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Google tourne la page de l’affichage spécifique du fact-checking dans ses résultats de recherche

Sans prévenir les rédactions concernées, le géant américain du numérique a annoncé la fin de l’affichage des balises ClaimReview qui rendaient visibles les articles de fact-checking dans son moteur de recherche depuis 2017.
Depuis avril 2017, Google affichait les articles de fact-checking différemment en indiquant l’affirmation vérifiée, l’auteur de cette affirmation et son évaluation (vraie, fausse, etc.). (Annegret Hilse/REUTERS)
publié le 1er juillet 2025 à 11h12

C’est une annonce passée discrètement. Le 12 juin 2025, sur son blog destiné aux webmasters, développeurs ou spécialistes du référencement SEO, Google a annoncé la fin des encadrés spécifiques qui mettaient en valeur les articles de fact-checking. «Nous allons progressivement arrêter de prendre en charge le balisage ClaimReview dans la recherche Google. Toutefois, ce balisage reste compatible avec l’outil Factcheck Explorer», annonce sobrement le géant du web.

L’objectif ? «Simplifier la page des résultats de recherche», explique Google dans une note, où il règle les comptes à d’autres affichages spécifiques comme ceux des livres, des fiches de véhicules ou de vidéos éducatives.

Mieux référencer les articles de fact-checking

Né en 2015 d’une suggestion du journaliste du Washington Post, Glenn Kessler, qui souhaitait voir les articles de fact-checking mis en avant sur le moteur de recherche, le ClaimReview est un système développé par Google, le centre de recherche américain sur le journalisme Duke Reporters’Lab et le site Schema.org. Il permet aux rédactions de signaler les informations qu’elles vérifient, afin que les moteurs de recherche puissent mieux les mettre en avant et les référencer.

Depuis avril 2017, Google affichait les articles de fact-checking différemment en indiquant l’affirmation vérifiée, l’auteur de cette affirmation et son évaluation (vraie, fausse, etc.) par les journalistes. Dans le milieu du référencement, on assure que ces articles étaient mieux classés que les autres. Ce que dément une source interne à Google.

Pour cela, il était nécessaire que les auteurs d’un article de fact-checking remplissent une petite balise. Comme de nombreux médias français et étrangers, dotés d’une équipe de vérificateurs des faits, Libération avait recours à cet outil (quand ses rédacteurs n’oubliaient pas de le compléter). CheckNews a constaté que ses articles marqués par la balise ClaimReview ne bénéficient plus de l’affichage spécifique dans les résultats Google.

Contacté par CheckNews, un porte-parole de Google répond que l’entreprise a «simplifié la page de résultats de recherche en retirant certaines balises de données structurées anciennes. Ce changement mineur a affecté un très faible pourcentage de résultats de recherche, ne modifie pas le classement dans les résultats de recherche, et nos tests ont montré qu’il n’a aucun impact sur le trafic vers ces pages.»

Incompréhension dans le milieu du fact-checking

Dans la communauté du fact-checking, c’est surtout à l’occasion du sommet annuel du réseau international de fact-checking (IFCN), qui s’est tenu à Sarajevo en Bosnie-Herzégovine, du 26 au 28 juin, que l’annonce a fait grincer des dents. «Nous ne savons pas pourquoi Google a fait ce choix ni pourquoi il le fait maintenant. Les vérificateurs de faits n’ont reçu aucun avertissement concernant ce changement et, en tant que premiers intervenants sur Internet, nous sommes une fois de plus laissés à nous-mêmes», regrettait Andrew Dudfield, directeur des fact-checkers britanniques de Full Fact, dans un texte publié le 26 juin. Une fin de relation sans dire au revoir, confirmée par Clara Jiménez Cruz, fondatrice de la rédaction de fact-checking espagnole Maldita.

Dans sa newsletter «Indicator» du 27 juin, Alexios Mantzarlis, un ponte du milieu (ancien fact-checkeur de Pagella Politica, principal site de vérification des faits en Italie, il a fondé et dirigé l’IFCN, avant d’être recruté par Google pendant près de cinq ans en tant que responsable de la crédibilité de l’information et analyste en intelligence sur la désinformation) est revenu sur la fin du ClaimReview, outil qu’il a développé chez Google, notamment durant la crise sanitaire du Covid et du déluge de fake news qui ont accompagné cette période. Cette décision s’inscrit, selon lui, dans la continuité du retrait de Meta de son programme américain de vérification des faits, «bien que le ton et l’impact soient beaucoup moins spectaculaires», note Mantzarlis.

Si un porte-parole de Google lui a assuré que la disparition de l’outil n’affectera «ni le classement ni le trafic des pages concernées», l’ancien cadre souligne qu’«il est intéressant de noter qu’en arrêtant ClaimReview, l’entreprise n’a pas mentionné son intention de le remplacer par une fonction de vérification des faits adaptée à l’ère de l’IA». Comme l’a documenté CheckNews dans une série d’articles consacrés à la pollution de l’information par des sites générés par intelligence artificielle, via sa fonction de recommandation de contenus, Google joue lui-même un rôle important dans la mise en avant d’articles générés par IA et diffusant des informations «hallucinées» ou fausses.

Google renie un outil qu’il mettait en avant à Bruxelles

La décision de Google de laisser tomber l’affichage spécifique des articles de fact-checking apparaît d’autant plus paradoxale que le géant américain se servait des données de la balise pour souligner son engagement pour la vérification des faits. Dans un rapport adressé à la Commission européenne, publié en septembre 2024 dans le cadre du Digital Services Act, Google mettait ainsi en avant le fait que ses articles marqués par la balise avaient atteint plus de 120 millions de vues dans l’Union européenne durant les six premiers mois de l’année. «Google Search s’appuie sur les balises ClaimReview lisibles par machine sur les sites web pour améliorer les résultats de recherche des articles de vérification des faits avec des “synthèses enrichies”, afin de permettre aux utilisateurs de comprendre d’un seul coup d’œil ce qui est vérifié et quelle est l’évaluation du vérificateur de faits», assurait Google auprès de l’UE.

Après Meta, qui cesse de collaborer avec les fact-checkers, remplacés par des Notes de la communauté comme sur le réseau social X, c’est donc au tour de Google de prendre ses distances avec le milieu du fact-checking. Officiellement, Google assure que ClaimReview va continuer d’être utilisée par ses soins pour son service Fact Check Explorer, une base de données rassemblant les articles marqués par la balise. Mais qui utilise cette base de données ? Selon les chiffres de Google, ce service n’a réuni que 25 362 passionnés de faits vérifiés à travers l’UE au cours du dernier semestre de l’année 2024. Un chiffre microscopique quand on sait que Google Search compte plus de 300 millions d’utilisateurs mensuels, selon des chiffres communiqués par le géant du web à l’UE, en février 2023.

Préférant rester optimiste, le journaliste américain Bill Adair, chercheur au Duke’s Reporter Lab, espère que le Claim Review continuera d’être utilisé par les fact-checkeurs. «A l’ère de l’IA, la recherche Google ne sera plus un moteur de trafic important pour les vérificateurs de faits du monde entier, et de même, nous n’utiliserons plus ClaimReview en pensant à Google. De nombreux produits, dont certains n’ont pas encore été inventés, exploiteront notre base de données ClaimReview», prédit celui qui, depuis dix ans, prêche pour une utilisation généralisée de ce produit.