Promis par Joe Biden lors de son discours sur l’état de l’Union, du 8 mars 2024, le port temporaire (constitué d’un ponton flottant) qui devait «permettre d’augmenter massivement la quantité d’aide humanitaire acheminée chaque jour à Gaza» n’a pas eu les effets escomptés. Jeudi 12 juillet, le président américain a exprimé sa «déception» quant aux efforts déployés pour acheminer l’aide à Gaza via cette structure américaine, mise en place à la mi-mai. Après de nombreux problèmes, l’installation, qui a coûté 230 millions de dollars, sera abandonnée, a annoncé le Pentagone.
Sur le réseau social X, l’ONG Médecins du monde a réagi à cette information en partageant un article du média The New Humanitarian, paru ce 16 juillet, accompagné du commentaire «On vous l’avait bien dit…». La traduction automatique du titre de l’article, partagée dans une capture d’écran indique que «le port flottant américain à Gaza va fermer après avoir coûté 230 millions de dollars pour une journée d’aide». Cette version pourrait suggérer que l’embarcadère flottant n’a fonctionné qu’une seule journée, ce qui n’est pas le cas. En anglais, le titre «US Gaza pier to close after costing $230m for a day’s worth of aid», se traduit en réalité par «Le port américain de Gaza va fermer après avoir coûté 230 millions de dollars pour l’équivalent d’une journée d’aide».
On vous l'avait bien dit...https://t.co/ZEy1tJr7Oj pic.twitter.com/qBy7w4HZTv
— Médecins du Monde (@MdM_France) July 17, 2024
Mais là encore, l’expression peut être trompeuse. Dans son article, The New Humanitarian développe son calcul en expliquant que «le département américain de la Défense avait initialement déclaré que la jetée permettrait de livrer jusqu’à deux millions de repas par jour à la population de Gaza, qui compte 2,1 millions de Palestiniens. Cependant, au cours de son existence – deux mois mouvementés – seules 8 000 tonnes d’aide ont été livrées par l’intermédiaire de la jetée. Selon une estimation du Financial Times, cela représente environ 600 camions, soit à peu près le nombre de camions qui, selon les agences humanitaires, devraient entrer dans la bande de Gaza chaque jour». C’est effectivement ce qu’écrit le Financial Times dans un article publié le 13 juillet 2024.
Le chiffre de 600 camions journaliers correspond à l’estimation du nombre camions «nécessaires chaque jour pour faire face à la menace de la famine», selon une déclaration de l’Agence des Etats-Unis pour le développement international. Selon le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, «environ 500 camions par jour entraient dans la bande de Gaza avant le début des hostilités». Auprès de CheckNews, le docteur Jean-François Corty, président de Médecins du monde, explique qu’il s’agit du chiffre cité par les Nations unies et les ONG, qui correspond aux nombres de camions entrants lors du blocus qui existait déjà avant le 7 octobre.
Cependant depuis le 7 octobre, et la guerre menée par Israël contre la bande de Gaza, le nombre de camions se trouve bien en dessous de ce nombre «nécessaire» de camions. Selon le Coordinateur des activités gouvernementales dans les Territoires palestiniens (Cogat), l’unité du ministère de la Défense israélien qui coordonne l’aide humanitaire à Gaza, «206 camions d’aide ont été transférés à Gaza» ce 16 juillet. Dans un message publié ce 15 juillet, le Cogat indique que depuis le début de la guerre, 791 521 tonnes d’aide humanitaire ont été transportées dans 41 897 camions.
Over 1.2 BILLION pounds of food were transferred to Gaza since the start of the war. pic.twitter.com/Zh0FhxYJeX
— COGAT (@cogatonline) July 15, 2024
En divisant ces livraisons par 282 jours, on obtient environ 2 807 tonnes journalières ou 148 camions. Selon une déclaration du Pentagone du 11 juillet, «plus de 8 100 tonnes» d’aide humanitaire ont été livrées grâce au port flottant… soit l’équivalent de trois jours de livraison. En rapportant le nombre de tonnes livrées au total cité par le Cogat, l’effort déployé par le pont flottant américain ne représente au final que 1 % de l’aide humanitaire acheminée dans la bande de Gaza.
Reste que pour Samantha Power, l’administratrice de l’Agence des Etats-Unis pour le développement international, les plus de 8 000 tonnes acheminées ont représenté «suffisamment de nourriture pour nourrir 450 000 personnes pendant un mois». Bien loin des «deux millions de repas par jour» qui avait été annoncé à la presse par le général américain Brad Hinson au mois de mars.
Un indicateur «foireux» mais qui témoigne du blocus sur Gaza
Pour Jean-François Corty, «l’indicateur de camions est foireux à la base, y compris quand il y en a 600 ou 700 et y compris aujourd’hui. Et en même temps, il donne une certaine idée des obstructions de l’aide internationale et du fait que l’aide est sous-proportionnée par rapport aux besoins». Le président de Médecins du monde précise également auprès de CheckNews que les camions qui entrent ne contiennent pas tous de l’aide humanitaire et qu’une partie continue de transporter des marchandises de commerce.
Selon lui, la controverse autour de cet indicateur permet surtout de souligner que la mission américaine a été un «coup de com», qui témoigne du réel besoin des Gazaouis en matière d’aide humanitaire et des situations de blocage auxquelles sont toujours confrontées les organisations humanitaires.
Concernant le fiasco de l’opération américaine, le président de Médecins du monde ne mâche pas ses mots : «Les Américains ont fait de la communication humanitaire pour dépolitiser le contexte, pour ne pas entrer dans le dur et pour ne pas assumer qu’ils continuent de filer des armes aux Israéliens, qui opèrent le blocus. Ils ont créé cette jetée pour faire croire qu’ils allaient rentrer dans un rapport de force avec les Israéliens sur la question du blocus.» Or il rappelle que les camions humanitaires sont toujours bloqués sur les routes en Egypte ou en Cisjordanie, et que les largages aériens sont chers et dangereux. «Si les Américains se souciaient du sort des Gazaouis, ils auraient mis la pression sur Israël pour faire rentrer de l’aide par la route, parce que c’est le meilleur moyen de le faire», conclu l’humanitaire.