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«Israël n’a pas sa place sur notre terre» : qui est Ghazi Hamad, la «voix du Hamas» depuis le massacre du 7 octobre ?

Guerre au Proche-Orientdossier
Multipliant les interviews à la presse depuis le 7 octobre, le porte-parole du mouvement islamiste adapte son discours selon ses interlocuteurs, assume l’objectif d’une disparition de l’Etat hébreu et continue de nier en bloc les exactions commises contre les civils, en dépit des évidences.
Ghazi Hamad, membre du bureau politique du Hamas, lors d'une manifestation de solidarité avec les Palestiniens de Gaza, à Beyrouth (Liban) le 29 octobre 2023. (Amr Alfiky /Reuters)
publié le 3 novembre 2023 à 19h20
Question posée le 28 octobre

Vous nous avez interrogés à propos de l’interview donnée récemment par Ghazi Hamad, porte-parole du Hamas, auprès des médias depuis le 7 octobre. Le 24 octobre, ce membre du bureau politique du Hamas était interviewé par LBCI, une chaîne de télévision libanaise. L’ex-secrétaire général du ministère palestinien du Développement social a répondu aux questions de la journaliste Nada Andraos, au cours d’un entretien d’1h20. Une partie de ses propos, traduit de l’arabe plusieurs jours après par la chaîne américano-israélienne Memri TV, ont suscité de nombreuses réactions.

Ghazi Hamad déclare ainsi que le Hamas «recommencera encore et encore» les attaques du 7 octobre. «Nous devons donner une leçon à Israël, et nous le ferons encore et encore. Le déluge d’Al-Aqsa [nom de l’offensive déclenchée par le Hamas le 7 octobre, ndlr] n’est que la première fois, et il y en aura une deuxième, une troisième, une quatrième, parce que nous avons la détermination, la résolution, et les capacités de combattre. Devrons-nous payer un prix ? Oui, et nous sommes prêts à le payer. Nous sommes appelés une nation de martyrs, et nous sommes fiers de sacrifier des martyrs.» Et d’ajouter : «Israël est un pays qui n’a pas sa place sur notre terre. Nous devons éliminer ce pays, car il constitue une catastrophe sécuritaire, militaire et politique pour la nation arabe et islamique, et il faut en finir. Nous n’avons pas honte de le dire, avec force.»

Des déclarations qui ont été largement relayées en Israël, comme des preuves que l’idée d’un cessez-le-feu –demandé par la communauté internationale – n’avait pas de sens, mais aussi dans la presse internationale, relevant une forme de double discours du Hamas. Le Wall Street Journal notait ainsi dans un éditorial publié jeudi 2 novembre : «Le Hamas a deux messages pour deux publics différents. A la communauté internationale, il plaide pour un cessez-le-feu pour des raisons humanitaires. Au monde arabe, il s’engage à réitérer l’attaque du 7 octobre et sacrifier autant de Palestiniens qu’il le faudra pour détruire Israël.»

«Il n’y a plus d’espace pour parler de paix»

De fait, Ghazi Hamad, qui a donné plusieurs interviews à la presse occidentale depuis le 7 octobre (toujours depuis Beyrouth), sait user d’un vocabulaire moins ouvertement belliqueux. Même si le fond du discours demeure in fine inchangé, quand à l’objectif, plus moins explicité, d’une disparition d’Israël.

Dans une interview à l’agence de presse AP donnée depuis Beyrouth, le 26 octobre, Ghazi Hamad justifiait l’action armée par l’impasse politique, faisant valoir que les rivaux du Hamas en Cisjordanie, dirigés par le président palestinien Mahmoud Abbas, soutenu par la communauté internationale, n’avaient «rien obtenu» après avoir passé des années dans des négociations infructueuses avec Israël pour établir un Etat palestinien à ses côtés. Estimant que cette approche «a donné lieu à davantage de colonies, à davantage de violations et à davantage de meurtres», Hamad affirme donc qu’il «est désormais logique que le recours à la résistance soit légal contre l’occupation. Et il n’y a plus d’espace aujourd’hui pour parler de paix avec Israël, de solution à deux Etats ou de coexistence». Ce qui revient donc, implicitement, à la disparition de l’Etat hébreu.

Un propos assumé, à nouveau, le 31 octobre, dans un entretien accordé à Andrea Nicastro, journaliste du Corriere della Serra.

Andrea Nicastro : «Pourquoi n’acceptez-vous pas qu’Israël existe ?»

Ghazi Hamad : «Que dites-vous à ceux qui occupent votre maison ? Est-ce que tu restes ?»

Andrea Nicastro : «La violence ne cessera donc jamais.»

