Ils n’ont pas de mots assez forts. Depuis la condamnation de Marine Le Pen, lundi 31 mars, à une peine d’inéligibilité de cinq ans assortie d’une exécution provisoire – compromettant fortement son avenir politique à court terme – une pluie de virulentes critiques s’abat sur cette décision de justice.
A commencer par la réaction de Jordan Bardella, qui dénonce sur CNews la «tyrannie des juges» à l’œuvre à travers une «motivation politique», un «jugement partial», une «décision partisane». Dans une lettre de réaction diffusée lundi où il appelle à une «mobilisation populaire et pacifique», il évoque cette fois une «décision brutale, injuste et antidémocratique», estimant que «la démocratie française est exécutée».
Eric Ciotti, patron de l’Union des droites pour la République, alliée du Rassemblement national, a estimé de son côté, sur X, que le «destin démocratique de notre nation [est] confisqué par une cabale judiciaire indigne». Quant au chef de file des députés LR, Laurent Wauquiez, il a fustigé une décision «lourde et exceptionnelle. Dans une démocratie, il n’est pas sain qu’une élue soit interdite de se présenter à une élection. Les débats politiques doivent être tranchés dans les urnes, par les Français».
Au sein même du gouvernement, l’entourage de François Bayrou – lui-même aux prises avec la justice dans une affaire de détournement de fonds publics impliquant des assistants parlementaires, le parquet ayant fait appel d’une première relaxe – a fait savoir qu’il était «troublé par l’énoncé du jugement» sans pour autant souhaiter «faire de commentaire sur une décision de justice». A noter qu’à gauche non plus, le commentaire de Jean-Luc Mélenchon sur X n’est pas passé inaperçu. Ce dernier estimant que «la décision de destituer un élu devrait revenir au peuple».
«Même si cette infraction existe, elle est très peu utilisée»
Interrogé sur ces critiques, Rémy Heitz, procureur général près de la Cour de cassation, a dénoncé auprès de RTL «des termes totalement excessifs». Mais au-delà, sont-ils dans le cadre du droit ? Car la loi encadre bel et bien les réactions entourant une décision de justice. Ainsi, l’article 434-25 du code pénal, dans son chapitre portant sur «les atteintes à l’action de justice», prévoit que «le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende». En outre, on lit également que «les dispositions de l’alinéa précédent ne s’appliquent pas aux commentaires techniques ni aux actes, paroles, écrits ou images de toute nature tendant à la réformation, la cassation ou la révision d’une décision».
Sur le papier donc, il est possible que certaines réactions politiques entrent dans ce périmètre. Dans les faits, des poursuites sont très improbables. C’est ce qu’expliquent à CheckNews deux avocats spécialistes du droit pénal. «Même si cette infraction existe, elle est très peu utilisée. Depuis l’édition du nouveau code pénal en 1994, il y a eu 21 décisions rendues à ce sujet. Et elles concernent surtout des blogs spécialisés sur les décisions de justice», constate un avocat qui a préféré s’exprimer anonymement, comptant parmi ses clients des politiques de premier plan. Il poursuit : «Par ailleurs, ce qui importe, c’est le contexte. Vu l’actualité, chacun formule ses réponses et ses réactions. En tout cas, si j’étais procureur, je ne poursuivrais pas : cela pourrait même être perçu comme un acharnement.»
Attaques «personnalisées» contre les magistrats
Matthieu Hénon, avocat pénaliste, est du même avis : «Une juridiction peut estimer que cette décision suscite un débat d’ordre démocratique.» Néanmoins, tous deux s’accordent à dire que ces propos ne doivent pas dépasser la limite de l’atteinte à l’honneur des juges, ou des menaces. Plusieurs médias affirment que le domicile de la présidente du tribunal aurait dû être protégé suite à l’issue du procès. CheckNews n’a pas eu confirmation de cette information, mais a constaté de nombreux messages sur X affichant des photos de la juge, accompagnés d’invectives.
Une limite que n’a pas manqué de relever Rémy Heitz : «Ce qui est inadmissible, ce sont les attaques très personnalisées contre les magistrats et les menaces, des menaces qui peuvent d’ailleurs faire l’objet de poursuites pénales parce qu’on ne peut pas, dans un état de droit, dans une démocratie, s’en prendre directement aux juges et les menacer.»