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Israël a-t-il publié un «guide» pour éviter aux soldats de Tsahal de se faire arrêter lors de voyages à l’étranger ?

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Après qu’un soldat israélien a fui le Brésil, du fait d’une plainte à son encontre pour crimes de guerre, certains médias ont publié un «guide» à destination des soldats de Tsahal en voyage. De leur côté, les autorités israéliennes s’organisent pour parer à ce type d’incident.
D'après le quotidien «Haaretz», les agences de sécurité et les ministères du gouvernement israélien se coordonnent avec des cabinets d’avocats locaux pour fournir une aide juridique immédiate aux soldats si nécessaire. (Amir Levy/Getty Images. AFP)
publié le 6 janvier 2025 à 19h17

L’affaire a été relayée partout dans la presse israélienne. Ce dimanche 5 janvier, un soldat de l’armée israélienne a quitté précipitamment le Brésil, où il était en vacances, après que la Cour fédérale du pays a ouvert une enquête à son sujet pour crimes de guerre. Une affaire qui fait écho à la demande d’arrestation vendredi, d’un autre soldat au Chili, ou de celle d’un réserviste en voyage à Chypre, en novembre. Ces demandes interviennent quelques semaines après la décision de Cour pénale internationale d’émettre des mandats d’arrêt contre le Premier ministre Benyamin Nétanyahou et l’ex-ministre de la Défense Yoav Gallant le 21 novembre.

Ce même dimanche, en réaction à l’affaire brésilienne, plusieurs internautes se sont amusés sur le réseau X d’une prétendue «publication en interne par Israël d’un guide afin que les soldats puissent échapper aux poursuites pour crimes de guerre». Dans leurs publications, ils relaient un article du journal israélien Yediot Aharonot, l’un des trois principaux quotidiens du pays, intitulé «Guide pour les soldats de l’armée israélienne : voici comment agir en cas d’arrestation à l’étranger et ce qu’il faut vérifier avant de prendre la fuite».

La formulation «publication en interne par Israël» fait croire à l’existence d’un guide créé par une autorité officielle israélienne, alors qu’il s’agit plutôt de l’initiative de quelques médias israéliens. Pour autant, les autorités israéliennes sont impliquées dans la défense à l’étranger des soldats accusés de crimes de guerre.

L’article de Yediot Aharonot est une interview de Nick Kaufman, un avocat de la défense à la Cour pénale internationale de La Haye. L’article se présente effectivement comme un guide à destination du personnel de l’armée israélienne. Il prodigue certains conseils, comme «éviter de publier des photos ou des vidéos de leur service, en particulier des contenus montrant des bâtiments détruits» ou de «consulter un expert en droit pénal international» avant de choisir sa destination de voyage.

Une phrase du «guide» fait particulièrement réagir sur les réseaux sociaux, à savoir que «certains pays pourraient considérer des contenus apparemment mineurs, comme des chansons racistes, comme une incitation au génocide». Un autre quotidien important du pays, Maariv, s’est fendu d’un article similaire, invitant les soldats à ne pas publier d’images sur les réseaux sociaux. «Si vous avez commis cette amère erreur, ne prenez pas l’avion», titre le journal.

«Défendre nos soldats»

Si l’interview d’un média a bien été présentée comme un «guide pour les soldats de l’armée israélienne», il n’existe pas, à notre connaissance, de document similaire émanant d’une autorité officielle. Interrogée à ce sujet par CheckNews, l’armée israélienne nous a renvoyés vers le ministère de la Justice, qui ne nous a pas répondu.

Pour autant, le sort de ses soldats en voyage préoccupe l’Etat hébreu. Concernant l’incident impliquant le soldat israélien au Brésil, le ministère des Affaires étrangères israélien a confirmé l’avoir contacté pour organiser son départ du pays. Le quotidien israélien Haaretz rapporte que les agences de sécurité et les ministères du gouvernement se préparent à aider les soldats et les réservistes dans cette situation, en se coordonnant avec des cabinets d’avocats locaux, pour fournir une aide juridique immédiate si nécessaire. Le journal évoque également «un groupe de travail conjoint du corps de l’avocat général des armées, du ministère des Affaires étrangères, du Conseil de sécurité nationale et du Shin Bet [les services de renseignement intérieur israélien, ndlr] actuellement chargé de l’analyse des risques encourus par les soldats dans différents pays et le suivi des enquêtes potentielles.»

En réaction à l’événement au Brésil, le président de la commission des affaires étrangères à la Knesset – le Parlement israélien – a annoncé la tenue d’une réunion urgente lundi, sur le sujet des actions contre des soldats de Tsahal à l’étranger. «J’attends de recevoir des représentants de Tsahal et du ministère des Affaires étrangères leur plan d’action pour défendre nos soldats contre ces sanctions et persécutions malveillantes», a déclaré Yuri Edelstein, le président de la commission des affaires étrangères, selon des propos rapportés par le Jerusalem Post.

Pays à risque

Cette préoccupation n’est pas totalement nouvelle. Le 4 décembre, l’armée israélienne avait conseillé à 30 soldats ayant servi dans la guerre à Gaza de s’abstenir de voyager à l’international, du fait d’un risque d’arrestation. Au moins huit membres de Tsahal ont même reçu l’ordre de quitter immédiatement des pays comme Chypre, la Slovénie et les Pays-Bas, rapporte Yediot Aharonot.

L’armée israélienne n’impose habituellement pas de restriction de voyage à ses soldats en service actif, mais elle met en œuvre un processus «d’évaluation des risques», toujours selon Yediot Aharonot. CheckNews a demandé à l’armée israélienne ses critères de «risques», mais elle nous a également renvoyés vers le ministère de la Justice, qui ne nous a pas répondu. Cette «évaluation», ne s’applique pas aux réservistes, ce qui préoccupe le Corps de l’avocat général des armées de Tsahal, selon Haaretz.

La presse israélienne cite plusieurs pays «à risque» pour les soldats israéliens. A commencer par les pays où des plaintes ont été déposées contre des soldats de Tsahal : en Afrique du Sud, au Sri Lanka, en Belgique, en France et au Brésil. Plus généralement, d’autres médias, comme Yediot Aharonot, citent les pays appliquant la compétence universelle, soit le principe juridique qui permet à un Etat de poursuivre des individus pour des crimes graves (génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité) indépendamment du lieu où ils ont été commis et de la nationalité des auteurs ou des victimes. «Même des pays amis comme le Royaume-Uni, la France et l’Espagne l’ont appliquée par le passé», explique le journal.

Plainte contre 1 000 soldats

Les pressions sur les soldats israéliens accusés de crime de guerre s’accentuent depuis quelques mois. En novembre, la chaîne Telegram Middle East Spectator a publié un fichier contenant les noms et les coordonnées de 35 000 soldats israéliens et des agences de renseignement extérieur et intérieur d’Israël, vraisemblablement avec l’intention de les traduire en justice en dehors d’Israël selon Yediot Aharonot.

De même, la fondation belge Hind-Rajab, du nom d’une Palestinienne de 6 ans tuée par l’armée israélienne en janvier 2024 à Gaza, est en première ligne pour poursuivre les soldats de Tsahal qui voyagent à l’étranger. Le 8 octobre 2024, la fondation déposait devant la CPI une plainte pour crimes de guerre à l’encontre de 1 000 soldats israéliens. C’est cette même fondation qui est à l’origine de la plainte à l’encontre du soldat israélien au Brésil.