Ghazi Hamad : «Qu’avez-vous fait avec les occupants allemands ? Vous vous êtes battu jusqu’à les éliminer.»

Andrea Nicastro : «Sans nier l’existence de l’Allemagne elle-même.»

Ghazi Hamad : «Ecoutez-moi. Israël n’est pas un Etat pacifique. Il a bombardé le Liban, la Syrie, l’Irak, l’Arabie Saoudite, l’Iran…»

Dans la même interview, Ghazi Hamad ajoute que la bande de Gaza «paye un lourd tribu en sang mais c’était nécessaire».

Interrogé par un journaliste de NBC sur le fait de demander un cessez-le-feu tout en affirmant une volonté de multiplier les attaques comme celle du 7 octobre, il déclare : «Vous voulez qu’on s’arrête ? Si on s’arrête, nous allons revenir à notre misérable situation, les humiliations, l’occupation.»

Déni d’exactions volontaires

Si Ghazi Hamad justifie, dans chacune de ses prises de paroles, le recours à la violence par l’échec de la «voie de la paix», il nie toute exactions volontaires sur les civils israéliens, évoquant à propos du 7 octobre une «opération militaire». Dans son interview à AP, le responsable du Hamas, selon l’agence, «n’a présenté aucune excuse pour le nombre élevé de civils tués par les militants du Hamas en Israël ni pour l’augmentation du nombre de morts parmi les civils à Gaza». Alors que 1 400 personnes ont été tués par le Hamas, dont une majorité de civils, l’évocation du massacre de ces derniers lors des interviews donne lieu à la même réponse. A NBC, il déclare : «Ecoutez, nous n’avons jamais eu d’intention ou pris de décision, c’est dans notre religion : nous sommes contre le fait de tuer ou de blesser des civils.» Auprès de la BBC, il assure que le Hamas n’avait «aucune intention de tuer des civils» lors de l’opération «déluge d’Al-Aqsa».

Un propos contredit autant par le bilan du massacre (une majorité des 1 400 personnes tués le 7 octobre sont des civils, selon les autorités israéliennes) que par les innombrables preuves en images où l’on voit des assaillants du Hamas s’en prendre à des victimes civiles (que ce soit pour les tuer ou les prendre en otage). Alors que le journaliste de la BBC insiste sur les crimes de guerre commis par le Hamas ce jour-là, Ghazi Hamad argue que les pertes civiles s’expliquent par le fait que le terrain d’opération était «très grand», «qu’il y avait beaucoup de gens, de combats». Le journaliste le coupe : «Ce n’était des combats, vous êtes entrés dans des maisons.» A quoi le porte-parole rétorque à nouveau que le Hamas n’avait «aucune intention de tuer des civils».

Une minute plus tard, alors que Ghazi Hamad déclare se battre «pour la dignité et la liberté», le journaliste le relance : «En tuant des civils dans leur maison, en envahissant un festival de musique et en tuant des centaines de personnes… Comment justifier de tuer des gens quand ils dorment, des familles ?» Après quoi Hamad arrache son micro, le lance au sol et déclare qu’il «veut arrêter cette interview».

Vétérinaire, journaliste et leader idéologique du Hamas

Né en 1964 dans le camps de réfugiés de Rafah, Ghazi Hamad, qui parle anglais, fréquente une école de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Pour ses études supérieures, il se rend au Soudan afin d’obtenir un diplôme de vétérinaire. En 1982, il rencontre Hassan al-Tourabi, chef des Frères musulmans au Soudan. D’après Séverine Labat, chercheuse au CNRS et spécialiste des mouvements islamistes, Hassan al-Tourabi «devient un modèle» pour Ghazi Hamad. A cause de son implication au sein du Hamas, il passera cinq ans dans des prisons israéliennes. Quelques années plus tard, il devient rédacteur en chef de Al-Risalah, l’hebdomadaire du Hamas. Pour ses activités de journaliste, il sera aussi emprisonné. Cette fois non pas par les Israéliens mais par l’Autorité palestinienne. Ghazi Hamad avait enquêté sur des cas de torture qui auraient été perpétrés par l’AP sur un jeune palestinien, Ayman al-Amasi.

En 2006, alors qu’il est décrit par PBS comme le «nouveau visage du Hamas», Ghazi Hamad déclare que «le Hamas n’est pas un mouvement radical, ni extrémiste ni fondamentaliste» mais qui croit en la démocratie et le pluralisme. En 2012, il occupe la fonction de vice-ministre des Affaires étrangères. Aujourd’hui, il est membre du bureau politique et porte-parole de fait du mouvement depuis les exactions du 7 octobre. S’il est surtout considéré comme un leader idéologique, il ne figure pas parmi les principaux poids lourds du mouvement communément cités par les médias ou les spécialistes.