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Israël a-t-il largué des tracts sur Gaza affirmant : «La carte du monde ne changera pas si le peuple gazaoui cesse d’exister» ?

Gaza, l'engrenagedossier
Plusieurs médias ont relayé l’assertion, qui trouve son origine dans une publication d’ABC News. Les autorités israéliennes démentent avoir envoyé un tel document et dénoncent une fausse information.
Sur fond de reprise des bombardements, le tract a suscité cette semaine une vive indignation, avant que sa véracité ne soit contestée. (Photo X)
publié le 21 mars 2025 à 19h41

Alors qu’Israël a rompu cette semaine le cessez-le-feu conclu avec le Hamas, et bombardé massivement Gaza, entraînant des centaines de morts depuis mardi 18 mars et de vives condamnations de la communauté internationale, de nombreux commentateurs se sont indignés d’un tract qu’aurait diffusé Israël auprès des habitants de l’enclave. Le document, qui serait parvenu aux Gazaouis dans la nuit de mercredi 19 au jeudi 20 mars, les exhorte à quitter volontairement leur terre, sous peine, s’ils ne le font pas, de se voir imposer un déplacement forcé. «La carte du monde ne changera pas si le peuple gazaoui cesse d’exister», peut-on lire sur le tract, qui avance aussi : «Personne ne compatira avec vous et personne ne demandera de vos nouvelles.»

C’est le média américain ABC News qui a le premier évoqué ce tract, jeudi, après qu’un écrivain gazaoui l’avait mentionné dans la nuit sur X. L’information a été immédiatement reprise par le quotidien israélien Haaretz, puis par les titres suisse le Temps ou libanais l’Orient-le-Jour. Ynet, le premier site d’information israélien, a également mentionné la diffusion de ces tracts jeudi matin, évoquant comme sources des «Palestiniens de Gaza». Le court article de Ynet indique que les tracts seraient «signés par le Shin Bet», les services de renseignements intérieurs d’Israël, et précise qu’ils auraient été largués «dans la région de Khan Younès», dans le sud de la bande de Gaza. Le Haaretz, tout en s’en remettant aux éléments d’ABC News, relève de son côté que des tracts similaires avaient déjà été largués un mois plus tôt, selon un média arabe. Le 20 février, et les jours suivants, plusieurs médias avaient en effet évoqué l’existence de tels tracts, qui avaient déjà soulevé une polémique, quoique d’une ampleur moindre que ces deux derniers jours.

Démenti par les autorités israéliennes

Sur fond de reprise des bombardements, le tract a en effet suscité cette semaine une vive indignation. Sur les réseaux sociaux, l’information a rapidement circulé, accompagnée d’une photo censée montrer le tract en question. Sur le visuel, les visages des présidents israélien et américain, accompagnés du logo du Shin Bet, sont suivis d’un texte rédigé en arabe. Tandis que de nombreux internautes s’offensaient du contenu du tract, l’authenticité (voire l’existence) de ce dernier a été rapidement contestée.

Jeudi, dans l’après-midi, le journaliste Itay Blumental, correspondant militaire pour la chaîne israélienne Channel 11, a ainsi relayé un démenti des autorités de l’Etat hébreu : «Les responsables de la sécurité israélienne affirment que ces tracts, qui selon Gaza auraient été largués par des avions israéliens, sont faux et qu’ils pourraient avoir été imprimés à Gaza à des fins de propagande.»

Peu après la publication de son article, ABC News l’a modifié en expurgeant les paragraphes qui évoquaient les tracts et en ajoutant une «note de l’éditeur». «Une version antérieure de cet article indiquait que l’armée israélienne avait largué des tracts contenant des messages inquiétants. ABC News n’a pas été en mesure de confirmer l’authenticité de ces tracts. L’armée israélienne nie avoir largué ces tracts», y lit-on. De plus, les noms de deux des quatre auteurs ont disparu de la signature de l’article. Sur le réseau social X, la chaîne de télé américaine a aussi concédé ne pas avoir pu confirmer son information.

