Il est passé aux aveux. Placé en garde à vue dans le cadre de l’enquête sur des soupçons d’ingérences étrangères dans les médias et la sphère politique en France, l’ancien présentateur de BFM TV Rachid M’Barki a reconnu avoir été payé pour la diffusion à l’antenne, hors de tout circuit de validation, de sujets montés de toutes pièces pour le compte d’Etats étrangers. D’après les révélations du Parisien, il a ainsi admis : «Il m’est arrivé de recevoir des sommes d’argent […]. Oui je reconnais les faits de corruption passive.» Avant de préciser que cette rémunération, évaluée par lui-même à un total compris «entre 6 000 et 8 000 euros», lui était effectivement remise par le lobbyiste Jean-Pierre Duthion. Rachid M’Barki indique ainsi que ces transactions ont eu lieu «à cinq ou six reprises, et [que] ce n’était pas pour une brève en particulier, mais pour me remercier». Des paiements qui ont pris la forme, selon le Parisien, «de billets de banque remis dans des enveloppes de la main à la main par Jean-Pierre Duthion lors de rendez-vous à Neuilly-sur-Seine». Le journaliste ajoute : «Au départ, j’étais un peu surpris et disons qu’il a été insistant et voilà, j’ai pris. Sans doute par faiblesse. […] C’est une entorse, même un coup de canif à la déontologie du journaliste.»
«On n’a jamais déjeuné ni même dîné ensemble»
Ces déclarations vont parfaitement à l’encontre des propos qu’il a tenus devant la commission d’enquête parlementaire en mars. Pour rappel, il qualifiait alors de «calomnie pure» les allégations selon lesquelles il aurait été rémunéré pour passer plusieurs séquences dans le Journal de la nuit, notamment au sujet du Maroc ou du Soudan. Il précisait : «Les confrères ne me contrediront pas, parfois il peut être question d’invitation au restaurant, de voyages, d’avantages quelconques, il n’y a jamais rien eu de tout ça entre M. Duthion et moi.» Se disant «surpris» que le lobbyiste puisse se vanter en privé de payer des journalistes, il ajoutait encore : «Pour ce qui me concerne, il n’a jamais proposé ni même insinué qu’il pouvait me rémunérer pour reprendre des infos. S’il s’agit de vous dire que de temps en temps, on se voyait, qu’on prenait un café et qu’il payait le café, oui. Mais ce n’est jamais allé au-delà, on n’a jamais déjeuné ni même dîné ensemble.»
Ses aveux auprès de la brigade de répression de la délinquance économique mettent également à mal les déclarations de Jean-Pierre Duthion lui-même. Qui, devant cette même commission, assurait, au mois d’avril : «Je n’ai jamais rémunéré de journaliste et je n’ai jamais corrompu qui que ce soit. J’ai lu dans la presse que je me vanterais, en privé, de payer des élus et des journalistes : c’est faux.»
«Le rédacteur en chef ce soir est un peu zélé»
De la même manière, Rachid M’Barki avait assuré, devant les parlementaires, avoir toujours «travaillé en toute transparence», n’avoir «jamais rien caché à personne dans [son] travail». Une façon d’indiquer que les séquences incriminées n’auraient en réalité pas fait tiquer la hiérarchie. Or le Parisien nous apprend que les enquêteurs ont mis la main sur des messages adressés à Jean-Pierre Duthion, et où Rachid M’Barki, semblant prendre quelques précautions, écrit : «L’ami, on peut reporter à demain ? Le rédacteur en chef ce soir est un peu zélé, je ne voudrais pas que ça crée un problème…»
Des contradictions qui n’ont pas échappé à Jean-Philippe Tanguy, président (RN) de la commission d’enquête relative aux ingérences, qui a indiqué ce vendredi 19 janvier sur la plateforme X (ex-Twitter) : «Les travaux de la commission d’enquête que j’avais l’honneur de présider avaient bien visé juste. Compte tenu de ces révélations, M. M’Barki mais aussi le lobbyiste M. Duthion auraient menti sous serment aux parlementaires. Je vais donc saisir les autorités compétentes.» Contacté par CheckNews, le député confirme être en train d’étudier les différentes pistes afin de rapporter ces faits à la justice – à savoir s’il doit se charger du signalement en tant que président ou laisser la main au bureau de l’Assemblée. «Si les choses traînent, je le ferai moi-même», assure-t-il.
Les travaux de la Commission d’enquête que j’avais l’honneur de présider avaient bien visé juste.
— Jean-Philippe Tanguy Ⓜ️ (@JphTanguy) January 19, 2024
Compte tenu de ces révélations, M. M’Barki, mais aussi le « lobbyiste » M. Duthion auraient menti sous serment aux parlementaires.
Je vais donc saisir les autorités compétentes. https://t.co/04NaYc8z7z
CheckNews l’expliquait dans un précédent article : le délit de «faux témoignage» est passible de peines d’emprisonnement et d’amendes. L’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires précise bien qu’en cas «de faux témoignage ou de subordination de témoin, les dispositions des articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal sont respectivement applicables». En clair, aux yeux du droit, cela signifie qu’il revient au même de mentir devant une commission d’enquête parlementaire et devant une juridiction ou un officier de police judiciaire. On se rend alors coupable du même délit de «faux témoignage» et surtout, on s’expose aux mêmes sanctions. En l’occurrence : cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Une peine portée à sept ans de prison et 100 000 euros d’amende lorsque le mensonge «est provoqué par la remise d’un don ou d’une récompense quelconque» et «lorsque celui contre lequel ou en faveur duquel le témoignage mensonger a été commis est passible d’une peine criminelle».
Les condamnations effectives sur ce motif sont assez rares
Régulièrement, des accusations de faux témoignages devant les commissions d’enquête parlementaire sont relevées. Ainsi, pas plus tard que début janvier, la commission d’enquête parlementaire sur les dysfonctionnements des fédérations sportives a saisi la justice en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale. Son signalement vise en l’occurrence sept dirigeants du sport français, dont Gilles Moretton, président de la Fédération française de tennis (FFT), soupçonné de «témoignage erroné» au sujet du salaire d’Amélie Oudéa-Castéra, désormais ministre, au poste de de directrice générale de la FFT. Une enquête préliminaire a été ouverte dans la foulée, a indiqué le parquet de Paris.
Jusqu’à présent pourtant, les condamnations effectives sur ce motif, sont assez rares. Un exemple remonte à 2018 : il s’agit du cas du pneumologue Michel Aubier. Devant la commission sénatoriale sur le coût de la pollution de l’air trois ans auparavant, ce dernier avait alors juré n’avoir «aucun lien d’intérêt avec les acteurs économiques» du secteur des énergies fossiles. Des propos contredits ensuite par une enquête de Libération et qui a valu au médecin d’écoper d’une peine de 20 000 euros d’amende.
En attendant, dans l’affaire d’ingérences étrangères, Rachid M’Barki demeure mis en examen pour «corruption passive» et «abus de confiance». Aux côtés de Jean-Pierre Duthion, notamment mis en cause pour «corruption privée» et «trafic d’influence» et placé sous contrôle judiciaire, mais aussi de Nabil Ennasri, politologue spécialisé sur le Qatar, soupçonné «d’abus de confiance», «corruption et trafic d’influence d’agent public» et «blanchiment de fraude fiscale aggravée». Et qui se trouve en détention provisoire depuis le 4 octobre.