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Incendie dans l’Aude : quand parle-t-on de «grand feu», de «feu exceptionnel» ou de «mégafeu» ?

La qualification des feux repose essentiellement sur la superficie brûlée. Mais le terme de «mégafeu», lui, s’emploie en cas d’incendie «hors de contrôle».
L'incendie à Durban-Corbières, dans l'Aude, le 7 août 2025. (Idriss Bigou-Gilles/AFP)
publié le 7 août 2025 à 16h00

Avec 16 000 hectares partis en fumée en moins de vingt-quatre heures, l’incendie qui continue de ravager le massif des Corbières, dans l’Aude, a déjà brûlé une surface record. Il s’agit de la plus grande superficie détruite, à partir d’un seul et même foyer, depuis que les relevés se sont systématisés en 1973. C’est même le plus important incendie depuis «le feu du siècle» de 1949, dont l’étendue avait à l’époque été estimée à 50 000 hectares.

Comment alors définir ce feu d’une ampleur historique ? Remplit-il les critères pour parler de «grand feu», de «feu exceptionnel», voire de «mégafeu» ?

Pour mesurer l’importance des feux, un premier palier est fixé à 100 hectares. Les feux qui atteignent ce stade peuvent déjà être considérés comme des «incendies significatifs», exposait Pierre Schaller, ancien colonel des sapeurs-pompiers, et désormais expert auprès du SDIS des Bouches-du-Rhône, en 2022 à Ouest-France. «Significatifs» car ils «commencent à poser des problèmes très particuliers d’extinction», et peuvent nécessiter «des moyens aériens», encore plus s’ils vont «au contact de zones habitées».

Second seuil : celui des 1 000 hectares. Les incendies qui vont au-delà de cette surface peuvent être qualifiés de «grands feux», voire de «très grands feux». Même sur le pourtour méditerranéen, souvent en proie à des incendies durant la saison estivale, un feu qui brûle plus de «1 000 hectares, ce n’est pas courant», soulignait encore Pierre Schaller. En 2003, dans le massif des Maures, dans le Var, 6 800 hectares sont partis en fumée à la mi-juillet, puis 5 600 autres onze jours plus tard. Ce qui a causé la mort de sept personnes, ainsi que l’évacuation de 6 000 vacanciers et résidents.

«Le qualificatif pour les mégafeux, ce n’est pas un effet de seuil»

Reste le seuil des 10 000 hectares, une limite symbolique au-delà de laquelle les pompiers qualifient les incendies de «feux exceptionnels». Depuis le gigantesque incendie de 1949, rares sont les incendies qui ont franchi cette barre. Avant celui en cours dans l’Aude, seuls deux feux avaient réduit en cendres plus de 10 000 hectares, d’après les relevés des surfaces incendiées. En septembre 1990, 11 800 hectares avaient ainsi brûlé à Vidauban, au cœur du Var. Puis en juillet 2022, ce sont 13 800 hectares qui étaient partis en fumée du côté de Landiras, en Gironde.

Les incendies survenus en Gironde en 2022 ont par ailleurs été décrits comme des «mégafeux», dans la mesure où il aura fallu presque un mois pour parvenir à les contenir et que, dans cet intervalle, près de 600 départs de feu ont été constatés sur la zone. De fait, «le qualificatif pour les mégafeux, ce n’est pas un effet de seuil», expliquait Christophe Chantepy, expert en défense des forêts contre les incendies au sein de l’ONF, ce jeudi matin sur France Inter. Le terme est employé quand on a affaire à «un feu qui est hors de contrôle». «Il évoque le côté inattendu, un comportement erratique, une surface extrême, et un méga-impact sur les maisons», détaille auprès de Libé Jean-Baptiste Filippi, chercheur au CNRS dans le Laboratoire des sciences pour l’environnement. Ce dernier renvoie aussi au travail de définition mené par des chercheurs et forestiers catalans : «Pour eux, c’est un feu contre lequel on ne peut pas lutter.»

Ainsi, estime Christophe Chantepy, «on n’a pas basculé dans cette sémantique-là» pour l’incendie qui a lieu dans le massif des Corbières. Il s’agit bien, en revanche, d’un «feu exceptionnel». Et on peut même aller, selon l’expert de l’ONF, jusqu’au «feu hors norme», c’est-à-dire littéralement «sortant de la norme habituelle». L’expert illustre : «Ce n’est pas habituel d’avoir ces surfaces, ces vitesses de propagation, ou d’avoir des décès sur des feux» – on décompte à ce stade une victime ayant péri dans les flammes, mais aussi treize blessés dont onze pompiers. Jean-Baptiste Filippi, lui, parle de «feu extrême».

L’association française Canopée, engagée dans la défense des forêts, emploie un dernier terme : celui de «feux catastrophes» qui, comme le précise son site, sont «définis ainsi du fait des dégâts exceptionnels, humains ou matériels, qu’ils occasionnent». Le feu des Landes de Gascogne en 1949 avait causé la mort de 82 individus, le faisant entrer dans cette définition. Tout comme le feu de Gonfaron, qui a fait rage en 2021 dans le Var, et lors duquel deux corps calcinés avaient été retrouvés dans une maison isolée.