Longtemps moquée et détestée par des éditorialistes en raison de sa jeunesse, ses nattes, son tempérament et même attaquée sur son autisme, l’activiste écologiste suédoise Greta Thunberg est devenue dès mardi la nouvelle égérie de ses anciens détracteurs. «Enfin !» s’est exclamé l’entrepreneur et urologue Laurent Alexandre (qui l’a longtemps désignée comme son ennemie) en découvrant que la jeune femme à l’origine de grèves scolaires pour le climat avait déclaré à la télévision allemande qu’elle trouvait préférable de continuer à utiliser les centrales nucléaires actuellement en activité en Allemagne plutôt que de les fermer pour se tourner vers le charbon.
«Wolala, l’égérie écolo s’est convertie au nucléaire» s’amusait mercredi matin le journaliste d’Europe 1, Dimitri Pavlenko, tendant la perche à l’éditorialiste et directeur adjoint de la rédaction du Figaro, Vincent Tremolet de Villers, pour qui «c’est un événement. C’est un peu comme si Sandrine Rousseau se mettait à prendre en compte les droits de la défense». «Retournement de veste», «étonnante déclaration», chez les pro-nucléaires, les propos de Greta Thunberg étaient jubilatoires. En France comme en Allemagne, «l’onction de Greta pour le nucléaire» semble marquer un tournant à en croire les réactions médiatiques et politiques.
«Mauvaise idée de miser sur le charbon»
Mais qu’a dit Greta Thunberg ? Invitée de l’émission de débat de la journaliste allemande Sandra Maischberger, diffusée ce mercredi sur la chaîne de télévision publique Das Erste, les propos de l’activiste ont d’abord été révélés mardi par l’agence de presse allemande DPA, qui a eu accès à l’entretien en premier, avant d’être repris par toute la presse allemande puis internationale. La chaîne a également diffusé un court extrait de l’entretien.
Are the #nuclear power plants the better choice for the time being now? @GretaThunberg: „If we have them already running, I feel that it's a mistake to close them down in order to focus on coal.“
— Maischberger (@maischberger) October 11, 2022
Watch the full interview on Wednesday evening on #maischberger! ARD/@DasErste pic.twitter.com/0ds39dNVqo
Ce teaser diffusé mardi a été complété par l’interview entière diffusée mercredi soir par la chaîne de télévision. Zappons sur le début de l’entretien pour nous concentrer sur le passage évoquant la crise énergétique (à partir de 7 minutes et 23 secondes d’interview). Voici ce que se sont dit la journaliste Sandra Maischberger et l’activiste Greta Thunberg.
Sandra Maischberger : Nous traversons actuellement une crise énergétique – en Allemagne aussi – car nous sommes très dépendants du gaz et du pétrole russes. Le gouvernement fédéral allemand a décidé de laisser fonctionner les centrales à charbon afin de stabiliser les prix de l’énergie. Qu’en pensez-vous ?
Greta Thunberg : C’est inévitable, c’est ce qui se passe quand on est trop dépendant des énergies fossiles provenant de régimes autoritaires. Je pense qu’il existe d’autres moyens d’aller de l’avant : en se concentrant sur les énergies renouvelables, plutôt que de continuer à investir dans les énergies fossiles. En investissant dans les combustibles fossiles, nous allons soit verrouiller un niveau de réchauffement auquel nos sociétés ne pourront pas s’adapter, ou soit nous aurons un effondrement de la valeur des biens dans le futur [elle emploie l’expression «stranded assets» qu’on peut aussi traduire par : «nous aurons des actifs bloqués dans le futur», ndlr]. Ce sera l’un ou l’autre.
S.M : Mais à l’heure actuelle, les gens regardent leurs factures d’énergie. Le gouvernement doit protéger les citoyens. Comprenez-vous la nécessité de ces mesures ?
G.T : Quand il s’agit de ça… Bien sûr, les gens vont se concentrer sur eux-mêmes et vont se débrouiller au jour le jour. Mais c’est juste un autre symptôme de cette crise à laquelle nous sommes confrontés. Nous nous sommes rendus dépendants et avons créé une société dans laquelle nous ne sommes pas en mesure de nous projeter dans l’avenir à plus d’un an. Ce n’est pas durable !
S.M : Nous débattons actuellement en Allemagne pour savoir s’il serait préférable de laisser les centrales nucléaires fonctionner plus longtemps plutôt que les centrales à charbon. Qu’en pensez-vous ?
