les anciens journalistes, les communicants, écrivains ou les blogueurs, «chose que la SJP intègre à son décompte». La FIJ intègre en revanche tous les décès quelles que soient les circonstances de la mort car il est «trop difficile de réaliser des décomptes différenciés puisqu’il est quasiment impossible de savoir s’ils sont morts sur le terrain, ciblés par les forces armées ou morts chez eux sous des bombardements». Son bilan est proche de celui de Comité de protection des journalistes (CPJ) qui dénombre 79 morts au 10 janvier. Parmi eux, 72 seraient palestiniens, 4 israéliens et 3 libanais. Le CPJ prend en compte les journalistes et professionnels des médias, c’est-à-dire, tous ceux «impliqués dans une activité de collecte de l’information». Et ce sans distinguer, là non plus, les circonstances de leur mort.

Reporters sans frontières de son côté avait provoqué la polémique, lors de la publication de son bilan annuel 2023 des «journalistes tués, détenus, otages et disparus dans le monde». L’ONG dénombrait 17 journalistes tués dans la zone entre le 7 octobre et le 1er décembre. Treize d’entre eux morts à Gaza, trois au Liban et un en Israël. RSF saluait par ailleurs «une diminution progressive du nombre de journalistes tués dans le cadre de leur métier» qui serait due à un «renforcement de la sécurité des journalistes». «Le rapport de Reporters sans frontières vise à blanchir l’image de l’occupant […], et vise également à le protéger de toute responsabilité devant la justice internationale», avait notamment réagi le SJP.

Plus bas dans le bilan, RSF précisait que le chiffre de 17 journalistes tués «ne comprend pas les journalistes tués en dehors de leurs fonctions, ceux qui n’ont pas été tués en tant que tels, ni ceux dont les circonstances de la mort demeurent inconnues». «C’est pourquoi, sur le total de 63 journalistes tués dans la zone dans diverses circonstances [entre le 7 octobre et le 1er décembre], RSF dénombre 17 journalistes dont elle a pu établir avec un degré de certitude suffisant que le décès était bien lié au travail journalistique de la victime, après vérification des faits et en fonction de faisceaux d’indices probants», peut-on lire. Contactée par CheckNews, RSF explique qu’«il s’agit d’une question de méthodologie à des fins de comparaison, d’une année sur l’autre et d’une zone à l’autre». Sont pris en compte les journalistes, et les professionnels des médias tels que les propriétaires de médias, fixeurs, chauffeurs ou blogueurs citoyens, tués au cours de l’exercice de leur fonction (sur le terrain) ou en raison de leur profession (ciblage). Le 7 janvier, RSF a actualisé sa liste, passant de 17 à 22 journalistes tués.

Cela n’empêche pas l’ONG, dans son post en réaction à la mort de Mustafa Thuraya et Hamza al-Dahdouh, d’évoquer un bilan bien plus élevé : 79 journalistes morts à Gaza en quatre mois (et 81 au 10 janvier). Interrogée sur ce doublé décompte, RSF avance la spécificité du conflit à Gaza, «prison à ciel à ouvert» «les journalistes sont piégés». «L’ensemble de la bande Gaza est une ligne de front puisqu’il n’y a aucun endroit sûr et qu’il est impossible de s’échapper», explique RSF. Une «présomption d’activité continue» s’applique alors. L’ONG a cependant refusé de fournir le détail de ces 79 noms.

Si un bilan exhaustif et totalement fiable est impossible à établir, CheckNews a recoupé la liste des journalistes tués de RSF avec celle du CPJ et de la FIJ.

En tout, 20 journalistes figurent sur les trois listes

Hamza al-Dahdouh, Al Jazeera, 29 ans, 7 janvier

Mustafa Thuraya, Agence France-Presse (AFP), 7 janvier

Samer Abu Daqqa, Al-Jazeera, 45 ans, 15 décembre

Montaser Al-Sawaf, Anadolu Agency, 1er décembre

Ayat Khadoura, blogueuse indépendante, 20 novembre

Bilal Jadallah, Press House-Palestine, 45 ans, 19 novembre

Hassouna Salim, Quds News, 28 ans, 18 novembre

Sari Mansour, indépendant, 32 ans, 18 novembre

Roshdi Sarraj, Ain Media, 31 ans, 22 octobre

Mohammed Fayez Abou Matar, photojournaliste indépendant, 28 ans, 11 octobre

Hisham al-Nawajha, Khabar, 27 ans, 11 octobre

Saïd al-Tawil, Al Khamissa, 36 ans, 11 octobre

Mohammed Soboh, Khabar, 10 octobre

Mohammad al-Salihi, Al-Sulta al-Rabia, 29 ans, 7 octobre

Ibrahim Lafi, Ain Media, 21 ans, 7 octobre 203

Mohammad Jarghoun, Smart Media, 23 ans, 7 octobre 2023

Farah Omar, Al Mayadeen, 21 novembre

Rabih al-Maamari, Al Mayadeen, 21 novembre

Issam Abdallah, Reuters, 37 ans, 13 octobre

Roee Idan, Ynet, 43 ans, 7 octobre

Le CPJ et la FIJ comptabilisent 76 autres journalistes ou personnels de médias tués