Une seule photo montrant le visuel

Les journalistes d’ABC News, questionnés par CheckNews, n’ont pas donné suite. La journaliste d’Ynet n’a pas répondu non plus à nos interrogations sur l’origine des informations publiées. Une source au sein de l’armée israélienne assure à CheckNews que ces tracts n’ont ni été produits ni largués par elle, sans se prononcer sur une éventuelle responsabilité du Shin Bet dans cette opération. Ledit Shin Bet, actuellement en proie à une grave crise après le limogeage de son chef par le gouvernement, n’a pas répondu à nos sollicitations. Lors d’une conférence de presse donnée jeudi, le porte-parole du gouvernement israélien, David Mencer, répondant à une question de journaliste, a assuré qu’il s’agissait «d’une fausse information».

Si Israël nie toute responsabilité, la question de la diffusion (et même de l’existence) de ces tracts est également posée sur les réseaux sociaux. De fait, il n’existe, selon nos recherches, qu’une seule photo montrant le visuel, ce qui nourrit le doute quant à une diffusion massive. L’unique image du tract, qui a donc ressurgi ces jours-ci, remonte au 20 février dernier, lors de la précédente polémique.

La première occurrence de cette image retrouvée par CheckNews émane d’une publication X postée le 20 février à 15h19 par un journaliste palestinien dont la famille vit à Gaza, qui faisait mention de «tracts largués par le Shin Bet israélien sur les quartiers résidentiels de la bande de Gaza». Sollicité par CheckNews, celui-ci n’a pas répondu à nos questions. Le média en ligne Gaza Now avait repris l’image peu après pour la diffuser sur ses réseaux sociaux. Auprès de CheckNews, Gaza Now maintient, sans avoir pu nous donner d’éléments l’attestant, que les tracts avaient alors été «largués à Beit Lahia, au nord de la bande de Gaza, à l’est de Khan Younès, au sud de la bande de Gaza, et sur les tentes des déplacés au sud de Deir el-Balah dans une zone appelée Al-Mawasi, au sud de la bande de Gaza».

Deux Gazaouis contactés par CheckNews et vivant à Beit Lahia et à Khan Younès – deux zones mentionnées par Gaza Now comme étant concernées par le largage – nous ont affirmé n’avoir jamais vu un tel tract. Notre interlocuteur habitant Khan Younès affirme en revanche que l’image du tract, toujours la même, circulait largement depuis février parmi les internautes à Gaza.

Outil de communication à Gaza

Si rien ne vient donc confirmer à ce stade la diffusion de tels visuels en février ou ces derniers jours, ni l’éventuelle responsabilité des autorités israéliennes, certains arguments avancés sont en revanche erronés. Ainsi, plusieurs commentateurs affirment par exemple que le Shin Bet n’apposerait jamais son logo sur des tracts, ni n’en ferait distribution à des populations, assurant que seule l’armée israélienne rédige de tels documents. Ce qui est inexact. Le Shin Bet a déjà fait circuler des tracts dans la bande de Gaza, même si leur contenu n’avait rien à voir avec le tract aujourd’hui incriminé, puisqu’eux étaient destinés à solliciter des renseignements auprès de la population gazaouie. Ainsi, en février 2024, les médias israéliens rapportaient l’existence d’un tract où figurait le logo Shin Bet, ayant pour vocation de «recruter des habitants», et renvoyant à un canal Telegram ainsi qu’un numéro WhatsApp. Puis, en août 2024, un tract émanant du Shin Bet était également distribué aux habitants de Jérusalem, selon des publications sur les réseaux sociaux.

Depuis le début de son offensive à Gaza, en représailles de l’attaque du 7 octobre, l’armée israélienne a largement utilisé les tracts comme outil de communication à Gaza, essentiellement pour enjoindre les habitants de l’enclave de quitter certains quartiers ciblés par les bombardements, et indiquer les zones prétendument «sûres». Mais la presse israélienne a épisodiquement fait état de tracts d’une autre nature, comme ceux que l’armée aurait largués après la mort de Yahya Sinwar en octobre 2024, affirmant : «Le Hamas ne dirigera plus Gaza.»