G.T : Personnellement, je pense que c’est une très mauvaise idée de miser sur le charbon tant que [les centrales nucléaires] fonctionnent encore. Mais il s’agit bien sûr d’un débat très passionné.
S.M : Mais pour le climat, les centrales nucléaires seraient-elles un meilleur choix, du moins pour le moment ?
G.T : Ça dépend. Si elles sont déjà en fonctionnement, je pense que ce serait une erreur de les arrêter afin de se tourner vers le charbon.
S.M : Mais après faudrait-il les arrêter, le plus tôt possible ou quoi ?
G.T : Ça dépend. Nous ne savons pas ce qui se passera après ça…
Passion renouvelable
Dans ce passage, il est indéniable que Greta Thunberg place l’énergie atomique devant l’énergie fossile, qui rejette davantage de CO2. Une position qui tranche de fait avec celle de Greenpeace par exemple, qui milite pour la fermeture immédiate des réacteurs outre-Rhin. Toutefois, la «préférence nucléaire» de l’activiste suédoise vis-à-vis du charbon s’inscrit dans un contexte spécifique. Et Greta Thunberg ne se prononce pas quant à l’opportunité de laisser tourner, ou de fermer, les réacteurs après la crise énergétique. Ni ne défend la construction de nouveaux EPR. Dans l’entretien, l’activiste appelle surtout à «se concentrer sur les énergies renouvelables.»
Suite à la diffusion de son interview, la Suédoise de 19 ans a réagi à la reprise de ses propos en tweetant : «Aujourd’hui comme toujours, il est important de se méfier de ceux qui n’écoutent la vérité qui dérange que lorsqu’elle correspond à leur agenda. Pour faire face à cette crise, sélectionner certains aspects, sortir les choses de leur contexte et ignorer le reste ne nous mènera nulle part. Cela ne fait qu’alimenter les conflits culturels.»
«Personnellement, je suis contre l’énergie nucléaire»
Ce n’est pas la première fois que les propos sur le nucléaire de Greta Thunberg font bondir de joie ses détracteurs. Le 17 mars 2019, dans un long texte publié sur Facebook, cette phrase avait retenu leur attention : «L’énergie nucléaire, selon le Giec, peut être une petite partie d’une très grande solution énergétique sans carbone, en particulier dans les pays et les régions qui n’ont pas la possibilité de s’approvisionner en énergie renouvelable à grande échelle.» A l’époque, la chute de la phrase avait été omise : «Même si elle [l’énergie nucléaire, ndlr] est extrêmement dangereuse, coûteuse et chronophage.»
Ces propos apparaissaient dans un billet, dans lequel elle soulignait la priorité de prendre conscience de la crise climatique. Voyant que ses propos avaient été interprété comme une défense du nucléaire, Greta Thunberg avait édité son texte le 20 mars 2019 pour ajouter cette phrase : «Personnellement, je suis contre l’énergie nucléaire» avant de poursuivre «mais selon le GIEC, elle peut être une petite partie d’une très grande solution énergétique sans carbone…»
Depuis, Thunberg s’était fait le relais en avril 2019 d’une tribune de contributeurs du Giec expliquant que ce dernier «ne préconise pas l’énergie nucléaire, et ne dit pas que l’énergie nucléaire est nécessaire pour atteindre les objectifs climatiques». Plus récemment, en juillet 2022, elle s’était engagée contre la décision du parlement européen d’inclure le gaz fossile et le nucléaire dans la dans la taxonomie verte européenne. «Nous avons désespérément besoin de vraies énergies renouvelables, pas de fausses solutions» écrivait-elle en juillet 2022.
Tomorrow the European Parliament will decide whether fossil gas and nuclear will be considered "sustainable" in the EU taxonomy. But no amount of lobbyism and greenwashing will ever make it "green".
— Greta Thunberg (@GretaThunberg) July 5, 2022
We desperately need real renewable energy, not false solutions. #NotMyTaxonomy
Les propos de Greta Thunberg ont rencontré beaucoup d’écho en Allemagne en raison des choix auxquels sont contraintes les autorités en matière énergétique. Le gouvernement a fait le choix, face à la crise, de rouvrir plusieurs centrales à charbon, tout en décidant de ne prolonger, jusqu’en avril 2023, que deux des trois dernières centrales nucléaires en exercice (dont la fin d’activité était prévue pour décembre 2022). Une décision critiquée par les libéraux (qui composent une partie du gouvernement actuel) mais aussi les conservateurs de la CDU.