Yaniv Zohar, Israel HaYom, 7 octobre

Ayelet Arnin, Société de radiodiffusion israélienne (KAN), 7 octobre

Shai Regev, TMI, 7 octobre

Assaad Shamlakh, freelance, 8 octobre

Ahmed Shehab, Voice of Prisoners, 12 octobre

Husam Mubarak, Al-Aqsa TV, 13 octobre

Salam Mema, Radio Al Quds, 13 octobre

Yousef Maher Dawas, freelance, 14 octobre

Issam Bhar, Al-Aqsa TV, 17 octobre

Mohammad Balousha, Palestine TV, 17 octobre

Sameeh Al-Nady, Al-Aqsa TV, 18 octobre

Khalil Abu Aathra, Al-Aqsa TV, 19 octobre

Mohammed Ali, radio Al-Shabab, 20 octobre

Mohammed Imad Labad, 23 octobre

Salma Mkhaimer, journaliste, 25 octobre

Ahmed Abu Mhadi, Al-Aqsa TV, 25 octobre

Saed Al-Halabi, Al-Aqsa TV, 25 octobre

Jamal Al-Faqaawi, Réseau Médiatique Mithaq, 25 octobre

Duaa Sharaf, 26 octobre

Yasser Abu Namous, 27 octobre

Nazmi Al-Nadim, Palestine TV, 30 octobre

Majed Kashko, Palestine TV, 31 octobre

Imad Al-Wahidi, Palestine TV, 31 octobre

Iyad Matar, 1er novembre

Majd Fadl Arandas, Majd Fadl Arandas, 1er novembre

Mohammed Abu Hatab, Palestine TV, 2 novembre

Mohamad Al-Bayyari, Al-Aqsa, 2 novembre

Mohamed Al Jaja, Press House, le 5 novembre

Mohamed Abu Hassira, correspondant pour l’agence de presse WAFA, 7 novembre

Yahya Abu Manih, journaliste pour radio Al-Aqsa, 7 novembre

Ahmed Al-Qara, photojournaliste, 10 novembre

Yaacoub Al-Barsh, directeur général de Naama radio, 13 ou 14 novembre

Ahmed Fatima, photographe pour Al Qahera News, 13 novembre

Mossab Ashour, photographe, 18 novembre

Amro Salah Abu Hayah, travailleur des médias pour Al-Aqsa TV, 18 novembre

Mostafa El Sawaf, journaliste et écrivain, 18 novembre

Abdelhalim Awad, chauffeur pour Al-Aqsa TV, 18 novembre

Mohamed Nabil Al-Zaq, journaliste à Quds TV, 22 novembre

Mohamed Mouin Ayyash, photojournaliste, 23 novembre

Mostafa Bakeer, journaliste, 24 novembre

Adham Hassouna, journaliste freelance, 1er décembre

Abdullah Darwish, photojournaliste pour Al-Aqsa TV, 1er décembre

Hassan Farajallah, cadre pour Al Quds TV, 3 décembre

Shaima El-Gazzar, Al-Majedat, 3 décembre

Ola Atallah, journaliste, 9 décembre

Haneen Kashtan, journaliste pour Radio Sawt Al Watan, 17 décembre

Assem Kamal Moussa, Palestine Now, 17 décembre

Abdallah Alwan, travailleur des médias pour Midan, plateforme propriété d’Al-Jazeera, 18 décembre

Mohammad Saidi (Khalifa), directeur d’Al-Aqsa TV, 22 décembre

Mohamed Nasser Abu Huwaidi, photojournaliste pour le journal Al Istiqlal, 23 décembre

Ahmad Jamal Al Madhoun, directeur adjoint de l’agence de presse Al Rai, 24 décembre

Mohamad Al-Iff, photojournaliste pour l’agence de presse Al Rai, 24 décembre

Ahmed Khaireddine, photojournaliste pour Al-Aqsa TV, 28 décembre

Mohamed Khaireddine, archiviste pour Al-Aqsa TV, 28 décembre

Jabr Abu Hadrous, correspondant pour Al Quds TV, 29 décembre

En plus, 19 autres journalistes figurent au moins sur l’une des trois listes

Hani Madhoun, Al-Aqsa TV, 21 octobre (FIJ)

Zaher Al-Afghani, Réseau Médiatique Mithaq, 25 octobre (FIJ)

Mahmoud Matar, freelance, 15 novembre (FIJ)

Jamal Hanieh, Amwaj Sports Media Network, 21 novembre (FIJ)

Asem Al-Barsh, radio Al Najah, 21 novembre (RSF et IFJ)

Assem Al-Barsh, Al Ray, 22 novembre (FIJ)

Amal Zaheb, journaliste, 24 novembre (FIJ)

Nader Al-Nazil, Palestine TV, 25 novembre (FIJ)

Duaa Jabbour, radio Al-Aqsa, 9 décembre (CPJ)

Rami Bdeir, News Press, 15 décembre (RSF)

Akram Al Shafei, Safa, 5 janvier (FIJ)

Mohamed Abu Samra, photojournaliste, 9 décembre (FIJ)

Abdul Karim Odeh, Al-Mayadeen, 13 décembre (FIJ)

Adel Zorob, freelance, 19 décembre (CPJ)

Mohamed Azzaytouniyah, radio Al-Rai, 24 décembre (CPJ)

Huthaifa Lulu, Prisoners Radio, 24 décembre (FIJ)

Heba Al-Abdallah, journaliste, 9 janvier (FIJ)

Ahmad Bdeir, Hadaf News, 10 janvier (FIJ)

Mohammed Jamal Sabahi Al Thalathin, journaliste à la télévision Al Quds, 11 janvier (FIJ)